Читать книгу La préparation des États-généraux de 1789 en Poitou - H Couturier - Страница 13
§ 2. — L’agriculture.
ОглавлениеI. Etat misérable. — II. Méthodes arriérées. — III. Productions.
I. — Les dernières années de l’ancien régime furent marquées par un relèvement de l’activité industrielle et économique de la France. La progression rapide du prix des fermes en est une démonstration frappante: «le bail de 1786 donna 14 millions de plus que celui de 1780» . Le prix du bail des octrois de la ville de Loudun s’éleva successivement pendant les vingt dernières années de l’ancien régime de 380 livres à 650, puis à 1.000 .
Et cependant les documents contemporains relatifs au Poitou ne laissent pas que de causer par leur concordance une impression fâcheuse sur la situation économique de la province. «Le Poitou est une vilaine et pauvre province. pour laquelle on n’a rien fait. Elle semble manquer de communications, de débouchés, de mouvement de toutes sortes, et elle ne produit pas la moitié de ce qu’elle devrait produire.» Telle était l’impression que laissait à Young sa traversée des sénéchaussées de Civray, Poitiers et Châtellerault, par la route de Paris en Espagne: «un pays pauvre, riste et désagréable» . L’abbé de Moussac, dans son premier rapport sur la mendicité, à l’assemblée d’élection de Poitiers, donnait une impression analogue: «Notre sol, assez fertile, s’il était mieux préparé, ne produit pas la moitié de ce qu’il pourrait produire.» L’appréciation de l’assemblée provinciale était la même. Considérant que dans l’échelle de Necker des généralités par ordre de population et de richesse le Poitou occupait le dernier rang, elle refusa de donner son consentement à une augmentation des vingtièmes, en raison du dépérissement de cette province; «dépourvue de communications dans une grande partie de son territoire, elle languit sans commerce et sans vigueur; énervée par la misère et attaquée de maladies épidémiques, elle a la douleur de voir décroître chaque année sa population et ses ressources.» Cette situation désastreuse est sensible au point que nombre de propriétaires, ne trouvant plus, à quelque prix que ce puisse être, ni fermiers ni colons pour faire valoir leurs terres, sont obligés de les laisser incultes . Un mémoire rédigé par la noblesse de la Gâtine et du Bocage en octobre 1788 est conçu dans les mêmes termes . Le Poitou est bien une région pauvre.
Aussi, quand on entend les paysans se plaindre de leur triste sort, on ne peut guère les taxer d’exagération. Le tableau désolé qu’ils tracent de leurs campagnes ressemble trop aux descriptions précédentes pour n’être pas exact: il est malheureusement vrai que, en 1789, beaucoup de terres sont laissées en friche, que les brandes et bruyères, terres incultes et mauvais fonds abondent . Tous les documents concordent dans le même sens. Le docteur Berthelot, le 8 juillet 1786, donne des indications analogues sur la Gâtine . En Bas Poitou, c’est le même spectacle: non seulement une bonne partie des terres reste chaque année en jachère, mais il est des régions que l’on n’ose pas défricher .
II. — Là où on cultive, on cultive mal, et dans les conditions les plus défectueuses. Les cultures sont mal faites et mal comprises. Le paysan ne sait «qu’entamer le sol par le plus imparfait des instruments aratoires» . Il épuise sa terre par la manière lamentable dont il l’ensemence. Les céréales sont le principal et souvent l’unique objet de ses soins . Le sol, que ne repose jamais aucune autre culture, ne donne que des récoltes dérisoires. Voici, en effet, comment on procède: dans la plaine du Bas Poitou, on emploie l’assolement soit bisannuel, en froment et jachère, .soit trisannuel, en froment, baillarge et jachère, soit de quatre ans, en froment, orge mêlé d’un peu de froment, baillarge et jachère ; à l’autre extrémité du Poitou, on emblave de deux ans l’un .
L’agriculture pratiquée de cette façon était exposée à de graves inconvénients: sans compter l’épuisement des terres obtenu très rapidement par des assolements défectueux, le paysan poitevin avait à redouter plusieurs dangers: l’absence des cultures fourragères ne lui permettait d’entretenir qu’un nombre insuffisant de bêtes de travail mal nourries et sujettes aux épidémies, et, de plus, ce premier inconvénient en entretenait un second: la pénurie du seul engrais connu . Les terres étaient à la fois insuffisamment travaillées, incomplètement fumées, inintelligemment ensemencées.
Le paysan poitevin s’aperçoit de cette double lacune; il la déplore, mais il n’ose sortir de la routine et se contente de se plaindre de la pénurie totale de fourrage qui le prive de cultiver d’une façon normale et rémunératrice. Dans le Haut et le Bas Poitou, il n’y a pas de pacage. Le même cri se fait entendre partout ou à peu près: «Nous n’avons point de prairies naturelles ou artificielles.» Trop de cahiers sont unanimes sur ce point pour qu’il soit permis de douter de leur sincérité . Les assemblées d’élection, dès 1787, mirent un zèle louable à essayer d’attirer l’attention des communautés sur les prairies artificielles qu’elles ne connaissaient guère et sur les moyens d’améliorer leurs prairies naturelles. Des municipalités entrèrent également dans cette voie; mais pratiquement, en 1789, le succès n’avait pas répondu à leurs efforts .
En Poitou on trouve encore des vignes, mais il semble que tant à raison de l’inexpérience des viticulteurs qu’à cause de droits exorbitants, la culture n’en est pratiquée que comme pis-aller, car elle occasionne de grosses dépenses, sans rapporter presque aucun bénéfice , et produit une récolte fragile .
En décrivant l’aspect général de la culture en Poitou, il faut mentionner à part la région nord-ouest, plus froide et plus humide, où les pâturages ne font pas défaut . Dans le Bocage, le sol cultivé est divisé en trois portions égales: la première en grain, la seconde en jachère annuelle, la troisième en jachère permanente. Les deux premières sont emblavées alternativement pendant six à huit ans; après la troisième ou la quatrième récolte, on laisse le sol se reposer. On ne tire pas autrement parti des qualités du sol, puisqu’on n’y connaît ni le sainfoin, ni le trèfle, ni les betteraves .
III. — Si les céréales constituent presque l’unique culture du Poitou, le froment n’en est pas la seule variété récoltée; le seigle et l’avoine forment la nourriture ordinaire du paysan . Toute une région, la Gâtine, ne produit pas un grain de froment . Le quart de l’élection de Saint-Maixent, qui est en Gâtine et Bocage, ne produit que du seigle . Cette contrée est loin d’être la seule aussi peu favorisée; la sénéchaussée de Civray ne fournit guère que du seigle et de l’avoine . Il en est de même dans le Bocage . Quant à la quantité récoltée, elle est véritablement dérisoire. Il y a exagération chez les habitants de Marigny et de Saint-Martin-de-Bernegoue, quand ils disent que «la majeure partie des terres de la paroisse ne produit pas la semence qu’on y met». Mais on peut relever des appréciations plus voisines de la vérité. Le boisseau de semence en produit trois ou quatre , trois , deux ou trois , deux , suivant les localités. Ces chiffres sont corroborés par le rapport très complet des procureurs-syndics de Saint-Maixent, fait sur demande du contrôleur Lambert .
L’impression générale qui se dégage de ces doléances est que l’agriculture en Poitou, très rudimentaire et très imparfaite, privée en nombreux endroits des prairies permettant l’élève du bétail, est loin d’être rémunératrice pour les laborieux paysans qui ne ménagent point pourtant leurs peines . Il semble même qu’il y ait décadence plus profonde depuis une dizaine d’années. Ainsi les habitants d’Asnières sont si pauvres qu’ils ont été obligés d’abandonner en grande partie la culture de leurs terres. Depuis dix ans le nombre de leurs bêtes de labour a diminué d’un tiers; ils n’ont plus que 41 paires de bœufs au lieu de 71. Le cultivateur surchargé d’impôts n’a plus d’avance et ne petit plus employer le personnel et le matériel suffisants. «Si les marchands d’Auvergne n’avaient point fourni de bœufs à crédit dans le Poitou, les terres seraient demeurées pour une partie sans culture, parce qu’une personne qui n’a rien ne peut rien .»