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IV

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Ces Fleurs fanées, d’Alfred de Musset, me rappellent une aumône sentimentale, une façon de charité galante, dont le secret se cache dans un petit bouquet de violettes, — des violettes flétries depuis longtemps.

Un homme politique, un ancien homme d’Etat, qui a été bien souvent trop spirituel et trop jeune, ne refuse jamais un sourire et une aumône à ces pauvres femmes qui mendient en offrant des fleurs: quand ces fleurs sont des violettes, il donne et il sourit deux fois. Si quelque ami l’interroge sur le motif caché de cette faiblesse charitable pour les mendiantes à bouquets, il n’hésite point à lui raconter l’histoire suivante:

«A l’âge de vingt ans, dans un jour de malheur et de deuil, il me fallut visiter la petite ville où je suis né. Cette petite ville, calme, grave, silencieuse, commença par m’effrayer, et je me pris à pleurer en arrivant au seuil de la maison paternelle: la mort avait passé bien souvent sur cette maison, et, à mon retour, je ne retrouvai personne de cette chère famille, qui avait été pour moi le monde dans le monde. Aussi, à la première vue, la ville tout entière me sembla déserte; elle m’apparaissait comme une immense nécropole: les morts que j’avais tant aimés durant leur vie, m’empêchaient de voir les vivants.

» A la fin, Dieu prit en pitié ma pieuse folie: la ville se ranima tout à coup à mes yeux; j’aperçus des passants dans toutes les rues; je commençai à croire que l’on vivait encore autour de moi; je repeuplai les solitudes imaginées par ma tristesse; et, pour un pareil miracle, pour un pareil enchantement, il me suffit de trouver, un beau soir, dans ma chambre, sur mon oreiller, — bien peu de chose, presque rien: un petit bouquet de violettes.

» Pendant un grand mois, je ne sais pas comment, une main mystérieuse, invisible, impitoyable, renouvela chaque soir mon bouquet de violettes. D’où me venaient ces fleurs? Quelle femme ou quelle jeune fille avait tant d’audace et de bonté, dans une petite ville toute remplie de serpents, d’envieux, de curiosités malfaisantes et d’oiseaux-rapporteurs?

» Le bouquet de chaque soir faisait disparaître le bouquet de la veille: on emportait les fleurs flétries, peut-être comme on emporte un souvenir; on les remplaçait par des fleurs nouvelles, peut-être pour me donner un espoir nouveau. Ce petit roman de l’Inconnue, comme je disais dans ce temps-là, ne manquait point de charme: Je passais une partie de mes soirées, de mes nuits quelquefois, assez gaiement et assez tristement: les yeux et le cœur fixés sur une image, sur une ombre, sur un rêve.

» J’imaginai de déposer chaque soir, sur mon oreiller, avec les violettes fanées qu’on allait reprendre, une lettre, un billet, un mot qui aimait beaucoup. Je finis par écrire toutes sortes de caresses: on ne répondit jamais à de pareilles folies; mais il me plaisait de croire qu’on me les rendait secrètement parmi les fleurs. Mon roman aurait pu s’intituler: l’Amour sans se voir.

» Je résolus de courir les promenades et les salons de la ville, à la recherche d’un regard, d’un sourire, d’un soupir, d’une parole qui sentît l’odeur de mes violettes: je ne vis rien, je n’entendis rien qui eût quelque chose de commun avec les fleurs de mon oreiller.

» Comme l’amour ne vient jamais que de celui qui l’éprouve, je me rendis amoureux en conscience, amoureux de cette femme... Quelle femme? Je me mis à aimer toutes les femmes, jeunes, belles et charmantes. J’attachais tous les jours, par la pensée, à quelque joli corsarge, le mystérieux bouquet de violettes; mais il me semblait tous les jours, à chaque épreuve de ma folie, que nulle ceinture ne voulait de ces pauvres fleurs, et mon imagination les ramassait bien vite, ne trouvant pas une seule robe entr’ouverte qui daignât les reconnaître et les garder.

» Mon roman dura quarante bouquets; il se dénoua d’une façon bizarre, presque terrible, funèbre. Un soir, comme j’allais prendre mon espoir de chaque jour, sur ce merveilleux oreiller où poussaient depuis un mois tant d’illusions et de violettes, j’aperçus une petite branche de cyprès. Je la touchai d’une main tremblante; je la baisai en pleurant, sans trop savoir pourquoi. C’en était fait des illusions, des violettes et des espérances!

» Je me demandai, toute la nuit, le secret de cet affreux dénouement, le mystère qui se cachait dans cette petite branche de cyprès: était-ce là un dernier adieu de la vie ou de la mort? Une femme se mourait-elle pour tout le monde, sous la main de Dieu? Une femme était-elle morte pour moi seul, dans les bras d’un homme? Je me disais avec une vraie douleur: est-ce une âme souffrante qui s’envole? est-ce un cœur infidèle qui me laisse?

» Le lendemain, je reçus une lettre de faire part, qui m’annonçait le prochain mariage de la plus jolie fille de la ville avec le plus vilain garçon de l’endroit. En lisant cette lettre, je dédaignai de prendre garde à un mariage de convenance qui ne convenait ni à l’un ni à l’autre des deux époux; mais je m’avisai de la relire, et, cette fois, chose étrange!., il me sembla que cette lettre banale renfermait le dernier mot de mon roman: je crus entrevoir mes violettes dans les fleurs d’oranger de la mariée.

» Huit jours plus tard, j’assistai à la cérémonie nuptiale, et je me pris à contempler, en l’adorant, cette jeune fille, cette jeune femme, que j’avais regardée si souvent sans penser à l’aimer. Oui, vraiment, je l’adorais! je l’adorais si bien, ou plutôt si mal, que je me promis de la désoler, de la châtier, de l’humilier, de la calomnier peut-être, et de la haïr. Quelques mots, prononcés par ma vieille servante, m’empêchèrent de tenir cette vilaine promesse. Ma servante me dit un soir, à la croisée de mon jardin, en me montrant une ravissante personne qui se promenait dans un jardin du voisinage: «Monsieur, si vous l’aviez seulement voulu pour vous faire plaisir, vous auriez épousé notre jolie voisine!»

» En ce moment, la jolie voisine se baissa tout doucement, au-dessus d’une touffe de petits arbustes en fleurs; je me troublai sans doute... Et ma vieille servante reprit en souriant: «Ne soyez pas jaloux... elle cueille des fleurs... mais ce ne sont point des violettes.»

» La dame aux violettes se promena longtemps dans son jardin. Elle portait une robe blanche, et je pouvais la suivre des yeux, malgré la nuit venue. Je m’écriai tout à coup, en m’adressant à la vieille Marguerite: —«Je ne la vois plus! — Suivez le bout de mon doigt... me répondit la servante... Regardez bien, là-bas, au fond... elle est assise derrière le cyprès.»

» Dès ce moment, le souvenir de la famille, le regret de l’enfance, l’attendrissement des jeunes années me gagnèrent de nouveau. Ma petite ville se dépeupla pour la seconde fois; je cessai d’apercevoir les passants; je recommençai à croire que l’on ne vivait plus autour de moi. Je m’échappai un matin, dans un jour de tendresse et de faiblesse, un de ces jours que j’appelais des journées de violettes; je m’en retournai dans le monde des amours faciles et des fleurs joyeuses, dans un monde où l’on peut devenir amoureux très-souvent, sans être forcé d’aimer une seule fois.

» J’ai longtemps oublié dans le bruit, dans la dissipation, dans le plaisir, cette pauvre aventure de ma jeunesse: en vieillissant, je me la rappelle encore; je me la rappelle toujours, lorsque des mendiantes, vieilles femmes ou jeunes filles, viennent me tendre la main en m’offrant des fleurs. Ces malheureuses me donnent bien plus qu’elles ne reçoivent: elles me donnent une espèce de chagrin qui me fait plaisir.»

Le héros de cette petite histoire s’avise ordinairement de prêter à son récit une conclusion philosophique; la voici: «Quand nous les recevons d’une femme bien aimée, les plus jolies fleurs du monde finissent par ressembler à des branches de cyprès.»

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