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Moi qui vous parle, trop longuement peut-être, du secret de certaines aumônes, j’adresse plus d’une fois ma petite offrande de charité, avec une douce préférence, aux pauvres diables qui mendient en jouant de l’orgue de Barbarie; j’ajoute bien vite que j’ai horreur de ce vilain instrument, dont la musique stridente et sauvage déshonore les plus belles mélodies du monde. L’orgue de Barbarie ressemble à un sot qui, en parlant d’un grand homme, trouve toujours le moyen de le rendre ridicule.

Lorsque je me surprends à écouter un orgue, le bruit de ma mémoire se mêle aux sons étouffés de cette déplorable musique. L’orgue qui gronde à mon oreille, c’est une voix qui arrive de loin pour me parler de choses heureuses ou malheureuses. L’orgue qui pleure, c’est pour moi un monde tout entier qui recommence à vivre en ressuscitant ma jeunesse. Comme les proscrits qui retrouvent la patrie absente dans l’écho d’une chanson, je retrouve souvent ma vie entière dans les harmonies confuses d’un orgue. A travers les sons équivoques de l’orgue, je crois reconnaître des voix amies qui n’ont rien perdu de leur ancienne tendresse; chacune de ces affreuses notes, arrachées à un instrument vulgaire, me laisse entendre, dans une espèce d’accompagnement mystérieux, de caressantes paroles que semblent m’envoyer des amitiés absentes ou des affections éteintes: ce sont des airs charmants, empruntés au répertoire de mes premières espérances; ce sont des mélodies intimes, que j’ai entendues déjà, là-bas, bien loin, dans le concert de mes jeunes années.

Pourquoi et comment je rêve de la sorte tout éveillé, — je n’en sais rien; ce qui est vrai, ce qui est bien doux, ce qui est bien triste peut-être, c’est que l’orgue de Bar barie a la puissance de m’émouvoir, de me rajeunir, de me faire vivre autrefois. Oui, en écoutant le vacarme d’un orgue, je deviens plus jeune, plus ardent, plus crédule et plus faible; je souffre encore, et je suis heureux de souffrir; je recommence ma vie, pour l’adorer peut-être; je murmure des mots que je croyais ne plus savoir dire; je tremble, comme si je prenais quelque plaisir à craindre pour moi-même; j’entrevois des visages que je redoute et que j’aime toujours; je salue les belles années qui passent dans la rue, sur une litière de fleurs; il s’en échappe des souvenirs, des secrets et des parfums que l’on a trop bien connus, que l’on reconnaît tout de suite, avec une émotion qui va jusqu’aux larmes, les larmes dont parle le poëte:

Ah! laissez-les conler! Elles me sont bien chères,

Ces larmes que soulève un cœur encor blessé ;

Ne les essuyez pas!... Laissez sur mes paupières

Ce voile du passé !...

C’est à cause de cela qu’il m’arrive souvent de faire l’aumône aux mendiants qui jouent de l’orgue.

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