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III
Оглавление» A compter de ce jour, Stéphen, qui commençait à s’entendre chanter à merveille, se promit de courir, en chantant, à la gloire et à la fortune; de son côté, Mignon se promit de l’aider de ses conseils, de ses souvenirs et de ses leçons: elle voulut être la première à le seconder, à le diriger en secret dans ses nouvelles études; elle devint son maître à chanter et à aimer!
» Lorsque Stéphen, après une assez longue absence, reparut sur le théâtre impérial de Vienne, l’auditoire tout entier faillit ne plus reconnaître la voix du chanteur. Cette voix était devenue souple, agile, pénétrante, spirituelle, amoureuse, merveilleuse. Jamais l’on n’avait rien entendu de plus éclatant et de plus doux, rien qui fût plus expressif et plus passionné que le chant de cet admirable artiste. Le cœur de Mignon avait chanté par là.
» Mignon se sentait bien fière et bien heureuse du talent et de la gloire de Stéphen. La pauvre fille étudiait du matin au soir, pour mieux enseigner à la voix de son amant les moyens les plus ingénieux dans l’art de chanter, les ressources les plus difficiles de la musique, tous les mystères de la perfection. Le talent de Stéphen était son chef-d’œuvre: oui, c’était véritablement le cœur de Mignon qui chantait sur un théâtre de Vienne, avec les lèvres de Stéphen!
» Pourvu que son bien-aimé l’aimât encore et eût la bonté de le lui dire; pourvu qu’il daignât lui offrir les bouquets et les couronnes que le public adressait au merveilleux chanteur; pourvu que Stéphen lui rendît ses précieuses leçons et ses doux conseils en serments et en tendresses, la jeune fille croyait ne rien avoir à demander, rien à désirer dans le monde.
» La joie de Mignon ne devait point durer; son bonheur allait finir aussi vite qu’un roman.
» Dans l’orgueil et dans l’ivresse du triomphe, Stéphen commença par ressembler au héros d’une de vos pièces françaises: lorsque le Joueur a séduit et enchaîné la Fortune, il dédaigne, il oublie, il raille le bel amour d’Angélique; lorsque la Fortune le trahit et l’abandonne, il revient tout galant à la femme qui l’aime, et il se reprend à l’adorer! Eh bien! il en fut ainsi de la grande passion de Stéphen: quand il jouait de bonheur avec l’enthousiasme de son auditoire, adieu la beauté, l’esprit, la tendresse et le dévouement de Mignon! Quand il pensait avoir à se plaindre du public, quand il croyait avoir perdu un peu de son admiration et de son enthousiasme, il redevenait charmant pour la jeune fille; il la trouvait encore bien jolie, bien spirituelle, ravissante, et il l’adorait!
» Stéphen s’imagina bientôt qu’il n’avait plus besoin d’emprunter quelque chose de mélodieux au goût, aux leçons, aux baisers, à la voix et au cœur de Mignon. Il finit par ne plus voir en elle qu’une pauvre fille qui était bien à plaindre, une maîtresse fidèle qui avait bien de l’amour, une amie dévouée qui avait bien de la résignation!
» Stéphen se plaisait à vivre dans le monde de la galanterie fardée, dans le royaume équivoque des coulisses. Mignon avait un grand tort aux yeux de l’artiste: elle n’était pas une comédienne; elle ne recevait à ses pieds ni amants, ni flatteurs, ni esclaves, ni poëtes; elle ne portait point sur sa tête une couronne de fleurs fanées, et ses gra cieux vêtements n’étaient point des oripeaux de théâtre; elle avait la figure rose sans avoir besoin de la peindre, des mains blanches sans avoir besoin de les blanchir, l’haleine douce sans avoir besoin de la parfumer; non, elle n’était pas une comédienne: elle se contentait d’être une femme! Mignon ne songea point à se plaindre, à se désoler; elle se condamna peut-être à se laisser mourir le plus tôt possible sans se tuer.