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II
Оглавление«Un jeune chanteur du théâtre impérial de Vienne aperçut un jour, dans les allées du Prater, une jeune fille gui chantait pour les passants, avec une voix intelligente, distinguée, douce et mélancolique.
» Le chanteur s’approcha de cette jolie enfant et lui demanda son nom.
» — Je suis Mignon; ce matin encore, j’appartenais à une troupe de sauteurs et de baladins; mais mon petit talent déplaisait à mon maître le saltimbanque: il voulait m’enseigner la danse, et je n’ai voulu apprendre que la musique; il m’obligeait à faire des sauts périlleux, et je ne fais avec plaisir que les gammes et les roulades; il ne voyait en moi qu’une misérable baladine, et il me semble que je ne suis bonne qu’à devenir une chanteuse.
» — Et votre maître, Mignon, où est-il maintenant?
» — Je n’en sais rien, monsieur; il m’a battue et il est parti!
» — Et vous, Mignon, qu’allez-vous faire?
» — Je vais chanter, pour n’avoir pas l’air de mendier.
» — Voulez-vous me suivre, Mignon?
» — Qui êtes vous?.. On ne suit pas tout le monde!
» — Je suis un artiste, qui chante moins bien que vous ne chantez, Mignon... mais qui adore les jolies voix et les jolies chanteuses.
» — Un artiste! un chanteur! s’écria la jeune fille; donnez-moi votre main... vous êtes mon maître, monsieur, et votre humble servante est prête à vous suivre!
» Un mois après cette rencontre, le chanteur qui se nommait Stéphen et la chanteuse qui se nommait Mignon étaient déjà les deux meilleurs amis du monde, —des amis, ni plus ni moins. Ils chantaient ensemble tous les jours; ils vivaient dans les roulades et dans les cadences d’un duo interminable. En pareil cas, la musique chantée à deux ressemble à la calomnie: il en reste toujours quelque chose; pour Stéphen et pour Mignon, il en resta beaucoup d’amour et beaucoup de peine.
» Un soir; Stéphen venait de chanter la délicieuse fantaisie de Mio tesoro; Mignon se tenait immobile, aux pieds du chanteur qu’elle admirait en silence. Une larme tomba tout à coup sur le front de la jeune fille; elle s’écria, en levant sa petite main pour essuyer les pleurs de son ami:
» — Stéphen, si vous êtes malheureux, que deviendra Mignon?
» — Regarde-moi, lui répondit Stéphen: est-ce qu’il y a du malheur dans mes larmes?
» Mignon s’agenouilla devant l’artiste qu’elle appelait son maître: elle appuya sa jolie tête sur les genoux de Stéphen, sans prendre garde à sa longue chevelure noire qui jouait sur ses belles épaules et qui oubliait la présence d’un jeune homme. Stéphen essaya de relever la jeune fille, — et au même instant, il sentit glisser sur sa main une grosse larme tombée des yeux de Mignon. Il lui dit à son tour:
» — Si tu es malheureuse, que deviendra Stéphen?
» — Regardez-moi bien, lui répondit Mignon; est-ce qu’il y a du malheur dans mes larmes?
» — Mignon, ma belle Mignon! s’écria Stéphen, pleure encore dans mes bras... Pleurons ensemble, si près, si près l’un de l’autre, que nos deux cœurs devineront en tressaillant le secret de nos yeux qui pleurent!
» Stéphen lui donna un baiser, que Mignon daigna peut-être lui rendre; avec une jeune fille qui vous aime, un baiser ressemble à un bienfait: il est rarement perdu. En ce moment, — l’âme encore troublée de cette caresse qu’il avait donnée et reçue, — l’artiste amoureux ne trouva rien de plus galant à faire que de répéter le Mio tesoro, en regardant, en contemplant, en adorant Mignon. Il chanta avec une verve et une inspiration sans pareilles; jamais sa voix n’avait été aussi pure, aussi brillante, aussi charmante qu’en ce moment de joie et d’amour. L’on eût dit que le chanteur venait de trouver le goût, le sentiment, la passion et le génie de la musique, dans un seul baiser, sur les lèvres de sa maîtresse, dans le cœur de Mignon!
» C’est ainsi que dans la vie intime des grands artistes, des hommes d’élite qui vivent par l’imagination, par le cœur, par l’esprit, il se cache presque toujours une femme, une muse, une Égérie, une enchanteresse qui les aime, et qui les inspire de ses larmes ou de ses baisers.