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IV
Оглавление» La santé de la jeune fille s’altérait chaque jour, et d’une façon alarmante pour tout le monde, excepté peut-être pour Stéphen. Mignon s’efforçait en vain de lutter contre la souffrance, contre la faiblesse, et un soir elle tomba presque mourante dans les bras de son médecin.
» Quand elle revint à elle, bien avant dans la nuit, pâle, méconnaissable, sans mouvement et sans voix, Mignon aperçut au chevet de son lit, au-dessus de sa tête, Stéphen qui se penchait tristement vers la jeune malade, comme pour lui parler à voix basse, sans doute pour la plaindre et la consoler. Elle le remercia de sa visite, de son doux regard, de sa tristesse, avec un sourire, avec un soupir et avec une larme.
» — Chère Mignon! lui dit Stéphen, Dieu lui-même a voulu me punir et vous venger!
«— Dieu m’a vengée? murmura Mignon.
» — Oui! désormais, c’en est fait de ma gloire et de ma fortune! Le jour où j’ai commencé à vous oublier, à vous trahir, chère Mignon, j’ai ressenti le premier effet de la colère divine!
» — Qu’est-ce donc, Stéphen?
» —.Je ne chante plus, Mignon!.. les derniers sons de ma voix se sont envolés avec les derniers soupirs de votre bonheur! J’ai perdu tout ce que je devais à la secrète inspiration de votre amour! Dieu a soufflé sur mes lèvres, Mignon... et les chants ont cessé !
» — Vous ne chantez plus, Stéphen?
» — Je ne chanterai plus jamais, Mignon!
» — Vous chanterez encore! s’écria la jeune malade; vous chanterez... s’il vous plaît de m’aimer et de m’obéir... écoutez-moi.
Stéphen s’agenouilla.
» — Je n’ai plus de force, je n’ai plus de mémoire, je vous vois à peine... et je sens que je ne tarderai pas à mourir! Eh bien, ami, à l’heure, à la minute de ma mort, cette nuit sans doute, vous viendrez tout doucement jusqu’au chevet de mon lit: vous pencherez votre front sur le visage de celle qui vous a tant aimé ; vous devinerez, au trouble de mes regards, à la pâleur de ma figure, à l’agitation de mes traits, que le dernier souffle va s’échapper de mes lèvres!.. alors, ami, vous m’embrasserez dans une étreinte suprême; votre bouche se posera sur la mienne; vous sentirez que j’expire... et votre dernier baiser recueillera le cœur de Mignon!... Si vous daignez le bien garder tout près du vôtre, pour l’écouter encore, vous retrouverez ce que vous aviez naguère, la voix, l’éclat, le sentiment et la passion d’un artiste inspiré ! Mon bien aimé, tu vas recevoir dans ton cœur le cœur amoureux de Mignon: mon cœur vivra dans toi, Stéphen! pourvu qu’il ne soit avili ni par tes actions, ni par tes pensées, ni par tes paroles, mon cœur soufflera dans ta voix des notes admirables, des trésors de mélodie et de poésie; pourvu qu’il te souvienne de la pauvre fille que tu as adorée, le cœur de Mignon te sera fidèle et te portera bonheur!
» Quelques heures après cette scène, la jeune fille vivait encore... mais elle allait mourir: Stéphen lui donna un long et douloureux baiser; elle exhala son dernier soupir, et le cœur de Mignon passa dans le cœur de l’artiste.
» Deux ou trois jours après la mort de Mignon, Stéphen se hasarda, bon gré mal gré, dans la chambre de la jeune fille. L’aspect de cette triste chambre inspira au pauvre artiste de singulières idées, des regrets bien amoureux, des enfantillages de sentiment, qui tenaient de l’ivresse ou de la folie. Il touchait, un à un, douloureusement, délicieusement peut-être, des chiffons, des livres, des papiers, des riens qui avaient appartenu à sa maîtresse! il baisait la trace de ses petits pieds, tout le long du tapis! il répétait devant un fantôme des mots de tendresse qu’il avait dits si tendrement à une femme! il caressait la tête de Mignon sur un oreiller qui ne portait plus cette jolie tête! il babillait avec des fleurs toutes nouvelles, que Mignon n’avait pas eu le temps de cueillir! il écoutait le chant de quelques oiseaux, qui avaient bien souvent chanté pour elle! il regardait l’horizon qu’elle avait contemplé tant de fois, les étoiles qu’elle avait admirées sans doute, et les beaux nuages qu’elle avait vus passer dans le ciel! Mignon devait être contente, là haut, bien heureuse et bien fière: n la regrettait, on la pleurait, on l’aimait encore.
» Il sembla tout à coup à Stéphen qu’une voix mystérieuse, aussi douce que la voix de sa maîtresse, lui disait bien bas à l’oreille: «Tu peux chanter... Dieu te pardonne, et je t’inspire... chante!»
» Stéphen essuya ses larmes. Il alla s’asseoir devant le piano de Mignon. Il préluda d’une main tremblante, les yeux à demi-tournés vers le ciel où il espérait d’entrevoir une femme bien aimée; il essaya de chanter... Et soudain, ô miracle!... il chanta, d’une voix qui lui rappelait ses plus belles inspirations, le Mio tesoro qu’il avait si bien chanté autrefois, en pleurant aux pieds de sa maîtresse! C’était le cœur de Mignon, un cœur amoureux, qui chantait encore avec Stéphen.
» Depuis ce moment-là, Stéphen ne chanta jamais sur un théâtre sans penser à Mignon; il avait aimé sa personne: il adora son souvenir, et cette adoration de sa mémoire porta bonheur à son talent.»