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Un des préjugés les plus injustes qui se soient accrédités, c’est celui qui reproche à l’avocat de plaider tour à tour et indifféremment le pour et le contre. Beaucoup de personnes paraissent croire que dans tout procès, il y a nécessairement une cause qui est bonne et l’autre qui est mauvaise, que d’un côté est le bon droit, de l’autre l’injustice, et que tout cela apparaissant avec la dernière évidence aux yeux de l’avocat, il fausse en quelque sorte sa conscience, quand il prête son ministère à la mauvaise cause. C’est un sophisme d’ignorance qui ne devrait jamais se rencontrer dans la bouche d’un plaideur. Quand deux parties viennent vider leur différent devant les tribunaux, qui donc croit réellement avoir raison? toutes deux. Qui donc a raison? souvent toutes deux. Quand il s’agit de questions de fait, les réticences des parties et la passion qui s’en mêle ne permettent pas toujours de distinguer où est la bonne foi; quand il s’agit de questions de droit, il est souvent aussi difficile de décider dans un sens que dans l’autre; et c’est pour cela que plusieurs tribunaux jugent souvent d’une manière différente ou opposée la même question; c’est pour cela que des jugements rendus de telle manière en première instance sont décidés de telle autre en appel et se trouvent en fin de compte cassés devant la cour suprême, enfin que la divergence s’établit même dans les arrêts de la cour de cassation: jugements contraires en première instance, arrêts contraires en appel, arrêts contraires devant la cour de cassation. Où donc est en pareil cas le fondement des reproches adressés aux avocats de plaider facultativement le pour et le contre? Il faut ne pas oublier que la justice est l’œuvre la plus difficile de l’esprit humain; ainsi le veut la faiblesse de nos facultés qui ne peut s’étendre à toutes les conséquences des principes, des idées et des faits dont la combinaison si compliquée s’offre à tout instant comme une énigme à l’esprit de l’avocat, comme à celui du juge.

Dans les questions qui sont purement de fait, on oublie que par une assimilation providentielle l’avocat s’identifie avec toutes les idées, quelquefois avec toutes les passions de son client; c’est une grâce d’état, c’est la sauvegarde de la défense, c’est une loi providentielle encore un coup.

Si l’on connaissait mieux les secrets de la profession, on serait bien persuadé de cette vérité que l’avocat croit presque toujours à la justice et à la bonté de sa cause. C’est ainsi, par exemple, que dans les affaires criminelles, beaucoup de personnes s’imaginent que l’avocat, quand il plaide pour un infortuné, sait intimement qu’il est coupable et qu’il en impose à la justice par ses dénégations, c’est encore un préjugé déplorable; où serait sa force, où puiserait-il son éloquence? où trouverait-il ses accents, s’il ne parlait qu’avec le sentiment d’une erreur artificieusement combinée. Sans doute il est souvent obligé de jeter un voile sur des faits qu’il n’ignore point, de taire des circonstances qui lui sont connues; il est de pieuses réticences. Mais combien de fois l’avocat lui-même n’ignore-t-il pas la vérité ? Combien de fois les accusés ne la cachent-ils pas à leur défenseur, combien de fois l’innocence aussi n’est-elle pas le seul secret de l’accusation? Et c’est dans ces moments-là que le rôle de l’avocat apparaît dans toute sa grandeur, lui dont le cri d’alarme arrête si souvent le bras de la répression en éclairant la justice, à l’œuvre de laquelle il concourt.

Le Barreau de Paris

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