Читать книгу Le Barreau de Paris - Maurice Joly - Страница 16
IV
ОглавлениеMais, il faut bien le reconnaître, la pureté de la diction, l’éclat du style et des images ne sont pas les uniques attributs de l’éloquence de Gorgias; il n’a pas que l’élégance et la grâce, il a la puissance et la force, contraste étonnant, qui est un des priviléges de son organisation, comme un des secrets de son influence; on ne peut pas dire de lui comme d’Isocrate qu’il n’est qu’un joueur de flûte, car il suffit de frapper Gorgias pour faire rendre tout à coup à sa poitrine le son de l’airain. Dès qu’on l’attaque, il se transforme d’une manière terrible: il a les bons imprévus du lion, il en a les morsures profondes; il déchire à l’instant même son ennemi. Sa réplique a des retours offensifs que l’on ne soutient pas, des réticences formidables: des réticences, car la mesure ne l’abandonne jamais; il a la colère froide, ce qui lui permet de voir d’un coup d’œil la place où il doit frapper. Cette parole qui, pendant trente ans, a appris à se modeler et à se contenir, est sûre de ses coups comme un glaive dans la main d’un maître d’escrime; sans efficacité pour convaincre, elle a tout ce qu’il faut pour donner la mort. Il est à regretter seulement que ce ne soit pas uniquement pour se défendre que Gorgias fasse usage de ces arme3 dangereuses; il attaque souvent sans provocation. Comme Timon, son confrère, il excelle dans l’art d’insinuer le soupçon, d’évoquer des souvenirs cruels, d’incriminer les intentions; mais il a le courage de toutes ses audaces, il offre sa poitrine à tous les coups, il les provoque, il les attend, il les brave; il ne sait pas ce que c’est que fléchir devant les hautes influences, il arrache les masques quels que soient ceux qui les portent: abrités derrière lui, ses clients, s’ils ne gagnent pas leurs procès, savourent du moins à longs traits le plaisir de la vengeance; ils voient expirer leurs adversaires, ou ils ont la satisfaction de leur avoir fait.des blessures qui ne guériront pas de longtemps. Quels trésors d’ironie! Qui ne l’a vu dans ces moments-là, quand il se tient à la barre de la défense, devant le peuple assemblé, dirigeant vers son adversaire une main accusatrice, secouant sa chevelure, emmêlée, avec sa barbe blanchie qui se retourne en forme de croc, avec sa lèvre qui s’avance toute chargée de sarcasmes, avec ses larges épaules qui se tournent et se retournent comme pour suivre les évolutions de sa pensée! Dans ces moments-là, son style s’élève comme les strophes de Pindare; il monte comme lui jusqu’aux nues, et il y ravit le tonnerre pour le faire tomber aux pieds de son ennemi.