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III

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Il y a dans la profession d’avocat une grandeur idéale qui s’empare de l’imagination d’une manière toute puissante, et c’est ce qui explique le prestige qu’elle exerce sur les hommes de toutes les conditions; ce que le peuple aime surtout chez l’avocat, c’est son désintéressement, sa haine incarnée de l’injustice, son attitude inébranlable dans la défense des intérêts qui lui sont confiés, la cordialité si franche de ses manières, la hardiesse de son langage devant les adversaires les plus puissants.

Mais, à un point de vue plus général, à quelle hauteur son rôle ne s’élève-t-il pas? Il est chargé de la mission la plus imposante qui puisse être déléguée sur la terre: le droit sacré de la défense; quand il s’agit de l’honneur et de la vie d’un de ses semblables, il n’appartient à aucun pays, à aucune opinion, c’est l’homme de l’humanité ; sollicité par toutes les infortunes, il les accueille toutes avec une égale piété ; il fait entendre le cri de toutes les souffrances, il exhale des douleurs, des tourments, des combats de l’âme humaine, auxquelles il ne manque que l’éloquence pour arracher des larmes; il fait tressaillir la pitié devant des actes qui n’inspiraient, au premier abord, que la vengeance; il explique par quelles gradations terribles l’homme, à travers les misères, est conduit au crime après des tortures sans nom ou par des fatalités d’organisation dont la Providence seule a le secret.

Parler au nom des plus grands intérêts publics et privés, soulever les plus hautes questions de droit, agiter les plus grands problèmes de la vie sociale en s’inspirant aux sources les plus pures de la loi morale, se porter le soutien des faibles, résister à la puissance avec un front sévère, voir chaque jour dans sa main l’honneur, la fortune et la vie des hommes, quel rôle magnifique pour l’avocat! Et cependant qu’est - il? Rien. Il n’a qu’un mandat volontairement donné, il n’a qu’un droit, celui de parler librement dans la mesure des intérêts qui lui sont confiés, mais cela suffit pour imprimer à sa mission un caractère d’incomparable grandeur; pour peu qu’il ait de talent, l’avocat est un être à part qui prend une position exceptionnelle, étonnante, au sein de la société ; obscur et perdu dans la foule, il porte dans sa tête le souci des plus grands intérêts, n’ayant de guide que sa conscience, d’autre loi que celle de son honneur, il apparaît lui-même comme une magnifique personnificateur de la liberté et du devoir.

Appelé à prévenir les procès comme à les suivre, fait pour concilier en même temps que pour combattre, apôtre militant comme ces anciens chevaliers de Malte engagés à la fois dans le sacerdoce et dans l’armée, sa mission participe vraiment de celle du soldat et du prêtre, ces deux grandes figures sociales, à côté desquelles il apparaît sur le même plan.

Dépositaire inviolable des secrets comme le prêtre, il agit comme lui par la persuasion et les conseils, rapprochant les intérêts, apaisant les ressentiments, usant enfin comme lui de son influence personnelle pour faire composer les sentiments mauvais; mais, tandis que le prêtre, renfermé dans le sein de la famille ou du sanctuaire, n’entre point en contact avec le mouvement extérieur de la société, l’avocat s’élance au milieu de la vie, se mêle à toutes les agitations du monde, à toutes les passions de son époque, à toutes les tempêtes; comme le soldat, il s’expose de sa personne et découvre sa poitrine au danger, soit qu’il affronte des adversaires tout puissants, soit qu’il démasque de ténébreuses intrigues, soit qu’il s’oppose aux rancunes du pouvoir en défendant sans ménagement ceux sur qui s’appesantit l’odieuse main de l’arbitraire.

Et, à côté de tout cela, la mission de l’avocat présente un côté austère qui ramène encore une fois les idées de dévouement et d’abnégation, sa profession est trop remplie par de grands devoirs pour qu’il lui soit permis de la concilier avec d’autres occupations, pour qu’il-puisse se mêler, soit au commerce, soit à l’industrie, soit même accepter une position dans l’État; il n’y a que les lettres qui ne le fassent pas déroger; l’idée du lucre est si antipathique à la dignité de cette profession qu’elle ne permet pas à l’avocat de réclamer le prix des services qu’il a rendus, et que par une fiction magnifique elle refuse d’y voir autre chose qu’un don volontaire de la part de ceux qu’elle a servis.

Le Barreau de Paris

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