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VI
ОглавлениеVoilà ce qu’il y a de vraiment idéal dans la profession d’avocat; nous espérons pourtant à peine en avoir donné une idée, car il est de l’essence des grandes choses de ne point se laisser définir; on ne peut que les affaiblir en y touchant.
Tant de travaux, tant d’épreuves, tant de luttes incessamment répétées, la vue des grandes choses et des plus petites, le spectacle toujours mouvant de la vie humaine, qui passe sans cesse devant les yeux de l’avocat, font que sa profession l’absorbe tout entier; il ne s’appartient pas, il n’a pas une heure pour songer à lui; plus sa profession lui a coûté, plus il l’aime; elle devient un culte pour lui, elle lui apparaît toujours de plus en plus belle, de plus en plus pure. Quand on est entré dans cette carrière, on n’en peut plus souffrir d’autre; c’est qu’aussi cette vie du Palais, ce mouvement continuel qui se fait autour de l’avocat, la diversité des affaires qui partagent son esprit, les visites des clients, les conférences avec les gens d’affaires, l’animation des luttes oratoires, tout cela est plein d’un attrait que rien ne fait oublier. En descendant de toutes les hauteurs du pouvoir, les hommes politiques retrouvent au barreau leurs plus beaux jours et leurs plus vivants souvenirs().
La pratique de cette profession empreint le fond des idées d’un caractère de philosophie exempt d’amertume, l’esprit d’une spontanéité et les manières d’un abandon, qui rendent la compagnie des avocats une des plus polies du monde. Il s’établit dans l’âme une tolérance sans effort pour les opinions et les caractères. Le courroux de l’avocat ne se soulève qu’à l’aspect de l’injustice; alors son front devient intrépide; enveloppé de sa robe, debout devant les magistrats, il est auguste, car il apparaît comme l’incarnation vivante du droit et de la liberté.
Dans le monde, ne relevant que de sa conscience et de sa dignité, il a une liberté d’allure qui lui est propre; homme de tous les pays et de tous les temps, vivant dans le monde des intelligences, placé sur un pied d’égalité avec les plus grands personnages, l’humilité comme l’orgueil, sont deux sentiments qu’il ne connaît pas; il est simple: personne n’est trop petit pour son regard; connaissant les plaies secrètes de la fortune, l’inanité des supériorités sociales et le peu qu’il faudrait aux hommes les plus obscurs pour rayonner dans les plus hautes sphères, il n’admire pas grand chose et il passe à travers la vie, portant sur son front la tranquille dignité de l’homme juste.