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Il y a à Athènes un fameux orateur que l’on appelle Gorgias, qui parle dans les assemblées du peuple, sur les affaires publiques, et devant les tribunaux, pour la défense des citoyens.

Comme orateur, Gorgias est le prince des sophistes; comme conseiller du peuple, il n’est pas de beaucoup supérieur à Cléon; mais c’est un de ces hommes auxquels il est donné d’acquérir de l’importance, parce qu’ils ont en eux deux leviers moraux d’une grande puissance: l’opiniâtreté et l’orgueil; aussi, quelqu’opinion que l’on puisse avoir de ses talents ou de ses vertus, il semble difficile de ne pas compter avec lui.

Né à Léonte, dans la 87e olympiade, il exerça tout d’abord dans cette ville la profession de rhéteur. Il avait, à ce qu’il paraît, l’habitude de mêler à ses leçons de violentes déclamations contre la tyrannie, mais, quoique jamais les libertés publiques n’eussent été plus en sûreté qu’à cette époque, ses doctrines démagogiques ne lui attirèrent pas moins beaucoup de partisans et de disciples; cependant le bruit de son nom n’avait pas encore à ce moment pénétré à Athènes, où la célébrité n’arrive quelquefois que vers le déclin de l’âge, tant le pays de l’Attique est fécond en talents de toutes sortes.

Pendant son séjour à Léonte, Gorgias prenait encore en secret les leçons de Plisthènes; c’est par des travaux obstinés qu’il parvenait peu à peu à façonner cette parole qui fait aujourd’hui l’admiration de presque tous ceux qui l’entendent. On prétend que la faculté d’improvisation lui faisait entièrement défaut en commençant, et que, pour s’approprier les secrets du langage, il écrivait ses discours jusqu’à ce qu’il eût épuisé toutes les manières différentes d’exprimer les mêmes pensées, de telle sorte qu’une phrase quelconque étant donnée, il fût en état de la finir dans la forme où elle se présentait. mais, malgré ses efforts, il ne parvint pas à triompher complétement de son organe, qui resta toujours affecté d’une sorte de râle, qui fatiguerait cruellement l’oreille si la magie de son style n’en effaçait à tout instant l’impression.

Il était fixé depuis longtemps à Athènes, où sa réputation d’orateur brillait au premier rang, lorsqu’éclatèrent les discordes civiles qui amenèrent un instant au pouvoir la faction dont il faisait partie; caché derrière Cléon, qui jouait alors un des principaux personnages de la république, il eut occasion de faire pour la première fois l’apprentissage du gouvernement, et il put se convaincre par lui-même qu’il est souvent plus facile de bien parler que de bien agir. On prétend que c’est lui qui rédigea avec la célèbre Aspasie, qui s’est toujours un peu mêlée de politique, le texte de ces fameux décrets qui firent tant crier à la tyrannie et dont les bravades impopulaires rendirent Cléon plus ridicule que redoutable. Après l’ostracisme de ce dernier, il cessa de participer au gouvernement, qui avait passé en d’autres mains; mais il lui succéda comme chef de la démagogie au sein des assemblées populaires. Cléon avait été son chef d’école à la tribune, il paraît procéder également de lui en politique.

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