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IV
ОглавлениеOn demandait un jour à Paillet quelles qualités un avocat devait réunir pour être complet; il secoua la tête sans répondre et laissa passer sur ses lèvres un de ces sourires que l’on ne traduit pas: «Donnez à un homme toutes les qualités de l’esprit, donnez-lui toutes celles du caractère, dit-il enfin, faites qu’il ait tout vu, tout appris et tout retenu, qu’il ait travaillé sans relâche pendant trente ans de sa vie, qu’il soit à la fois un littérateur, un critique, un moraliste, qu’il ait l’expérience d’un vieillard, l’ardeur d’un jeune homme, la mémoire infaillible d’un enfant; faites enfin que toutes les fées soient venues s’asseoir successivement à son berceau et l’aient doué de toutes les facultés, et peut-être, avec tout cela, parviendrez-vons à former un avocat complet.»
Voilà ce que disait un jour Paillet, exagérant à dessein sa pensée pour faire comprendre ce qu’est une profession dont les difficultés sont si grandes, qu’elles semblent de beaucoup au-dessus des forces du commun des hommes, en sorte que ce soit un très-grand succès dans cette carrière que de parvenir seulement à la médiocrité.
Quand on dit qu’il faut au moins dix années pour se faire une place au barreau, on exprime une vérité qui se confirme à la première expérience de cette profession; on n’arrive de suite aux grandes affaires ni par la force, ni par l’adresse, ni même par le talent.
La maturité de l’esprit est un fruit tardif qui ne se cueille qu’après le talent, qui n’arrive lui-même qu’après des travaux dont on ne soupçonne point en commençant les effrayantes proportions, car on reculerait devant elles,
La science du droit par elle-même, il ne faut pas songer à en faire sentir les difficutés, c’est peut-être le plus vaste des mondes de l’intelligence, et celui où l’esprit a besoin des facultés les plus pénétrantes et les plus justes, où le jugement doit s’exercer avec plus de rigueur,
Appelé, par la diversité des intérêts qui lui sont confiés, à étudier les questions les plus étrangères en apparence à la science du droit, l’avocat est conduit peu à peu à parcourir l’universalité des connaissances humaines.
Dans la sphère du droit pénal, appelé à mesurer le degré de culpabilité, il doit connaître toute la série des caractères humains, sonder tous les abîmes de la conscience à l’aide de la philosophie et de la morale, en connaître au moins tous les systèmes généraux parce que les actions de la plupart des hommes s’expliquent, non-seulement par leurs passions, mais par les principes moraux, philosophiques ou religieux, qui gouvernent à leur insu leur esprit, et avec lesquels ils excusent intimement leurs fautes.
Mais en supposant à l’avocat toutes les connaissances qui lui sont nécessaires, en lui supposant les plus solides qualités de l’esprit, la nature n’a rien fait pour lui si elle ne lui a donné une faculté, qu’elle donne comme la force du corps ou la beauté, le don de la parole.
L’improvisation est certainement un des phénomènes les plus subtils de l’organisation humaine. Parvenue à son dernier développement, elle donne à la parole toutes les qualités de forme et de fond qui ne s’obtiennent dans les ouvrages d’esprit qu’à force de travail et de patience: la correction et le mouvement du style, la liaison et l’enchaînement des idées et par dessus tout un art de les présenter, qu’aucune préparation ne peut donner. C’est ce que l’on appelle d’un mot merveilleusement expressif: l’inspiration qui suscite à un moment toutes les facultés et les arrache à la pesanteur terrestre pour les faire jouer sans effort tant que durent les causes de surexitation sous l’influence desquelles l’esprit est placé.
Aussi tandis que l’écrivain torturé, par la recherche de la forme, se désespère la plume à la main, l’orateur voit s’envoler avec profusion de ses lèvres les formules faciles qui prennent les contours de sa pensée. Il y a dans les plaidoiries des expressions, des tournures de phrases que l’on ne trouverait jamais en les cherchant, et qui raviraient si on pouvait se les approprier en écrivant.
Mais il ne faut pas songer à dire au prix de quels efforts tout cela s’obtient; les difficultés d’exécution de la plaidoirie sont pour les plus anciens un éternel sujet de doléances. Il en est qui ne sont jamais contents d’eux, qui s’informent toujours avec crainte de la façon dont ils ont plaidé ; c’est une émulation qui fait le tourment et le bonheur de la vie et exalte au delà de toute expression le sentiment de la responsabilité.