Читать книгу Le Barreau de Paris - Maurice Joly - Страница 15
III
ОглавлениеMalheureusement toutes ces merveilles oratoires ressemblent trop à des tours de force et d’adresse; c’est un écueil que Gorgias n’a pas su éviter, loin de là : Un jour, on l’entendit déclarer en plein théâtre qu’il était prêt à parler sur quelque sujet qu’on voulût lui proposer, s’offrant de soutenir avec une égale facilité le pour et le contre, le vrai et le faux. Du moins c’est Aristophane qui raconte cette circonstance et l’on n’est pas tenu de l’en croire, car il invente ce qu’il lui plaît pour se jouer des hommes publics.
Quoi qu’il en soit Gorgias semble plus faire état de parler bien que de parler juste, de plaire que de convaincre, d’éblouir que de persuader: aussi quand il plaide devant les tribunaux, quelque ardeur qu’il mette en apparence à défendre ses causes, on dirait qu’au fond il lui est indifférent de les gagner ou de les perdre; on devine qu’il n’est sensible qu’au plaisir de s’entendre parler, qu’il ne s’attache qu’à l’agrément et à la force de ses expressions(), qu’il ne cherche qu’a étonner par l’art avec lequel il sait soutenir les propositions les plus invraisemblables, ébranler les vérités les mieux établies, semant le doute dans les consciences comme le laboureur sème le blé dans les sillons. Aussi, par la logique même des choses, c’est toujours à lui que viennent les affaires les plus bizarres, les plus scabreuses, les plus impossibles(), les procès en désaveu de paternité, en captation de testament, les demandes en divorce fondées sur l’impuissance du mari, et bien d’autres causes dont lui seul a le privilége de glisser dans l’oreille du juge les moyens problématiques ou les détails équivoques, tant il a par excellence l’art de dire les choses difficiles.
Le chef de l’aréopage disait dernièrement de lui, qu’il était l’avocat des causes sans espoir dans les cas les plus désespérés. Il est difficile, en effet de perdre plus de procès que Gorgias: ses plaidoiries sont des oraisons funèbres; mais quel talent et quel style! quelles phrases charmantes n’ont pas vibré dans les airs! quel cygne à sa dernière heure! quel rossignol, au fond des bois, eût fait entendre de tels accents!