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LA BALLADE POPULAIRE EN ALLEMAGNE

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L'influence anglaise, qui avait commencé à se faire sentir en Allemagne vers le milieu du XVIIIe siècle, révéla aux Allemands le rôle que la chanson populaire pouvait jouer dans un renouvellement nécessaire à leur Muse épuisée par des pastiches continuels du français, ou séduite par les romances «gongoresques» de Gleim.

Lorsque parurent les Fragments de Macpherson, ce fut, en Allemagne, une admiration quasi universelle pour la «noble et sauvage imagination» d'Ossian. Klopstock[231], Voss, Lerse célébrèrent «l'Écossais Ossian», comme «un plus grand poète que l'Ionien Homère». En 1773, Herder écrivit son Ossian et la poésie des peuples anciens[232]. Bürger, qui n'était alors que le poète de la Dame Schnips, avant de devenir celui de la Lénore, éprouva, lui aussi, une sorte de fièvre ossianique[233].

À l'Université de Gœttingue, Christian Heyne se fit le champion de Macpherson. Goethe, à son tour, s'inspira d'Ossian dans Werther et en d'autres endroits de ses œuvres. («Le divin Ossian a chassé Homère de mon cœur[234].»)

Le succès des Reliques de Percy fut encore plus vif et plus durable. Les ballades anglaises furent reçues avec un grand enthousiasme par le cénacle de Lessing[235], tandis que Herder poursuivait sa campagne en faveur d'une nouvelle poésie allemande vraiment nationale et populaire, qui ne serait plus ni une «bulle de savon classique» ni la poésie burlesque de son époque. «Sachez-le, écrivait Herder, sans contredit le plus actif médiateur de l'influence anglaise, plus un peuple est sauvage, c'est-à-dire vivant et agissant (le mot sauvage ne signifie rien de plus), plus aussi ses chansons, s'il en a, seront vivantes, libres, impressives, lyriques et dramatiques tout ensemble! Moins sa tournure d'esprit, sa langue et sa littérature sont artificielles et savantes, et moins sa poésie ressemblera à une versification de commande et à une lettre morte! C'est du lyrisme, de la vie, de la cadence, du chant, de la présence vivifiante des images, de l'accord et pour ainsi dire de la pression des faits et des sentiments, de la symétrie des mots, des syllabes et souvent même des lettres, de la nature, de la mélodie et de cent autres accessoires—qui sont le caractère propre et la vie de la poésie nationale et chantée, mais qui aussi disparaissent avec elle,—c'est de tout cela et de cela seul que dépendent la nature, le but, la force merveilleuse qui font de cette poésie l'enthousiasme, le ressort, la joie, le chant héréditaire et immortel du peuple. Ce sont là les traits avec lesquels cet Apollon sauvage perce les cœurs et fixe le souvenir. Plus un Lied doit durer, plus ces qualités qui tiennent en éveil les âmes doivent être énergiques et sensibles, pour braver la puissance du temps et les révolutions des siècles[236].»

Vers la fin de son Essai, il se plaignit du genre faux dans lequel était tombée la romance en Allemagne. «Vous déplorez, disait-il, que la romance, ce genre de composition originairement si noble et solennel, ait été mise chez nous au service de sujets burlesques ou scabreux, je le déplore comme vous. En effet, quel plaisir plus profond et plus durable ne laisse pas une de ces douces et touchantes romances de la vieille Angleterre ou des Provençaux; au lieu de nos récentes romances allemandes toutes pleines de railleries et de jeux de mots vulgaires et usés!»

En 1777, l'infatigable écrivain publia sa Dissertation sur la ressemblance de la poésie anglaise et allemande au moyen âge[237]; il y signala, entre toutes, la vieille poésie anglaise comme offrant aux poètes allemands les modèles les plus féconds à imiter, en même temps qu'il adressait un appel chaleureux au poète Bürger pour doter l'Allemagne d'un livre semblable aux Reliques: «Ah! si Bürger, qui possède à fond la langue et l'âme de ce sentiment populaire, nous donnait un jour un chant héroïque, une chanson de geste ayant la vigueur et l'allure de ces chansons [de Percy], qui de nous, ô Allemands! n'accourrait pas pour l'écouter avec ravissement? C'est lui qui en est capable: ses romances, ses chansons, même sa traduction d'Homère, abondent en de tels accents. Or, chez tous les peuples, l'épopée et le drame même sont nés des récits populaires, des romans et des chansons.»

Bürger, à proprement parler, n'entreprit pas la tâche que Herder lui avait proposée, mais, au point de vue purement littéraire, il fit quelque chose de plus: subissant l'influence britannique, il créa la ballade littéraire allemande. Il rompit avec la romance burlesque, puisa aux vieilles traditions germaniques, retrempa sa langue aux sources populaires, interpréta avec bonheur la rêverie, l'amour du fantastique, ces deux dons distinctifs de sa race, et inaugura avec la Lénore un genre dans lequel il sera suivi par des poètes tels que Goethe, Schiller, Uhland, Heine.

Ce fut alors Herder lui-même qui se proposa de faire pour son pays ce que Percy avait fait pour le sien. Mais, au lieu de recueillir exclusivement des poésies allemandes, il réunit dans son livre des poésies populaires de tous pays. Concevant l'histoire comme «le développement éternel de l'humanité, où chaque peuple n’est qu’un acteur dans un drame sans fin», il s’appliqua à saisir le génie de chaque nation, et cela non pas dans la littérature savante de nos jours, mais bien dans la poésie primitive et ancienne, «la seule vraie poésie» comme il l’appelait. Il est nécessaire de faire observer ici un détail que Mme de Staël a d’ailleurs fort justement remarqué dans son livre De l’Allemagne (2e partie, ch. XXX): l’allemand est une langue si malléable que, seule, elle permet de traduire la naïveté naturelle du langage de chaque pays. Aussi Herder put-il reproduire dans le rythme original tous les poèmes étrangers qu’il était parvenu à recueillir; il les publia enfin, en 1778 et 1779, sous le titre général de Chansons populaires[238].

J’ai étudié la pensée des différents peuples, disait-il dans sa préface, et ce que j’y ai découvert sans esprit de système et sans subtilité, c’est que chacun d’eux s’est formé des archives à lui en rapport avec sa religion, les traditions de ses pères, et ses idées particulières, que ces documents sont exprimés dans une langue, sous une forme et dans un rythme poétiques, que ce sont par conséquent des chants mythologiques et nationaux sur ses origines et sur ce qu’il y a eu de plus remarquable dans son passé. De pareils chants on en trouve chez chacune des nations de l’antiquité, qui, sans secours étranger et en suivant la voie de sa propre culture, s’est élevée seulement un peu au-dessus de la barbarie… L’Edda des Celtes_ (sic)_, les cosmogonies, théogonies et chants héroïques de la Grèce antique, les traditions des Indiens, des Espagnols, des Gaulois, des Germains et de tous les peuples barbares; tout cela est une seule et même voix et comme un écho isolé de ces traditions poétiques des premiers temps. Tout ce que dans notre âge de culture raffinée nous ne voyons de l’homme qu’en traits faibles et obscurs, est vivant dans les archives de cet âge éloigné.

Le succès des Chansons populaires fut aussi complet que leur influence fut durable et féconde. «Herder, dit Gervinus dans son Histoire de la poésie allemande, a frappé le rocher, et tous les courants poétiques de l’humanité, jaillissant à son appel, ont sillonné la terre allemande.» Un autre historien de l’Allemagne littéraire, A. Vilmar, n’hésite pas à attribuer à Herder l’honneur d’avoir révélé à la conscience du peuple allemand une de ses plus grandes qualités natives: la faculté de comprendre l'esprit étranger, de se l’assimiler, pour le transformer, et le projeter dans le monde[239].

En effet, cet amour du primitif et cette universalité de Herder eurent une double influence en Allemagne: ils frayèrent à la poésie d'autres chemins et découvrirent à la science une nouvelle branche d’études. Par cet ouvrage, Herder est à la fois le père spirituel de poètes romantiques tels que Achim d’Arnim et Clément Brentano, qui complétèrent ses Chansons populaires par un recueil à caractère plus national, le Cor enchanté de l’enfant (1808-1809), et celui de penseurs-érudits tels que les frères Grimm, qui soumirent la littérature traditionaliste à des recherches méthodiques et fondèrent ainsi le folklore et la mythologie comparés.

C'est ainsi que le romantisme allemand doit à ce réveil du goût pour la poésie populaire, non seulement sa note cosmopolite et médiévale (qui caractérise, du reste, tous les romantismes du monde), mais aussi, et surtout, sa note nationaliste et régionaliste, chose plus difficile à trouver—anticipons encore une fois—chez les romantiques de quelques autres pays et en particulier chez ceux de France[240].

§ 4



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