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CHAPITRE VII
LE MAL D’AMOUR

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Le lendemain de cette journée folle où Georges, uniquement pour braver et son ancienne maîtresse et Jules de Bayolles, un de ses meilleurs amis, qui ne perdait jamais l’occasion de lui être désagréable, s’était oublié à aller dîner chez Galathée, une scène navrante se passait à Saint-Cloud.

Une jeune fille qui n’avait eu que le tort de grandir tous les jours en beauté et en grâce, d’acquérir chaque jour un don de plus de l’esprit et du cœur, se préparait dans le plus grand calme à une mort horrible.

Jeannette de Nezel s’était, par la force des choses, laissée aller à aimer Georges. Présente lorsqu’un ami indiscret avait demandé à M. de Cerny quand on marierait les deux enfants, elle connut la douleur pour la première fois. Au regard que lança le comte à l’interrogateur, à la pirouette qu’il dessina en jetant au curieux une réponse sèche et un adieu glacial, Jeannette sentit son pauvre petit cœur se serrer. Une larme roula dans ses yeux, et vaguement elle comprit qu’elle allait avoir une lutte à soutenir, un chagrin à supporter, un ennemi à vaincre.

Le baiser maternel que le soir lui donna la comtesse lui parut plus tendre que de coutume. C’est qu’il était nuancé de tristesse.

A l’aurore nouvelle, la fauvette du jardin fit entendre ses joyeuses roulades; sa sœur du château ne lui répondit pas. N’était-ce pas ce matin même, sous quelques heures, que Georges allait partir avec le comte pour un an, deux ans peut-être? Oppressée, elle écoutait descendre et charger les malles. Mais si la douleur est toujours près de la joie, la joie est aussi presque toujours près de la douleur.

A l’heure du départ, Jeannette rayonna. A la pression de main, au baiser, à la parole de Georges, l’enfant sentit l’espoir renaître dans son cœur.

En la pressant sur sa poitrine, le jeune homme avait dit à sa compagne d’enfance: Au revoir, vicomtesse!

Pauvre Jeannette! Elle n’écouta que cette voix, elle n’entendit que ce mot, deux mélodies pour elle. Elle ne surprit pas le regard désolé de Mme de Cerny, auquel répondit le sourire sarcastique du comte.

Elle supporta gaiement les premiers mois de l’absence du bien-aimé, car alors Georges écrivait toutes les semaines à sa chère petite vicomtesse.

Au bout de trois mois, les lettres se firent plus rares et la pauvre Jeannette n’était plus que ma chère Jeannette. Plus tard, il fallut encore en rabattre: on ne l’appelait que ma chère enfant. Enfin, vint le jour où on ne connut plus de nouvelles de Georges que par M. de Cerny, le jour où la comtesse ne donna pas à Jeannelte la lettre du comte à lire, le jour où Mme de Cerny laissa savamment tomber de sa poche la lettre de son mari.

Vous l’avez deviné! Jeannette la ramassa, cette lettre. Elle la lut; elle apprit que Georges, amoureux fou de la comtesse Castellanova, ne parlait rien moins que d’épouser la belle Napolitaine.

Vaillante fille, elle ne voulut rien laisser voir de sa douleur à personne, elle cacha à tous et les battements de son cœur, et ses pensées intimes et ses espérances si brutalement dispersées.

Une seule personne surprit le secret de la jeune fille, mais le garda au profond de son cœur. Lavinio, qui demeurait au fond du parc, dans un pavillon qui faisait face au pavillon de Georges, Lavinio vit maintes fois Jeannette, aux premières et aux dernières heures du jour, alors que la comtesse était seule chez elle, venir errer sous le petit berceau qui encadrait la fenêtre du cabinet du vicomte, soigner mélancoliquement les fleurs que Georges préférait, et, jetant un regard à travers la croisée, envoyer avec un timide sanglot un baiser à l’image du bien-aimé.

Pauvre Lavinio! Il avait été vingt fois sur le point d’ouvrir son cœur à la comtesse. A quoi bon? Ce n’était pas la comtesse qu’il fallait avoir dans son jeu, mais bien le comte, le comte poursuivant implacablement son but. Et Lavinio avait gardé le silence, mais voué une tendresse de père à Mlle de Nezel.

Georges revint. A peine si on le vit à Saint-Cloud. Georges tenait maison à Paris. à Paris où il faisait scandale.

Infortunée Jeannette! Elle avait eu une heure, une seule heure de révolte. Elle avait songé un instant, le jour du retour, à aller se jeter dans les bras de Mme de Cerny, à crier à l’aide, à réclamer sa protection, à lui avouer son amour; elle avait pensé à tomber aux pieds du comte, à lui rappeler brutalement qu’on devait à sa mère la vie de Georges, que les jours de son frère avaient payé les jours de Georges, que Georges était à elle, qu’elle aimait Georges, qu’il fallait l’unir à Georges!

Mais cette heure de courage, elle n’avait jamais marqué au sablier du temps. L’accueil cordial mais léger du vicomte tua toute bravoure chez l’enfant.

Se voyant dédaignée, oubliée, elle se dit qu’elle ne tendait plus à aucun but ici-bas, et alors elle se laissa aller à la désespérance, cette épouvantable maladie qui vous rend pâle, qui vous bistre les yeux, qui vous cave les joues, qui vous rend le corps diaphane, qui vous fait muet jusqu’au jour où, comme la fleur languissamment penchée sur sa tige et qui meurt à la dernière caresse du soleil couchant, on quitte dans un râle joyeux cette terre de misère et d’ingratitudes.

Quelque égoïste qu’il fût, le comte s’aperçut de l’état de Jeannette. Il s’émut.

Malheureusement, il pensa ou il voulut penser que ce qui lui avait si bien réussi pour Georges devrait aussi sauver Jeannette.

Et un beau jour, l’air tout joyeux, il annonça à la comtesse et à Mlle de Nezel que, comme il ne voulait pas faire de jaloux, on allait voyager.

Jeannette sauta au cou de M. de Cerny.

L’enfant se sentait si heureuse d’aller voir la mer bleue, d’aller rêver sous les lauriers roses, d’aller dormir sous les orangers, d’aller mourir à la porte des pays du soleil!

Par exemple, elle voulut voir Georges.

N’avait-elle pas à lui dire adieu. adieu pour toujours!

Donc, le matin de ce jour, M. et Mme de Cerny devaient partir avec Jeannette pour gagner en touristes les environs de Cannes, s’arrêter aux sites pittoresques de la route, et voyager du reste par le chemin des écoliers.

Il était neuf heures du matin à peine. Dans le grand parc, sous l’ombre des arbres séculaires, les rouges-gorges, les fauvettes, les pinsons, tous les adorables chanteurs des bois gazouillaient en voletant, chez eux, familiers et joyeux; au travers des ramures humides, la lumière tombait goutte à goutte, douce et comme mouillée par la rosée du matin.

Blanche comme un lys, Mlle de Nezel se promenait lentement, pensive, triste, indifférente aux charmes du matin dont les parfums montaient vers le ciel, encens de reconnaissance. Elle s’assit, l’œil fixé sur un petit pavillon que l’on apercevait entre les arbres, un réduit de garçon, complaisant et discret, une cage aux barreaux volontairement trop larges.

Un éclair de joie brilla enfin dans ses yeux; la porte du pavillon venait de s’ouvrir; Georges venait d’apparaître sur le perron.

–Enfin! dit-elle, j’ai vraiment cru que tu me laisserais partir sans venir m’embrasser.

Georges lui prit la main, déposa deux gros baisers sonores sur ses joues, et répondit en sourian:

–Menteuse, va; comme si tu ne savais pas que vous êtes, ma mère et toi, ce que j’aime le plus au monde.

Ainsi, c’est donc vrai, vous allez partir, et je serai de longs mois sans vous voir! Tu m’écriras, du moins?

–Auras-tu le loisir de lire quatre grandes pages de bavardages comme les miens?

–Mais dix pages, au contraire!

–Vraiment!

–Je ne sais rien d’adorable et de réconfortant comme les lettres d’une sœur bien-aimée. Je veux tes impressions de voyage, tes réflexions, tes confidences.

–Tu seras content!

Et la pauvre Jeannette regardait éperdûment Georges, espérant un mot qu’elle croyait sur ses lèvres; prête à crier: :

–Je reste: l’univers est ici; mon tout, c’est toi!

Georges répondit en regardant le bout de ses bottines

–Très-content. Je suis certain que les riens que tu me raconteras seront les choses les plus ravissantes du monde.

–Et toi, dit-elle, que feras-tu pendant notre absence?

–O! moi, fit Georges, lançant un regard de joie et de défi, moi, je penserai à vous, certainement; mais je ne serai pas seul comme vous au bord de la mer; j’aurai des amis, des distractions, des luttes.

–Prends garde, Georges; tu es l’espérance et la vie de ta mère!

–O! ne crains rien!

On était arrivé devant le château, dont le service était en mouvement.

–Je monte embrasser ma mère, dit Georges; à tout à l’heure.

Et Jeannette resta seule. S’enfonçant une dernière fois sous les arbres, elle jeta un regard désespéré vers le pavillon et fondit en larmes.

Au bout de quelques minutes, elle se leva résolûment et dit:

–Allons, tout est bien ainsi! puisqu’il ne m’aime plus, partons!... Mieux vaut mourir là-bas que de mourir ici!

Un quart d’heure après, elle montait en chaise de poste.

Pendant que la pauvre Jeannette regardait les toits du château s’effacer lentement à l’horizon, le cœur serré, criant intérieurement un suprême adieu à ce berceau de ses rêves, Georges courait chez lui retrouver maître Dupré.

A Dupré, en effet, retour de Garches, le vicomte avait tout intérêt à raconter les faits de la veille et l’histoire de la nuit.

Les requins de Paris

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