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CHAPITRE XI
SURPRISES SUR SURPRISES

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Surin avait quitté le cabaret de la Grenouille en goguette en chantonnant, les mains dans les poches, du pas ordinaire de l’homme qui n’est point pressé d’arriver; mais, au bout de trois cents mètres, le Conciliateur changea d’allure, cessa de chanter et doubla le pas.

–Pas de temps à perdre, mon bel ami, murmurait-il; avant que d’aller revoir Galathée, il y a de la besogne pour tout le jour pour moi! Il s’agit de profiter sagement de ma dernière journée de liberté.

L’escogriffe que je viens de quitter est un chenapan de premier ordre. Il vous a deux petits yeux gris-vert qui ne me disent rien de bon et un nez pointu à flairer des truffes là où il n’y en a jamais eu!... Attention!... A l’heure qu’il est, le drôle doit courir à toutes jambes, et dans quelques minutes il racontera sa matinée au vicomte. Avant ce soir, ils sont capables tous deux, maître et valet, de commencer les opérations. Heureusement qu’ils vont perdre une partie de la journée à chercher si la blonde est bien la fille du comte de Morlac. Désabusés, dès demain au plus tard, ils seront bientôt sur la bonne piste. Je serais absolument idiot de croire qu’ils n’apprendront pas très-vite ce que j’ai si promptement découvert moi-même!... Il n’y a que les niais pour espérer de n’avoir jamais que des imbéciles pour adversaires!...

Je ferais peut-être bien de descendre tout de suite dans Saint-Cloud interroger par-ci par-là. D’un autre côté, qui me dit que déjà on ne me guette pas?... Peuh!... J’enverrai un requinet ce soir. Non. un agouti. Il s’en tirera mieux que l’autre!... Pour le quart d’heure, filons vite sur Orvilliez, où ce bon Jeannic doit impatiemment m’attendre, sa bêche à la main au fond du cimetière!...

Le train de Versailles à Paris arrivait à Saint-Cloud. Surin sauta dedans. Une fois à Paris, il gagna vite Saint-Denis, grâce au chemin du Nord.

A sa descente de wagon, il prit la rue Compoise, la rue de Paris, et au barrage il obliqua à gauche, parcourut à peu près trois cents mètres, et s’arrêta devant un bouge d’assez bonne apparence sur la droite de la route.

A l’entrée de Surin, il y avait une dizaine de personnes dans la salle, entre autres, un individu long comme un peuplier, sec comme un échalas, manchot et boiteux, aux ordres de tout le monde, le chasseur de l’endroit.

–Le Maître! clama le Manchot, à l’entrée de Surin.

–Bonjour, l’Osselet! répliqua amicalement le Conciliateur.

A la vue de Surin, le Barbillon quitta vivement son trône et, la face épanouie, courut au-devant du Conciliateur, les deux mains ouvertes. Après s’être vigoureusement serré la dextre, les deux compères prirent place à une table tout près du comptoir.

–Ça va bien, papa? commença le Barbillon.

–Mais superbement, mon fils. à part que je trouve qu’il fait soif.

–Une Fleury, cachet rouge! cria le beau François, pour toute réponse.

–Peste! mon fiston, du cachet rouge en mon honneur. Décidément il y a parti pris de me gâter.

–Jamais assez, papa Surin. mais, sapristi! qui vous amène ici? Je ne vous attendais que demain. Ah çà! vous ne venez pas me dire que vous nous faussez compagnie demai?... Le Barbillon se marierait et le Conciliateur ne serait pas là! Ah! bien, merci, ça serait du propre!

–Aussi, je serai là, mon fils, et des premiers, je t’en donne mon billet.

–A votre santé, papa!

–A la tienne, mon fiston, sans oublier la Claudine.

–Merci pour elle.

–Elle va bien?

–Indisposée la veille de ses noces. je voudrais bien voir ça!... Et quoi de nouveau?

–Peuh! pas grand’chose; j’ai quelqu’un à voir dans les environs.

–Tiens, il paraît que c’est le jour aux visites dans le pays.

–Parce que?

–Il y a à peine une heure que, pour le même motif, Ratatin a passé par ici.

–Ratatin? tiens! tiens! tiens!

Cette nouvelle si simple semblait rendre Surin rêveur.

Voyant la conversation tomber, le Barbillon remplit les verres et dit à tout hasard:

–Il y a des jours comme ça!...

–Oui, répondit Surin en trinquant; seulement, c’est drôle que deux hommes comme nous, nous ayons justement besoin de faire des visites dans le même pays, le même jour, sans nous en douter ni l’un ni l’autre. A-t-il dit au moins de quel côté il allait, maître Ratatin?

–Non, mais l’Osselet l’a rencontré sur les bords du canal faisant le lézard dans le trou du canardier.

–C’est bon!...

Sur ces mots Surin se leva tout d’une pièce, le sourcil froncé, puis:

–Mon fils, dit-il au Barbillon, si par hasard Ratatin revient par ici, dis-lui que j’ai besoin de le voir ce soir même, jusqu’à dix heures au Tombeau des secrets, après minuit, rue de Bièvre.

–Ça sera fait!

–Merci, mon fils, et au revoir, je repasserai probablement par ici en partant. en tout cas, à demain!

Une fois sur la route, Surin fouettant l’air avec son rotin se dit:

–Que diable l’Agouti vient-il faire par ici? Ah çà! est-ce que par hasard il sera de ceux qui doivent jouer un rôle dans cette comédie? Ce satané baron de Chabrins connaîtrait donc Ratatin?... Enfin, nous éclaircirons cela ce soir. En tout cas, il faut que je voie l’Agouti!., c’est pardieu! lui qu’il me faut pour second dans ma lutte contre M. de Cerny et son coquin de Dupré. Ratatin dans mon jeu, c’est la victoire assurée!

Un peu avant les premières maisons d’Orvilliez, Surin s’arrêta. Il se trouvait devant une magnifique propriété, entourée de murs et garnie d’arbres dont le plus jeune devait être centenaire.

–Mon rêve! s’écria comiquement Surin. Mon rêve que ce château qui va faire ces jours-ci jaser toute la France!...

Il eut un gros rire, après quoi, tirant son chapeau, il dit:

–Monsieur le marquis de Bournonches, je vous souhaite mardi une bonne nuit de noces!

Il traversa le village, suivant dans toute sa longueur la grande rue, fit encore un kilomètre au moins, et ne ralentit le pas qu’en arrivant à la porte du cimetière d’Orvilliez. A droite, près de la grille, une petite maisonnette couverte en tuiles rouges servait d’habitation à maître Jeannic, gardien du champ du repos, à la fois concierge et fossoyeur.

Surin entra tout droit dans le cimetière, dont il gagna le coin le plus reculé, au milieu des ronces et des broussailles.

Il toussa; le fossoyeur releva la tête, s’arrêta, mit les deux mains sur le manche de sa bêche et cligna de l’œil en disant à demi-voix: Voici l’endroit!

–Un endroit triste, maître Jeannic!... mais bah! pour dormir le dernier sommeil, tous les endroits sont bons. Comment se fait-il que la cérémonie ne soit pas encore faite?

–Oh! des histoires à n’en plus finir. J’avais creusé une fosse à la suite des autres. mais il n’y a jamais eu moyen de faire entendre raison au curé. une suicidée, une damnée au milieu des chrétiens, c’était un sacrilége... il ne voulait même pas qu’elle eût un coin dans le cimetière. Heureusement que M. le maire a dit qu’on ne pouvait pas l’enfouir en plein champ. Enfin, on a décidé qu’elle serait enterrée à part, dans un coin, loin de tout le monde. et j’ai choisi ce coin-là moi-même.

Puis, en riant d’un air malin:

–Ce sera très-commode, cet endroit-là.

–Très-commode, en effet! Cela suffit. Et la cérémonie aura lieu?

–Demain, de grand matin.

–Parfait! Allons boire un coup; en vidant une bouteille, nous terminerons notre affaire.

Sur ce, les deux compères gagnèrent allégrement, en jasant, le cabaret le plus voisin.

Mais c’était décidément un jour de fortune pour Surin, car à peine était-il assis sous une tonnelle et portait-il son verre à ses lèvres, qu’il jeta un petit cri de joyeuse surprise.

Deux jeunes filles passaient, causant, babillant, sautillant, joyeuses et vives comme des chevrettes en liberté, charmantes toutes deux; au petit cri de Surin, elles tournèrent la tête.

L’une d’elles alors devint toute pâle et, saisissant le bras de sa compagnene, se sauva vers le village, en courant comme une folle.

Jeannic se mit à rire en disant à Surin:

–Bon! voilà que vous venez de faire peur aux plus jolies filles du pays.

Surin vida son verre et répondit:

–Que leur faut-il donc, si elles se sauvent en voyant un beau garçon comme moi!

Le père Jeannic éclata de rire-et:

–Quand on dit de ces jolies choses-là, cria-t-il gaiement, on les arrose d’une deuxième bouteille.

Pendant ce colloque, Gabrielle disparaissait derrière les premières maisons du bourg, entraînant toujours sa cousine Augustine, et ne répondant à ses questions que par ces mots:

–C’est lui! lui!... le monstre dont je t’ai parlé; c’est lui, sauvons-nous!

Inutile de dire que, dix minutes après, en faisant jaser le père Jeannic, Surin savait que la jeune fille brune se nommait Augustine Voinot, demeurait à l’entrée du bourg, dans une maison en briques rouges; que cette Augustine était la cousine de l’autre jeune fille blonde, laquelle se nommait Gabrielle Probus, était fille de maître Probus, serrurier, et demeurait chez son père, à Saint-Cloud, où depuis deux ans on l’eût couronnée rosière, si Saint-Cloud, comme Suresnes, se fût payé le luxe d’un rosiérat annuel.

Là-dessus, Surin, enchanté de sa journée, de Jeannic, du hasard surtout, serra vigoureusement la main du fossoyeur et se leva en disant:

–Compère, à mardi!...

Une demi-heure après, il était à la gare de Saint-Denis, une heure après, au Tombeau des secrets. Là, pour que la journée fût complète, une dernière surprise l’attendait.

A peine fut-il assis que Fleur-d’Ebène lui tendit une lettre écrite par une main un peu lourde et fort peu savante dans l’an de diriger une plume.

Surin fit sauter le cachet et lut ceci:

«Monsieur le Conciliateur,

» A qui mal veut, mal arrive! Vous voulez la perte de la jeune Gabrielle. Veillez sur vous! Si, en quoi que ce soit, vous tourmentez cette jeune fille, vous serez certainement rossé d’abord, pendu ensuite!»

Pas de signature.

Surin, stupéfait, retourna la lettre en murmurant:

–Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie-là?

Au bout de deux minutes de réflexion, Surin se mit à ire assez bruyamment:

–Suis-je assez simple! dit-il. Mais cette lettre est de Dupré!... Ah! pas fort, mon pauvre Dupré; pas fort!

Non moins brusquement, il cessa de rire. Le timbre de la poste portait: Gare Saint-Lazare, troisième levée.

–Ce n’est pas de Dupré, dit-il. Cette lettre a été jetée à la boîte à Paris entre dix et onze heures du matin. A cette heure-là, maître Dupré était certainement à Saint-Cloud, racontant notre entrevue au vicomte et prenant les ordres de son maître. Eh bien, alors, qui est-ce?

Soudain, il frappa du poing sur son bureau:

–Ah! butor! cria-t-il, triple imbécile. Celui qui a écrit cette lettre, c’est le dormeur aux trois litres!...

Il fit deux ou trois tours dans son bureau et, cette fois, avec le plus grand calme:

–Voilà une faute! dit-il. Et je n’ai même pas regardé le bout de son nez!... Ah! ah! l’affaire sera chaude!... En tous cas, je m’explique maintenant la présence de la blonde à Orvilliez!... Il serait plaisant qu’elle eût pris le même train que moi!... Quoi qu’il en soit, voilà un homme gênant!... Et puis, cette petite qui me connaît., et qui ne doute pas que je ne l’aie filée. Il tombera du ciel des grives rôties quand ces gens-là me croiront leur allié!... Eh bien, tant mieux, j’aime les besognes difficiles!

Il se tourna vers Fleur-d’Ebène qui bâillait irrévérencieusement, et.

–Marquise, demanda-t-il, as-tu faim?

–A oublier de boire!!

–Mazette!... Alors, en route pour le Café Anglais!...

Et Surin sortit, fermant soigneusement la porte de l’échoppe.

Sur le volet il écrivit avec un morceau de craie ces quatre mots: «Fermé pour une heure!»

Juste, à cette heure, sous la conduite de la mère Voinot, Gabrielle rentrait chez le père Probus.

Les requins de Paris

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