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CHAPITRE PREMIER
OU GALATHÉE RENCONTRE LE CONCILIATEUR

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Ce soir-là, au théâtre de la Gaîté, on jouait les Bohémiens de Paris.

Il était dix heures et quelques minutes.

C’était l’entr’acte.

Les garçons de café, tout à l’heure somnolents, se redressaient prêts au travail, la serviette sous le bras et le jarret tendu; la marchande de limonade se réveillait à demi, derrière la pauvre table tremblante où s’étalaient en bel ordre trois ou quatre carafes coiffées de leur citron; près d’elle, un voisin remuait énergiquement le contenu d’un grand seau en zinc, contenu étrange, d’un blanc jaunâtre assez semblable à de la pommade, mais pompeusement baptisé du nom de glace à dix centimes le verre; puis des flâneurs, des ouvrières rentrant au logis, mais s’arrêtant pour contempler avec envie des gens assez heureux pour voir la comédie; des chercheurs et des chercheuses d’aventures, une ou deux petites bouquetières, des gens à l’affût de l’inconnu; enfin, au milieu de cette cohue bruyante et cependant fort calme, des sergents-de-ville, et la sentinelle immobile, un brave garde de Paris, absolument ennuyé d’être là, peut-être pour n’avoir jamais pu s’expliquer la mission sociale qu’il était en train de remplir avec conviction.

Tout à coup, un murmure sortit de la foule. En pleine lumière, éblouissantes de jeunesse et de luxe, deux femmes venaient de paraître sous le péristyle du théâtre et de s’arrêter un instant. L’une d’elles surtout était admirablement belle, belle de cette beauté souveraine qui se montre et s’impose. Elle était grande et merveilleusement modelée; le coup de pouce du maître apparaissait vaguement en elle; ce je ne sais quel fluide, magnétique probablement, et qui se nomme le charme, jaillissait de toute sa personne comme les belles lueurs prismatiques jaillissent du diamant; d’adorables cheveux blonds l’environnaient comme d’un nimbe; son sourire était un charme; vivant était son regard. Aux plis de sa robe, au bon goût de sa toilette on devinait la Parisienne.

D’instinct, l’immense majorité des flâneurs s’arrêta et, se partageant en deux groupes, la foule s’ouvrit. Paisible et presque dédaigneuse, l’inconnue s’avançait entre cette double haie d’admirateurs, indifférente à tout ce monde, pareille aux souveraines passant au milieu des courtisans intimes; elle marchait d’un pas doucement cadencé, certainement aussi calme, aussi seule, aussi chez elle qu’une châtelaine rêvant le soir dans son parc à la clarté des étoiles.

Un curieux dit à son voisin:

–Splendide, cette Galathée!...

Soudain, comme elle était sortie du cercle de ses admirateurs, comme elle allongeait le pas, elle s’arrêta net, avec ce mouvement instinctif que fait toute femme qui sent sa traîne prise. Puis, se croyant débarrassée, elle fit un pas en avant. L’étoffe, toujours retenue, se tendit et se déchira en grinçant. Au lieu d’un pardon quelconque qu’elle attendait, elle entendit rire.

Ce n’était donc pas un maladroit qui était derrière elle; on avait mis le pied sur sa traîne, on l’y avait laissé exprès. Galathée se retourna tout d’une pièce, hautaine, la lèvre pâle et l’œil ardent.

Un homme était derrière elle et la regardait en riant, un homme horrible:–Ses cheveux roux, courts, épais et rudes, se dressant sur le crâne comme le crin d’une brosse, le front bossué, les yeux en vrilles, surmontés de par la petite vérole, mais enluminée par l’alcool, la boumaigres cils espacés, la face tumultueusement couturée che énorme, fendue au couteau d’un seul coup nettement donné, les lèvres pâles et méchantes, une tête affreuse en un mot, tête et corps de Caliban, mais d’un Caliban à coup sûr robuste: une vilaine bête, probablement méchante, mais une bête forte, voilà ce que représentait l’être que Galathée avait vu tout à coup face à face et qui, le pied encore posé sur la traîne de sa robe déchirée et souillée, souriant d’un air gouailleur, un bout de pipe entre les lèvres, la regardait effrontément, prêt à la riposte.

Galathée eut un mouvement de répulsion; puis, méprisante, hautaine, elle tira violemment sa traîne, comme pour la déchirer davantage, et jeta ce seul mot à la figure du drôle:

–Rustre!

L’homme se mit à rire.

–Ah! que n’ai-je ma cravache! gronda la belle.

L’homme retira gravement sa pipe du coin de sa bouche, haussa les épaules, lança un jet de salive jaune, et, frappant le tuyau de sa pipe sur l’ongle de son pouce, tourna les talons en murmurant:

–Malheur!

Avec une curiosité qui devint bientôt de l’intérêt, Gallathée suivit quelques instants des yeux ce misérable, qui s’éloignait tranquillement, content d’avoir fait silencieuasement une mauvaise action et jugeant prudent de s’en tenir là.

–Hé! hé! murmura Galathée, voilà un drôle qui qpourrait bien m’être utile!

Ce disant, elle s’avançait vers sa voiture, un délicieux petit coupé aux panneaux ornés de son chiffre. Le valet ode pied se tenait raide et sérieux près de la portière ouverte; le cocher était sur son siége, le fouet en main, rassemblant les guides; les chevaux piaffaient. Galathée suffit passer sa compagne devant elle; mais, au lieu de monter, elle se redressa, l’œil fixe, comme prise tout entière par une idée impérieuse et subite.

–Attendez-moi quelques minutes! fit-elle. Et, traversant la rue, gagnant l’ombre, elle disparut aux yeux de sa compagne stupéfaite.

A quelques pas devant alle, se dirigeant vers la boutique d’un marchand de vin, celui qui l’avait, insultée marchait le nez au vent et les mains dans ses poches. Galathée doubla le pas; quand elle fut près de lui, elle étendit le bras et lui toucha l’épaule du bout de son éventail.

L’homme se retourna stupéfait.

–Vous, dit-il; qu’est-ce que vous me voulez?

Galathée se trouvait devant lui, impérieuse et le regard assuré; toute sa personne commandait; avant même de savoir ce qu’elle allait dire, on sentait qu’elle allait ordonner. Aussi, d’une voix claire, elle arrêta les questions.

–Pas un mot! dit-elle. Nous causerons demain. Demain, à partir de quatre heures, vous m’attendrez à cette place. Où j’entrerai, vous entrerez! Je crois que vous êtes l’homme dont j’ai besoin... A demain! Voici vos arrhes!...

Et, laissant tomber cinq louis dans la main de l’homme stupéfait, elle regagna vivement sa voiture.

–Ah! fit l’homme en empochant philosophiquement son argent, il te faut quelqu’un comme moi!... Pour quelle besogne, ma belle madame?

Comme il s’éloignait, un petit bossu lui frappa sur l’épaule et lui dit:

–Cinq louis! Sire Requin, ta soirée est faite!

–Ratatin! s’écria l’autre.

–Lui-même, papa!... Mazette! nous nous faisons entretenir par les sirènes, maintenant!

–Comme tu vois!

–Il y a anguille sous roche!... Tu sais, papa, je suis libre!... Mets-moi de l’affaire!...

Celui qu’on venait d’appeler le Requin regarda amicalement le bossu et dit:

–L’Agouti a eu besoin du Requin, il se peut que le Requin ait besoin de l’Agouti!... Fils! je penserai à toi!

Le lendemain, à quatre heures précises, la voiture de Galathée s’arrêtait au bureau de location du théâtre de la Gaîté; la jeune femme, plus simplement vêtue que la veille, mais non moins belle, dit au valet de pied de promener les chevaux pendant une heure et de revenir la prendre au même endroit, regarda sa voiture s’éloigner et se dirigea résolûment vers la boutique d’un marchand de vin.

Depuis un quart d’heure, l’homme de la veille se promenait sur le trottoir opposé, rasé de frais, vêtu d’une redingote qui certainement n’avait eu que deux ou trois propriétaires avant lui, coiffé d’un chapeau noir énergiquement frotté avec un chiffon de laine gras: un homme d’affaires, brocanteur, rédacteur d’actes sous seing-privé, acheteur de reconnaissances; un factotum judiciaire et commercial dans son uniforme traditionnel. Ainsi vêtu, brossé, civilisé, l’homme n’était pas moins laid, mais il était devenu moins sinistre. En le voyant surgir tel qu’il était apparu la veille, on devait le croire capable de tous les crimes qui peuvent se faire dans l’ombre; en le retrouvant au grand jour, tel qu’il avait cru devoir se transformer, on était assuré qu’il était capable de toutes les roueries, de toutes les finasseries, de toutes les actions possibles à faire sans trop grand danger personnel, disposé au vol si cela peut être fait sans effaroucher la loi, tout prêt à se servir du papier timbré comme du rossignol, capable de tuer si la mort peut être mise au compte des accidents naturels, capable de tout dès qu’il a cru pouvoir n’être convaincu de rien.

Galathée entra chez le marchand de vin.

–Présent, dit une voix derrière elle.

–C’est bien, répondit Galathée; puis, se tournant vers le garçon: Je voudrais un cabinet, une chambre, un endroit quelconque où l’on pût causer à son aise.

–Compris, murmura le marchand de vin; puis, appelant le garçon: Jean, le cabinet vert.

Et, pendant que le garçon montait ouvrir la porte, le patron montrait gracieusement à Galathée l’escalier en spirale qui tournoyait au fond de la boutique, escalier aux marches étroites et raides, couleur sang de bœuf, avec une rampe soutenue par des barres de fer pudiquement entourées d’une draperie rouge, à cette fin que les dames pussent se permettre de ne pas trouver aussi impossible de monter aux cabinets de société que de prendre place sur l’impériale d’un omnibus.

–Au premier, la porte à gauche... et tout à vos ordres, monsieur Surin.

Galathée se retourna, le pied sur la première marche, et regarda l’homme dont elle entendait le nom pour la première fois.

L’homme retira son chapeau, courba l’échine, fit une grimace qui, probablement, avait l’intention d’être un sourire, et murmura:

–Surin (Pierre-Joseph), surnommé le Conciliateur, madame, présentement à vos ordres.

Galathée fit un petit mouvement de tête qui pouvait être pris pour un salut, et monta.

Au premier, la serviette sous le bras, le dos au mur, à demi-courbé, le garçon attendait à la porte du cabinet vert.

Galathée et Surin entrèrent.

–Une mâcon première, dit Surin.

Le garçon disparut une minute et reparut triomphant avec une bouteille habilement maquillée de cendres et de poussière, et, l’ayant posée sur la table, prit un des verres qui flânaient sur une console, attendant buveur le pied en l’air, souffla fort ingénument dedans, le fit tourner autour de sa serviette et le mit devant Surin.

Galathée, ne voyant qu’un verre, sourit et murmura:

–Merci! puis jeta un louis sur la table.

–Payez-vous! dit Surin.

–Pas de monnaie! ajouta Galathée.

Le garçon ne sourcilla pas; il s’inclina, tira la porte et disparut.

Galathée prit place sur le divan et fit signe à Surin de s’asseoir en face d’elle, de l’autre coté de la table.

–J’ai peu de temps à moi, aujourd’hui, dit-elle; d’ailleurs, avant de causer véritablement, il faut se connaître... et je me suis peut-être trompée...; enfin, nous allons voir...

–A vos ordres, madame.

–Monsieur, dit brutalement Galathée, pour qu’une femme comme moi, après ce que vous avez fait hier, se trouve ainsi seule, aujourd’hui, avec un homme comme vous, il faut évidemment que cette femme ait vraiment besoin d’un coquin hors ligne pour la servir, et que, ce coquin, elle croie l’avoir trouvé en vous.

–Un aide? interrogea carrément Surin.

–Un complice!... Mais, avant d’aller plus loin, il me faut de vous un mot... Pourquoi, hier, m’avez-vous insultée sans raison?

–Pourquoi? répondit Surin en riant.

Il vida son verre, puis, d’un coup de jarret écartant la chaise qui le gênait, dardant les yeux sur Galathée, il lui dit amèrement:

–Regardez-moi donc!...

Il était épouvantablement laid; c’était l’homme de la veille alors, ne cherchant pas à dissimuler, se montrant cyniquement au soleil.

Galathée eut un léger frisson. Si imperceptible que fut le mouvement qu’elle fit alors, Surin le vit.

Il reprit en souriant:

–Maintenant que vous m’avez bien vu, vous, madame, regardez-vous!... Vous allez sans doute comprendre pourquoi je vous ai insultée, pourquoi je vous hais, pourquoi je hais la société, pourquoi je hais Dieu!...

Il s’était redressé de toute sa hauteur, ses yeux étaient pleins d’une flamme malsaine; il serrait les poings; une âpre et mordante ironie haineuse tordait le coin de ses lèvres; il était impossible de le regarder sans comprendre, en effet, qu’une implacable colère couvait en lui.

–Ah! s’écria Galathée, si votre haine a l’immensité de la mienne, nous allons nous entendre!

–Je le crois, reprit Surin, vu que j’ai fait l’impossible pour n’être pas méchant... Car j’ai été assez simple pour croire qu’un jour, à force de bonté, je ferais oublier ma laideur!... Ha! ha! ha!... nul n’a daigné me faire la charité d’un mensonge... Parmi ceux-là que j’ai servis, obligés, sauvés peut-être, je n’ai même pas trouvé quelqu’un qui ait eu le courage d’aller jusqu’à l’hypocrisie.

Aussi vient-il le jour où l’on est las d’être un objet de risée ou de mépris... Puisque l’on est condamné à faire horreur, eh bien, on fera horreur... mais on le fera bien! Jamais aimé, soit; on sera du moins redouté!... Ce jour-là, c’est fini, la société est à vous comme le filon est au mineur, l’homme doit être à vous comme le fauve est au dompteur... Eh! c’est, après tout, l’homme lui-même qui vous a forcé à devenir ce que vous êtes; en vous refusant de vous admettre comme son semblable, il vous a condamné à devenir son esclave ou bien à fuir, à sortir des lois communes, à se faire oiseau de proie sous peine de tomber au rang des bêtes de somme, à se faire requin sous peine d’être marsouin.

Eh bien! j’ai choisi, je suis requin!

Surin rugissait; il s’enivrait lui-même en parlant de lui, en se confessant éperdûment, avec cette espèce de volupté que l’on ressent chaque fois que l’on peut échapper à une contrainte, quelle qu’elle soit, volontaire ou forcée. Secouant la tête, les narines dilatées, d’une voix vibrante et claire, sonnant comme un clairon de révolte, il poursuivait:–Et, maintenant, demandez donc au monstre pourquoi il hait tout ce qui est jeune et beau?... Parce qu’il fait peur. parce qu’alors il ne rêve que deux choses, souiller la jeunesse et déflorer la beauté!

Instinctivement, Galathée se recula toute pâle.

–Je vous fais peur! reprit Surin... Ha! ha! ha!... Je croyais avoir trouvé une maîtresse-femme... Et je n’ai devant moi qu’une mijaurée... Allez-vous-en, belle dame, allez-vous-en! Ce que vous avez à me demander ne vaut pas la peine que j’y pense un instant, l’œuvre n’est certainement pas digne de l’ouvrier; un peu de ruse et ce sera bien... ne dérangez pas ma haine pour votre besogne, digne tout au plus d’être faite par des laquais, pour quelques louis! Est-ce qu’il est possible que vous ayez besoin de moi tout entier? Allons donc, vous êtes jeune, belle, adorée sans doute, et riche à vous seule de toutes les fortunes que vous daignerez accepter; à quoi peut vous servir quelqu’un comme moi?... Laissez-moi tranquille, allez; c’est assez que des auxiliaires vulgaires pour ce que vous pouvez rêver!

Surin s’arrêta, frissonnant à son tour.

Galathée s’était dressée et, les deux mains sur la table, penchée vers lui, le regardant au plus profond des yeux, merveilleusement belle et résolue, elle lui dit à demi-voix:

–Vous vous trompez! Pour faire ce que je veux, ce n’est pas trop que de vous et de toute votre colère, avec toute votre haine!... Pas digne de vous, l’œuvre que je rêve!... Eh! que vous faut-il donc, si ce n’est pas assez qu’un orgueil à faire souffrir, une ruine à préparer, un honneur à disperser en lambeaux, des larmes à faire répandre et peut-être... Eh bien, oui, cela peut aller jusque-là, peut-être du sang à faire couler!

Evidemment, maître Surin ne devait pas être fort accessible, aux émotions; mais ce qu’il entendait était dit avec un tel accent d’énergie qu’il se sentait ébranlé.

Encore une seconde d’enthousiasme sauvage chez Galathée, et il allait lui appartenir sans discussion; encore un mot, l’ombre d’un sourire, et il allait être l’esclave prêt à toutes les besognes, le vengeur de toutes les rancunes secrètes, le complice de toutes les revanches rêvées, le serviteur fanatisé à qui l’on peut dire: Frappe, et qui va tuer, dût-il mourir écartelé pour avoir obéi.

Galathée avait-elle conscience de ce qui se passait en Surin? L’ardeur qu’elle mettait en ses paroles était-elle produite par une émotion sincère, ou bien n’était-ce que le jeu d’une comédienne merveilleusement habile? En face de Surin, tout entière à ses rêves de vengeance, rayonnante de volonté, la poitrine bondissante, elle semblait parler pour elle toute seule.

–Tu hais les hommes, reprit-elle, parce que tu es pauvre, et Dieu parce que tu es laid... Eh bien, moi, je les hais parce que je suis riche et belle!

Malheureux! n’as-tu jamais pensé que la beauté pouvait être un don plus terrible que la difformité même qui te révolte et te désespère? Eh! que ne suis-je née laide; je serais heureuse!

Surin en était arrivé à perdre jusqu’à l’éloquence du geste.

Elle l’enveloppa d’un regard farouche et poursuivit:

–Ça! misérable! tu m’as dit tout à l’heure: Regardez-moi!... A mon tour, je te dirai: Regarde-moi donc!

A l’heure de tes rêves les plus insensés, as-tu jamais songé qu’il pouvait exister une femme aux cheveux opulents, au front clair, aux yeux suaves, au sourire enivrant comme sont les cheveux, le front, les veux et le sourire de Galathée? Aurais-tu, par hasard, cru qu’un peintre te retracerait le cou d’albâtre, la poitrine marmoréenne, la taille de guêpe, le bras rond, la main effilée et le pied de sylphe de celle qui est devant toi?...

Non, n’est-ce pas? Et tu te dis: Douée par le créateur et d’esprit et de cœur, cette femme a dû voir le monde à ses pieds, le monde mendiant un regard, mendiant un sourire, mendiant une caresse!

Le monde!... il s’est appelé pour moi Georges de Cerny et brutalement, sans phrase, il m’a crié, à l’heure de la satisfaction: Place à une autre, Galathée, place à une autre!...

Un rugissement de Surin accueillit cette tirade de la sirène, qui finit ainsi:

–Je crois qu’enfin vous commencez à me comprendre. Eh bien! oui, cette beauté que vous m’enviez est la cause de toutes mes douleurs!... C’est pourquoi je promets, non-seulement tout l’or de la terre, mais toutes les félicités du ciel à celui qui se sentira toutes les audaces pour me venger!

A ces mots, suivis d’un de ces regards qui brûlent à la fois l’âme et le corps, Surin cessa d’être maître de lui. Bien qu’il ne sût encore rien de ce que Galathée allait lui demander, il se sentit tout à Galathée. Elle était pour lui la victime dont il serait le vengeur; il y avait quelque part des coupables qu’il se chargeait de punir; sans qu’on lui eût rien demandé encore, il avait déjà tout promis dans le secret du cœur.

Ravi, éperdu, fanatique, les mains tendues, il s’écria:

–Ah! parlez, sirène, je vous en prie, parlez encore. Dites-moi ce que je dois faire! dites-moi ce que vous voulez de moi!

Galathée prit les mains qu’il lui tendait et répondit:

–Je veux de vous toute votre colère et votre haine, votre esprit avec ses ruses et votre cœur avec ses rancunes et des espérances; je vous veux tout entier comme un esclave, comme un complice, comme un ami dévoué jusqu’à mourir!

Et l’autre alors, l’œil enflammé, sentant courir dans ses veines un sang brûlé par toutes les fièvres, le cœur bondissant dans sa poitrine:

–Mais je suis à vous comme cela!... jusqu’à mourir!

–Parce que j’étais belle, on m’a fait connaître toutes les douleurs et toutes les hontes. Il faut me venger, entendez-vous, il le faut.

–Vous serez vengée!

–Pour arriver à ce but implacablement rêvé, tous les sacrifices me seront faciles. Comment nous vengerons-nous? je l’ignore, mais nous nous vengerons, je n’en doute plus!... Aussi, comme je ne dois plus rien avoir de caché pour vous, venez ce soir chez moi!... Il vous faut connaître mon histoire!... Ah! mon maître, quand vous connaîtrez cette histoire, je crois que vous vous mettrez de tout cœur à la besogne!...

–Croyez, madame!

–Assez! le temps presse!... A ce soir!...

Surin s’inclina, prit la carte qu’on lui tendait et balbutia une protestation de dévouement.

Une fois seul, il tomba assis, les deux coudes sur la table, regardant fixement la porte par où Galathée était sortie.

–C’est pourquoi je promets, non-seulement tout l’or de la terre, mais toutes les félicités du ciel à celui qui se sentira toutes les audaces pour me venger!

–Elle a dit cela, la sirène, elle a dit cela, s’écria-t-il; et elle tiendra parole!...

Jour de Dieu! je la vengerai, ou le diable dira pourquoi!

Les requins de Paris

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