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CHAPITRE VIII
OU LE CONCILIATEUR SE TROUVE BIEN D’ENTRER DANS UNE ÉGLISE

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Ce même jour, dès six heures du matin, maître Surin s’était dirigé vers le petit hôtel de Galathée, qui le reçut aussitôt vêtue d’un ravissant peignoir; adorable en son négligé du matin, on eût dit qu’elle venait de s’éveiller. Allant droit à Surin, en extase devant elle, elle tendit la main à son complice et murmura dans un sourire:

–Merci d’être venu à mon premier appel.

Surin, ébloui, sentit courir dans ses veines une ardeur inconnue et répondit avec élan:

–Vous savez bien que je suis à vos ordres.

–Hier, reprit Galathée, nous avions résolu de ne nous revoir que ce soir au plus tôt; vous deviez aller surveiller les abords de la villa de Montretout. Je devais, moi, faire parler Georges. Pour que j’aie été moi-même, vers les onze heures et demie, vous porter la lettre qui vous amène aujourd’hui si matin chez moi, il faut qu’il soit survenu quelque chose d’étrange.

–Cette sotte de Fleur-d’Ebène ne m’a rien dit...

–Elle dormait, sans doute, comme lorsque je suis partie, auprès d’une bouteille à moitié vide.

–Justement! Mais que s’est-il donc passé depuis hier?

–Vous savez que je donnais à dîner ici à quelques amis, au nombre desquels j’avais réussi à avoir Georges. Savez-vous bien qui me faisait face? Tout simplement Joséphine Vergeron.

–La maîtresse de M. le comte de Morlac.

–Non pas!... L’ex-maîtresse de M. de Morlac et maîtresse aujourd’hui de M. de Maffrely, capitaine de chasseurs.

–Eh bien?

–Eh bien! elle nous a raconté son histoire et nécessairement, votre nom a été prononcé.

–Et le vicomte a fait la grimace?

–Oui, maître. malheureusement j’ai fait comme lui!...

–Qu’est-il donc arrivé?

–Que nous avons fait fausse route, en croyant le vicomte amoureux d’une belle et pure jeune fille!

–Madame, je suis physionomiste, moi, et je vous affirme que la jeune fille que j’ai vue est aussi pure que belle!

–Comment se fait-il alors, que cette jeune fille ait remplacé Emeraude chez M. de Morlac?

–Quoi! cette villa qui fait face au cabaret de la Grenouille en goguette appartient au comte?

–Vous devriez le savoir!...

–Ah çà, dit Surin en bougonnant, il a donc des villas partout, ce sacripant-là!... Et le vicomte, ajouta-t-il, sait qui est le propriétaire de cette succursale de la Trappe?

–Il le sait!

–A cette heure alors Dupré le sait aussi?...

–Naturellement!...

Surin fit la moue et dit:

–Donc, Dupré a de l’avance sur nous!... Il sait le nom de l’inconnue qu’adore le vicomte!...

–Nous le savons aussi., puisque je le sais, moi!...

–Quel est le nom de cette beauté?

–C’est tout simplement la fille aînée de M. de Morlac!...

Surin fut tellement abasourdi, que, pour la première fois de sa vie peut-être, il s’oublia.

–La future marquise de Bour. commença-t-il.

Il n’acheva pas. Après s’être mordu les lèvres, il finit d’un air bonasse.

–Elle se marie prochainement?...

–Mardi, dit brièvement Galathée.

–Mardi. vous savez?..

–Comme vous, maître, je sais tout ce que j’ai intérêt à savoir!...

Surin regarda Galathée avec admiration, puis d’un ton bref:

–Madame, dit-il, voici des nouvelles qui peuvent nous mener loin!... Si notre inconnue est la vicomtesse de Morlac, bonne affaire!... Elevée par Mme de Chabrins, je vous la garantis non moins sage que belle. Par conséquent, M. de Cerny va se jeter à la traverse de ce mariage, et m’est avis qu’il attrapera quelque mauvais coup dans la bagarre.

Si la belle est tout simplement la maîtresse actuelle de M. de Morlac, il faudra attendre une autre occasion, parce qu’il est de la dernière évidence que nous ne tiendrons bien le vicomte qu’autant qu’il sera amoureux fou d’une aimable rosière!...

Mais, madame, si celle qui nous occupe n’allait être ni la maîtresse ni la fille de M. de Morlac!...

Par les cornes du diable voilà ce qu’il faut savoir tout de suite!...

Mazette! il ne faut pas se laisser distancer par Dupré!...

Adieu, belle Galathée, je vole aux renseignements!... Autant que possible, ne bougez pas d’ici!...

Comme il s’inclinait, Galathée s’avança souriante et lui tendant la main, elle lui dit:

–Prenez du courage, maître!...

Surin posa ses lèvres sur les doigts mignons de la belle et sortit les yeux injectés de sang.

Le grand air lui rendit tout son sang-froid.

–Vite, vite, rue de Provence, dit-il; allons aux renseignements à l’hôtel de Morlac!

A un quart d’heure de là, le Conciliateur entrait dans la cour de l’hôtel, par la petite porte de service. Il se trouva près de la loge du suisse.

Tête nue et le sourire aux lèvres, il demanda naïvement si M. le comte reviendrait bientôt de la campagne.

Après avoir toisé le nouveau venu, le suisse daigna répondre que M. le comte était de retour à Paris.

–Avec sa famille? dit Surin.

–Avec sa famille!

A ce moment, on entendit des chevaux piaffer dans la cour de l’hôtel. Le suisse se précipita, bousculant l’intrus, pour ouvrir la porte cochère.

Le fond de la calèche était occupé par une belle et blonde jeune fille de dix-huit ans, au milieu de deux petites brunettes de huit à dix ans, ayant une femme de chambre des plus accortes en face d’elles.

–C’est sans doute les demoiselles de M. le comte de Morlac que je viens d’avoir l’honneur d’apercevoir? demanda Surin au suisse.

–Avec Mlle Marjolaine, répondit l’autre.

Surin salua obséquieusement et disparut.

–Belle fille, murmurait-il en marchant, belle fille que la future marquise de Bournonches!... Mais ce n’est pas notre blonde de Montre tout!... Alors qui est donc cette jeunesse à qui M. de Morlac permet la compagnie de ses deux petites dernières?... Car il n’y a pas à dire, ces deux petites brunes que je viens de voir sont bien celles que j’ai vues à Montretout, à la fenêtre de la villa du comte!... Pour moi qui connais le paroissien, j’affirme que notre inconnue n’est pas la maîtresse de M. de Morlac. Il n’est pas homme, notre austère chef de section de la Société internationale de bienfaisance, à jamais laisser jouer ses enfants avec une personne qui prêterait seulement au soupçon!... Tiens! tiens! voilà qui devient tout à fait intéressant!, ..

En marchant tout droit devant lui, plongé dans ses réflexions, indifférent à la route suivie, seul dans la foule, Surin était arrivé devant l’église Saint-Louis-d’Antin. Une voiture de maître stationnait; Surin leva les yeux et reconnut la voiture du comte de Morlac.

Sans trop se rendre compte de la raison qui le faisait agir, Surin traversa la rue et pénétra dans l’église.

Il ne tarda pas à apercevoir les trois demoiselles de Morlac, dont l’aînée semblait écouter une messe basse, d’un air fort édifiant, son livre d’heures à la main.

Vite redevenu son maître, Surin se frappa le front et alla droit à la préposée aux chaises, à qui il glissa discrètement dix francs dans la main. Puis il lui montra Mlle de Morlac à qui il priait dame Gertrude d’aller demander un tout petit renseignement.

Dame Gertrude sourit benoîtement et s’approchant de Mlle de Morlac:

–Pardon, mademoiselle, lui dit-elle, en se conformant à la leçon que venait de lui faire le Conciliateur, mais hier, à Montretout, j’ai aperçu à l’une des fenêtres du château de M. le comte, au milieu des deux petites sœurs de mademoiselle, une jeune personne blonde que j’ai cru reconnaître pour la fille d’une de mes amies de Suresnes. Elle a disparu si vite que je ne sais à quoi m’en tenir. Mademoiselle veut-elle m’autoriser à lui demander si cette belle enfant ne s’appelle pas Marguerite Viellard?

–Vous vous êtes trompée, répondit obligeamment la vicomtesse. Cette jeune fille est de Saint-Cloud et s’appelle Gabrielle Probus.

–Ah! voilà qui est fort étonnant!... La ressemblance est frappante!... Merci, mademoiselle; votre servante.

Alors, la chaisière s’approcha de Surin et lui dit onctueusement:

–Je sais ce que monsieur désire.

–Dites vite! jeta Surin.

–Je recommande mes pauvres à monsieur, répondit doucement l’autre.

Surin, qui était très-intelligent, comprit tout de suite ce qu’on lui voulait. Il tirade sa poche une seconde pièce de dix francs et la glissa discrètement dans la main de la chaisière, en disant:

–Pour vos pauvres, ma bonne mère!

La bonne mère soupira pieusement et dit:

–Gabrielle Probus, à Saint-Cloud.

–Amen! répondit Surin!

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