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CHAPITRE XIV
UN ET UN FONT QUATRE

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–Bonjour, fils! dit Surin en tendant amicalement la main au petit bossu.

–Bonjour, papa!.. Exact au rendez-vous, fidèle au poste.

–Tu as vu le Barbillon?

–Naturellement, puisque me voici.

–Entrons!

Entendant Surin ordonner à Fleur-d’Ebène de servir le vieux cognac de l’amitié:

–Ho! ho! dit Ratatin, il paraît que nous avons longuement à causer!...

–Longuement et cordialement, répondit Surin, en remplissant les verres.

–A ta santé, papa! Voyons, qu’est-ce qu’il y a pour ton service?

–Es-tu libre?

–Complétement!

–Tu pourrais, dès demain, entrer au service d’une grande dame?

–Pourquoi faire?

–Pour jouer un premier rôle, s. v. p., dans une intrigue de ma façon.

–Qui a pour but?

–De protéger une jeune fille aussi belle que vertueuse contre les entreprises d’un débauché.

–Eh bien, ça me changera et j’accepte!... je dirai même que je te remercie d’avoir pensé à moi... Je vais donc commettre une bonne action! Cause, papa, je t’écoute avec recueillement.

–Il s’agit d’entrer, dès demain soir peut-être, au service de Mme la comtesse de Sainte-Croix du Reuillan. comtesse de mon invention.

–Quatre mots de trop, ceux-là!... je connais mon nobiliaire de France. Quel sera mon emploi?

–Factotum, intendant.

–Ça me va!

–La dame habitera seule une maison isolée.

–Toute seule?

–Toute seule, avec notre jeune fille pour demoiselle de compagnie, Fleur-d’Ebène pour femme de chambre, toi pour intendant et six gaillards sûrs et solides, nos créatures, qui représenteront le service de Mme la comtesse. As-tu cela sous la main?...

I–Je les aurai ce soir?... je trouverai cela au cabaret du Fumeron malade. Et, nous n’aurons absolument qu’à déféndre un ange ?

–Pas autre chose à faire?

–Alors nous gagnerons tous notre paradis!... Deux mots encore!... Pourquoi protégeons-nous l’innocence?

–Parce que nous sommes payés pour cela.

–Par ta fausse comtesse?

–Justement.

–Alors précisons! Est-ce par amitié pour la jeune fille que cette dame défend la pauvrette, ou bien est-ce par haine contre le séducteur ?

–Eh! eh! tu vas droit au but, mon fils. Eh bien, nettement, c’est parce qu’elle hait le Don Juan!

–Qui se nomme?

–Le vicomte Georges de Cerny.

–Celui qui a tant fait parler de lui à propos de la petite du Bas-Meudon.

–Oui, un adversaire digne de nous, comme tu le vois, ayant pour complice son valet de chambre, Dupré, qui rendrait certes des points à tous les Frontins du vieux répertoire.

–Et jusqu’où pousserons-nous la bataille?

–Jusqu’au bout.

Ratatin leva les yeux, frissonna malgré lui et regarda Surin.

Surin se mit à rire en ajoutant:

–Si loin que nous allions, mon fils, rien à craindre pour aucun de nous. Le jeune homme est amoureux; il deviendra fou de colère et de passion. Nous agirons en sorte qu’il ait de temps à autre de petites espérances qui se chargeront, en s’envolant, d’emporter un peu de sa raison avec elles. Une fois chauffé à blanc, il osera tout pour revoir son adorée.

–Et alors?

–Ah! dame! alors, voilà!... J’ai une idée à moi. une idée riche!... Alors, la surveillance se relâchera un peu; nous nous laisserons jouer comme des sots; le galant arrivera jusqu’à la porte de sa bien-aimée et se trouvera face à face avec quelqu’un qui fera de lui ce qu’il lui plaira.

–Et ce quelqu’un, ce sera?...

–Le père de la jeune fille.

Ratatin frissonna de nouveau, devinant la scène, prévoyant un meurtre, flairant le sang, mais il regarda Surin avec admiration et dit:

–Tope, je suis à toi, à ta comtesse. Tiens, à propos, comment s’appelle-t-elle donc ta comtesse?

Surin regarda Ratatin et dit:

–Denise Brimard, la perle du Bas-Meudon.

Cette fois, Ratatin jeta un cri et battit des mains.

–J’aurais dû m’en douter, dit-il en se levant. Eh bien, à la bonne heure, voilà une maîtresse femme. Allons donc, cela se venge au moins. c’est du sang qui coule dans ces veines-là. Ah! c’est pour elle. Eh bien, dis-lui que Ratatin accepte son rôle dans ta comédie!

–Bravo! mon fils, dit Surin enchanté de l’enthousiasme de son compère; voilà donc qui est dit; à partir de demain, tu ne quittes plus ta nouvelle maîtresse!

–A partir de demain?... Ah! mais, pardon, pardon!... j’aurai besoin d’une soirée ces jours-ci.

–Par exemple, fit Surin, se souvenant du voyage à Orvilliez.

–Ah! j’ai donné ma parole!... il me faut une nuit, une seule, mais il me la faut.

–Et de quelle nuit auras-tu besoin?

–De la nuit de mardi à mercredi, la semaine prochaine!

Surin éclata de rire et, frappant sur l’épaule de Ratatin, il dit à son complice:

–Tu auras ta nuit, mon fils; M. le baron de Chabrins ne me pardonnerait pas de te retenir ce soir-là.

–Qu’est-ce que c’est que ça, le baron de Chabrins? s’écria Ratatin, stupéfait, mais payant d’audace.

–Ça, mon fils, c’est un jeune et beau garçon qui ne peut pas, mais qui veut épouser un jour une opulente héritière qu’on lui a très-nettement refusée et que l’on marie mardi matin. Or, mon fils, M. de Chabrins est encore un maître dramaturge, auteur, pour le présent, d’un drame en plusieurs actes, dont il a distribué les rôles à des gens dignes d’exécuter un chef-d’œuvre pareil au sien; voilà ce que c’est que M. de Chabrins.

–Je ne comprends pas, dit Ratatin.

–Pas de bêtises avec papa!... nous sommes tous les deux chargés d’interpréter un rôle dans l’œuvre remarquable de M. de Chabrins!

–Tu en es?

–Comme toi! Est-ce bête d’avoir avec soi deux hommes comme nous et de ne pas nous dire franchement la chose.

–C’est insensé! Qu’est-ce que tu fais, toi, dans cette histoire-là?

–Le dernier acte, celui qui se passera entre minuit et une heure. Et toi?

–Moi, dame, l’avant-dernier, sans doute, puisqu’il doit avoir lieu entre onze heures et minuit.

–Voyons, alors; entendons-nous bien. Qu’est-ce que tu vas faire mardi soir à Orvilliez?

–Je vais enlever, de son consentement, m’a-t-on juré, une jeune mariée. Et toi, papa?

–Moi, je vais l’assassiner! dit Surin tranquillement.

–Hein? murmura Ratatin, devenant pâle; on ne m’a pas dit ça, à moi; je n’entends pas qu’il y ait du sang. versé.

–On te connaît!

Rassure-toi! j’assassinerai ta jeune mariée comme tu l’enlèveras, de son consentement, et la dame se portera comme toi et moi.

–Ta parole?...

–Foi de Surin!

Comme ils trinquaient, on heurta à la porte; Fleur-d’Ebène ouvrit; M. le baron de Chabrins parut sur le seuil et s’arrêta un instant, regardant alternativement Ratatin et Surin, stupéfait de trouver ensemble ses deux complices.

–Ah! ah! fit enfin M. de Chabrins, vous vous connaissez, mes gaillards? Eh bien, tant mieux, me voilà certain du moins que vous agirez de tout cœur! Un mot seulement, et je pars. Etes-vous prêts?

–Nous sommes à vos ordres, monsieur le baron, dit Surin en s’inclinant.

–Alors, à mardi!... En attendant, messieurs, pour vous permettre de passer le temps, voici pour chacun de vous.

Et il remit un billet de mille francs à chacun des deux drôles.

–Adieu, mes maîtres! reprit-il. Inutile de vous dire que je pars demain pour bien établir mon alibi!

–Cependant, s’il survenait quelque chose d’imprévu.

–Ne m’écrivez pas à mon régiment. En cas d’urgence, adressez-vous simplement à ma mère. Sur ce, bonne chance! au revoir!...

Et, aussi tranquillement qu’il était entré, M. de Chabrins sortit, le chapeau crânement posé sur l’oreille.

Les deux compères se regardèrent un instant sans mot dire.

–Eh bien, dit le Conciliateur, ce que c’est que les affaires! Hier, je croyais que nous n’étions que deux dans la comédie d’Orvilliez; ce matin je me suis douté que nous étions trois, et, ce soir, je m’aperçois que nous sommes quatre!...

–Dame, dit Ratatin, du moment que Mme de Chabrins a un rôle dans la pièce!

–Je m’en doutais, du reste. La chose était trop diabolique, trop corsée pour avoir été inventée par un homme seul. Je sentais qu’il y avait une femme là-dedans!

–Fière femme... et fier homme!...

–Oui! Il y a du plaisir à travailler pour ces gens-là! Mais que cette affaire ne nous fasse pas oublier l’autre!... Au revoir, mon fils!... Tout de suite au cabaret du Fumerron malade!...

Les requins de Paris

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