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CHAPITRE XII
CONSEIL DE GUERRE

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Aussitôt après avoir dîné, Surin envoya Fleur-d’Ebène rouvrir le Tombeau des Secrets, avec ordre de retenir, autant que possible, tous ceux qui se présenteraient, et notamment Ratatin.

Pour lui, il se rendit chez Galathée.

La Sirène l’attendait avec impatience.

–Eh bien? interrogea-t-elle anxieusement.

–Rude journée, madame, mais grandes nouvelles.

–Notre inconnue?...

–N’est ni la fille ni la maîtresse de M. de Morlac.

–Vous savez son nom?

–Et son adresse!

–Maître, je vous fais mes compliments!...

–Déjà!... Attendez, madame, attendez!... Je n’ai encore rien fait!... Laissez-moi vous apprendre tout de suite que cette merveille de beauté est la candeur, l’innocence, la vertu en personne!

–Avant huit jours, le vicomte sera fou d’elle!

–Je le crois!

Et Surin, qui n’était prolixe que lorsque les bavardages étaient nécessaires, raconta fort succinctement à Galathée, et sa visite à l’hôtel de Morlac, et la rencontre qu’il avait espéré faire et qu’il avait faite de Dupré au cabaret de la Grenouille en goguette, et les renseignements qu’il avait tout de suite pris à Saint-Cloud sur la jolie blonde qui, finit-il, demeure chez son père, serrurier sur le quai de Saint-Cloud, et se nomme Gabrielle Probus.

Comme on le voit, le Conciliateur mentait un peu. C’est qu’il jugeait utile de ne parler à Galathée ni de sa course à Orvilliez, ni des renseignements fournis par le fossoyeur. La prudence lui commandait de taire le nom de Jeannic et de laisser croire à sa complice qu’il s’était renseigné sur Gabrielle à Saint-Cloud même.

–Que pensez-vous de Dupré? demanda Galathée.

–Une fine mouche, madame, un maître gredin, capable de toutes les ruses et de toutes les audaces, un adversaire des plus dangereux, un requin du grand monde! A l’heure qu’il est, s’il ne sait pas encore tout ce que je vous raconte en ce moment, il y a gros à parier que demain il sera aussi bien renseigné que moi.

–Alors, le jour de la bataille?

–Est arrivé!

–Ah! maître! je vais donc vivre!... Vous devez avoir déjà élaboré votre plan?...

–Oui, madame, et comme je n’ai pas l’habitude de déposer mes plans chez un notaire, je vais vous dévoiler tout ce que je vois à faire. Mais, avant tout, un mot, un mot d’une importance extrême. Pouvez-vous disposer d’une somme ronde?

–Maître, je vous autorise à tirer à vue sur moi pour quelque somme que ce soit!...

–Prenez garde, belle dame!... Le vicomte ne regardera lui, à rien, pour triompher.

–Moi non plus!...

–Permettez!... Vous doutez-vous de ce que j’entends par une somme ronde?

–Monsieur le Conciliateur, répliqua Galathée d’une voix sifflante, je sais ce que je fais! M. de Bayolles me donnerait jusqu’à sa dernière ferme pour me voir l’aimer et rendre Georges la fable de Paris. Or, M. de Bayolles est un petit nabab1.

–Eh bien, madame, je vous réponds qu’avant peu vos désirs seront comblés! Voulez-vous me permettre de vous donner quelques instructions?...

–Donnez des ordres, s’il vous plaît!...

–Ah! il y a plaisir à causer avec vous!... Demain, retenez M. de Bayolles près de vous!... Car demain vous aurez de moi visite ou lettre. Or, sur-le-champ, vous devrez agir. Il faudra vous vieillir de dix ans et revêtir un costume sévère, jouer à la duègne.

–Le temps nécessaire, et je serai vieille et laide.

–Dévote encore!

–Bigote, s’il le faut!

–Vous serez brune et vous porterez lunettes, des lunettes de coquin, de ces jolies lunettes à capuchon et à verres de couleur, qui rendent les gens méconnaissables.

–J’aurai la démarche solennelle.

–Superbe! cria Surin en riant.

Cela fait, vous partirez pour Saint-Cloud avec M. de Bayolles. en coupé fermé. Il faudra faire en sorte que M. de Bayolles soit aussi peu vu que possible! Sur les hauteurs de Saint-Cloud, vous chercherez une villa quelconque, bien entourée de murs, solitaire et vide. Vous la [louerez.

–Au besoin, je l’achèterai.

–Comme il vous plaira! Vous la meublerez dans les vingt-quatre heures!

–C’est facile!

–Aussitôt la maison louée ou achetée, vous vous ferez conduire chez M. le curé.

Stupéfaite, Galathée regarda le Conciliateur.

–Vous vous ferez annoncer sous le nom et le titre de MM. et Mme de Sainte-Croix du Reuillan. Voici vos cartes.

Galathée prit les cartes de visite que lui tendait Surin et lut: M. le comte de Sainte-Croix du Reuillan, Mme la comtesse de Sainte-Croix du Reuillan.

–Ensuite? dit-elle brièvement.

–Vous raconterez au vénérable pasteur que M. le comte, votre époux, part le lendemain pour l’Italie remplir une mission intime auprès du Saint-Père.

–Quelle mission?

–Une mission quelconque. Par exemple, celle d’aller présenter à Sa Sainteté les respects monnayés de nombre de fidèles.

–Très-bien!

–Pendant cette absence, vous ajouterez que vous resterez à Saint-Cloud, où vous vivrez loin du monde, dans le recueillement, et que vous seriez bien heureuse si M le curé voulait vous honorer souvent et de ses bonnes visites et de ses excellents conseils.

–Et, pour le bien disposer, je lui offre, comme entrée de jeu, cinquante louis pour ses pauvres!...

–O! si vous remuez les louis comme cela, notre affaire marchera comme sur des roulettes! Une fois le pasteur dans votre manche, vous lui demanderez où vous pourriez bien trouver une demoiselle de compagnie, mais une demoiselle comme il y en a peu!...

–Comme il n’y en a guère!

–Comme il n’y en a pas!

Et Galathée et Surin de rire aux larmes.

–Voilà le point difficile! reprit Surin. Il faudra trouver une combinaison pour amener le digne homme à vous offrir Mlle Probus.

–Ce que vous me demandez là est impossible!...

–Non, madame, non. Sachez qu’à cette heure le père Probus est embarrassé de la donzelle. Aussi faut-il se presser de la pincer, avant qu’il la loge ailleurs que chez vous!...

–Je ferai ce que vous voulez!

–Et moi, je vais vous aplanir la route. Pour arriver plus facilement à votre but, vous direz à M. le curé que vous avez besoin d’un peintre, d’un menuisier, d’un serrurier.

–J’y suis!... Il a dû élever la jeune Gabrielle., il me parlera du père.

–Allons donc!

–La chose ira toute seule!...

–Passons maintenant à M. de Bayolles!...

–Nous disions que le lendemain matin.

–Il partait pour Home. Vous le confinerez tout simplement dans une de ses terres.

–Hon! bon! fit Galathée.

–Il le faut! appuya sèchement Surin.

–C’est dit! mais qui veillera sur moi là-bas?

–Votre maison. Entendons-nous, celle que je vais vous composer! Une petite garnison composée de six domestiques mâles, un cocher, un cuisinier, un valet de pied, un sommelier, un jardinier et un suisse.

–Je ne peux pas me passer de femme de chambre. Vous me permettrez d’emmener Rose?...

–Non pas. Rose. elle se vendrait!... Je vous donnerai une femme de chambre, puisque vous en voulez une, et celle-là, vous pourrez compter sur elle. Je vous la garantis fidèle, incorruptible, vaillante, un vrai chien de garde.

–Et vous nommez cela?

–Fleur-d’Ebène, ma gouvernante!...

–Mais vous m’avez dit qu’elle était quelque peu folle!...

–N’ayez peur!... Vous en ferez tout ce qu’il vous plaira. Mais, par les cornes du diable! ne prononcez jamais devant elle les mots de bol de vin chaud.

–Parce que?...

–Parce que, si vous lui offriez un simple verre devin chaud, la douce, l’excellente Fleur-d’Ebène, la femme de chambre soumise, dévouée, elle vous étranglerait net!...

–Ho! ho! Il y a une triste histoire là-dessous!

–Femme! vous la devineriez en dix minutes, si vous vous donniez la peine de vouloir la connaître.

–J’y suis!... On l’a grisée un soir avec du vin chaud.

–Elle s’est réveillée déshonorée.

–Elle est devenue folle.

–Et, comme il y avait un peu de ma faute dans tout ça, et que je désirais que la rue de Jérusalem n’approfondît pas la chose, j’ai adopté la pauvre enfant!...

–J’accepte Fleur-d’Ebène. Ainsi, si nous réussissons à avoir Gabrielle, nous voici neuf chez moi!... C’est vous qui commanderez la garnison?...

–Non, madame, non!... Je suis trop reconnaissable, moi!... Et puis, Gabrielle m’a vu, Gabrielle me tient pour un ennemi. Inutile de lutter contre cela. Ma protection lui ferait peur. Donc, je serai invisible; mais l’invisible saura tout ce qui se passera, par la simple raison que, de Paris, il tiendra les fils qui feront mouvoir toutes les marionnettes de notre comédie.

–Je me serais sentie plus forte, si je vous avais su près de moi.

–C’est impossible!, .. Mais rassurez-vous: je serai remplacé par un homme qui, le diable m’emporte, me vaut presque.

–Et le nom de ce phénix?

–Ratatin!

–Ratatin!... Qu’est-ce que c’est que ça?

–Ratatin, dit le Bombé, madame, c’est tout simplement le chef des Agoutis, comme moi je suis le chef des Requins. Si, dans vos moments d’accalmie, vous pouvez vous faire raconter l’histoire de Ratatin par Ratatin lui-même, je vous promets que vous prendrez plaisir à l’entendre.

–Je n’aurai garde d’y manquer, fort curieuse que je suis de savoir la différence qui existe entre le Requin et l’Agouti.

–Elle est des plus simples. L Agouti est un maître peureux, disposé à tout faire du moment qu’il ne relèvera que de la correctionnelle; le Requin, lui. ne craint pas la cour d’assises; le Requin se moque de l’abbaye de Monte-à-Regret, tandis que le nom de Clairvaux donne le frisson à l’Agouti.

–Mais si l’Agouti est si peureux que cela?...

–L’Agouti est un lion, belle dame, le jour où il protége l’innocence!... Or, que faisons-nous aujourd’hui?...

–Une bonne action!...

,–A tel point que je désespérerai de la justice de mes semblables si l’an prochain on ne nous donne pas le prix Monthyon!–Au revoir, Galathée, au revoir!

Galathée tendit la main au Conciliateur.

–Un dernier mot, dit celui-ci; pour toute votre maison actuelle, M. de Bayolles vous congédie!...

–Et que devient le service?

–Il l’emmène avec lui, là où vous le confinerez!

–Et demoiselle Rose aussi!...

–Pauvre jeune homme!... Il faut bien lui passer une distraction!...

–Au revoir, maître, au revoir, dit Galathée; j’agirai quand vous me ferez signe.

–Parbleu, dit Surin, on ferait peut-être bien d’agir sans désemparer!

–Voulez-vous demain?...

–Demain, soit!...

–Eh bien, demain, mon maître, j’aurai bien mérité de vous!

Surin baisa avec transport la main que lui tendit la sirène, et, radieux, regagna le Tombeau des secrets.

Les requins de Paris

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