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CHAPITRE XIII
OU ON FAIT CONNAISSANCE AVEC L’AGOUTI

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Pendant que Surin causait avec Galathée, Ratatin arrivait au Tombeau des secrets.

Il n’y trouva que Fleur-d’Ébène.

A la vue du bossu, la marquise poussa un cri joyeux.

–L’Agouti! dit-elle.... Ah! c’est le ciel qui vous envoie!...

–Qu’y a-t-il donc, ma mignonne? interrogea Ratatin.

–Chut! fit-elle... Ecoutez moi!...

Et Fleur-d’Ebène raconta qu’un matin elle avait trouvé couverte la porte de l’échoppe, derrière laquelle elle avait ramassé un petit poignard.

–Un bijou, dit Ratatin...

–Que pensez-vous de cela, maître Ratatin?

–Que quelqu’un a eu intérêt à pénétrer dans le Tombeau des secrets dans l’espoir d’y trouver, non pas des billets de banque, mais des papiers dont pour lui le besoin se faisait sentir. Il aura forcé le pène avec ce bijou mignon qu’il aura laissé tomber sans s’en apercevoir., A moins que, pour dérouter les gens, il ne l’ait perdu rexprès.

–Si c’est le poignard d’une femme.

–Si c’est le poignard d’une femme, ma bébelle, c’est pour moi la preuve qu’un homme est venu.

Il–Ah!... faut-il parler de cela au Conciliateur?

–Non, du moment que tu ne l’as pas fait tout de suite... Tiens! confie-moi l’objet!... je tàcherai de découvrir à qui il appartient.

–Gardez-le, Ratatin, et surtout ne dites rien au Conciliateur!

–Sois tranquille, ma fille, je serai muet comme une carpe.

Cela dit, Ratatin mit le. poignard dans sa poche et s’éloigna en disant:

–Avant une heure je serai de retour!...

Une heure après, Ratatin se promenait devant l’échoppe, en fumant un cigare et attendant Surin.

Ce n’était pas un bel homme que maître Ratatin, mais ce n’était pas un monstre comme le Conciliateur. C’était simplement un bossu d’une taille moyenne, aux jambes grêles, aux bras minces, à la figure couleur de cire vierge, aux petits yeux gris, à la bouche bien fendue ornée de lèvres sensuelles et moqueuses, aux pommettes des joues saillantes, au front large, à l’occiput garni de la bosse de la volonté.

Ratatin était le nom de guerre de ce bombé.

En effet, cet avorton était quelqu’un; il avait le droit de porter un nom jadis illustre. C’était le représentant d’une vieille famille de Carcassonne. Il s’appelait véritablement Adolphe de Raffignac, fils légitime de feu le comte de Raffignac, capitaine aux gardes du roi, et de demoiselle Catherine Sulas, de son vivant couturière de Mme la marquise de Montabart, cousine du comte.

Agé de dix ans, Adolphe perdit son père et sa mère à trois mois de distance. Mme de Montabart se chargea du petit cousin qu’elle plaça chez les jésuites, qui le lui rendirent au bout d’un an, puis chez les laïques, qui le chassèrent au bout de six mois, enfin dans une administration où M. le comte ne travailla pas du tout, mais commit nombre d’indélicatesses. Par égard pour son nom, et surtout pour sa protectrice, on se contenta de l’envoyer se faire pendre ailleurs.

La marquise perdit patience. Elle lui signifia résolûment son congé, lui défendit son hôtel et, néanmoins, lui mit un rouleau de cinquante louis dans la main pour lui donner le temps de se retourner.

M. le comte mangea ses mille francs fort tranquillement, et pendant quelque trois ans assassina, tantôt de ses visites, tantôt de ses lettres, toutes les notabilités à la fois légitimistes et orléanistes de l’époque. N’ayant plus que le nom de son père pour tout bien, il en vivait.

Il en vécut même un certain temps assez grassement, mais, fatalement, avec des bohèmes de bas étage, des filles perdues et des grecs, gens fort aises d’avoir un ami dans la noblesse.

Un jour les protecteurs se lassèrent. Ne pouvant plus être l’amphitryon des drôlesses et des faquins au milieu de qui il vivait, il devint leur parasite. Ceux-ci se fatiguèrent tout de suite de lui et lui firent comprendre qu’il était devenu plus que gênant. De fainéant, il devint grec. Mais les grecs du bas-monde ont bien du mal à vivoter. Un soir, M. le comte fut obligé de se retirer aux Carrières-d’Amérique.

Trop lâche pour devenir escarpe, il se fit filou.

Par un jour de beau soleil, ayant quelques écus en poche, il eut une heure de sage réflexion. Il se dit qu’en continuant de vivre ainsi, il finirait bientôt, après avoir fait maigre chère, par paraître sur les bancs de la correctionnelle qui l’enverrait bien certainement à Clairvaux, piteuse fin pour un comte de Raffignac.

Pensant à Surin, dont il avait fait la connaissance, il se demanda pourquoi il ne suivrait pas la route tracée par le Conciliateur. Que diable! Paris était bien assez grand pour contenir deux Surin. Il rentra dans la capitale, enchanté de lui. Mais quand il s’agit de mettre son idée à exécution, l’effroi le prit. Il ne se sentit pas de taille à jouer le rôle du maître. Ce damné bossu avait une peur atroce des tribunaux et des prisons.

Il changea ses batteries. Ayant reconnu que dans la grande ville grouillent nombre de coquins qui reculent au dernier moment devant un bon coup à faire, après l’avoir longuement et savamment préparé, il se demanda pourquoi il ne fonderait pas une société de simples coquins indicateurs, lesquels se contenteraient d’un quart, voire du cinquième des bénéfices faits par d’aventureux et fiers requins, toujours prêts à tout.

Ce jour là, notre poltron avait trouvé sa voie.

Il ne se fit pas écrivain public, ne voulant pas copier servilement le maître; il fonda un bureau de placement, bureau borgne où la police, comme au Tombeau des secrets, trouvait parfois de précieuses indications, et ce, vers la barrière d’Italie.

A l’époque de la présente histoire, tout ce qu’il y avait d’interlope à Paris ne jurait que par Surin, le Requin, au besoin prêt à tout, et que par Ratatin, dit le Bombé, l’Agouti de la ruelle du Saule, chef des Agoutis dont il sera parlé un peu plus tard, et ainsi nommés parce qu’ils sont poltrons comme des lièvres.

De ce qui précède, il est facile de conclure qu’un jour le Requin et l’Agouti se rencontrèrent dans la même affaire. La manière dont ils procédèrent força leur mutuelle admiration.

De rivaux, ils devinrent amis. Parfois, ils s’enlevaient bien un client, mais, en somme, ils aimaient à se savoir complices.

Etant donné l’habileté de ces deux drôles à préparer, à conduire et à dénouer une affaire, on s’étonnera peu de l’émotion de Surin, qui machinait quelque chose de remarquable du côté d’Orvilliez, en apprenant que Ratatin venait ce matin même d’aller flâner près de Saint-Denis, sur les bords du canal où il avait été lézarder dans le Trou du Canardier.

Cette promenade du Bombé inquiétait Surin.

Aussi revenait-il vite de chez Galathée vers le Tombeau des secrets, où il espérait voir Ratatin.

En le voyant se promener devant l’échoppe, le Conciliateur poussa un cri de joie.

Les requins de Paris

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