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XI.
CHARLES DE RÉMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A TOULOUSE.

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Table des matières

Paris, mardi18avril1815.

Ma mère vous a cru perdu pendant quelque temps, mon bon père, attendu que, par je ne sais quel hasard, nous avons été plusieurs jours sans lettres, tandis qu’il nous en est arrivé deux, le dimanche. C’est alors que nous avons appris votre heureuse arrivée, et la tranquillité du pays. Au reste, quelles qu’aient été ses inquiétudes, vous devez vous féliciter d’avoir une femme comme la vôtre; car, malgré l’incertitude de votre sort et du nôtre, les alarmes de ma tante, les mauvaises nouvelles de tous les bavards, elle est restée calme, et n’a, presque pas un moment, cessé d’être gaie, ni de rire, peut-être pour ne pas pleurer.

Vous avez donc vu cette bonne ville de Toulouse, et ce castel de Lafitte, et M. Beguillet, qui est sourd, et M. le Curé, qui n’est pas muet, et tous les métayers et métayères de notre connaissance. J’imagine que votre talent en architecture va tellement se signaler que nous ne reconnaîtrons pas Lafitte, moi, celui que j’ai vu, ma mère celui que nous lui avons dépeint. Conservez toujours, je vous prie, votre projet de me donner la petite chambre au-dessous du grenier, et d’où l’on voit les Pyrénées. Il me semble que je serai là admirablement, pour griffonner des vers et de la prose. Je songe beaucoup, en effet, à reprendre la plume et les livres, une fois arrivé là-bas; car, pour ici, ma bibliothèque étant partie pour vous joindre, je n’ai d’autre littérature que les journaux.

Je suppose que vous les lisez, et par conséquent vous en savez autant que les grands politiques de Paris, car, malgré les conjectures, les mensonges, les nouvelles, il faut avouer que l’on ne sait rien de positif, et l’on ne sait rien parce qu’il n’y a rien encore, je crois. Il est aussi fou qu’inutile de prévoir. Il faut attendre que ce grand drame politique se joue. Prononcer aujourd’hui, c’est vouloir juger la pièce quand la toile est encore baissée. Il me semble, cependant, que les chances pour la paix sont plus nombreuses qu’il y a quelques jours. Dieu nous sauve de la guerre! Quoi qu’ils en disent, voilà le vœu que nous devons faire. S’il est exaucé, ne nous plaignons pas. Quand je dis ne nous plaignons pas, c’est de nous-mêmes que je parle.

Ma mère dit que vous êtes triste, mon père; j’ai le droit de vous dire de ne pas l’être, puisque vous ne l’êtes presque que pour moi. Quel grand mal y a-t-il, après tout, à passer quelques années dans la retraite, entre nous, occupés de nous seuls, sans regrets et sans désirs, fût-ce même sans espoir? Je suis trop jeune pour avoir besoin d’être à Paris; ce n’est qu’à vingt ans qu’on commence sa fortune, en supposant qu’il soit jamais nécessaire d’y penser. Vous savez bien que je n’ai guère d’ambition, et pourvu que je paye toujours mille francs d’impositions, je suis content. Croyez-en un écolier: au lieu d’être à Rome, il vaut mieux être à Tuscule, et comme dit Cicéron: Potior est deambulatio tecum in solo laurentino. Pardonnez-moi mon latin; je ne sais que cela.

Voilà de la philosophie, mais, franchement, ce ne sont point des paroles, et j’espère que mon goût s’accorde avec le vôtre. Nous partirons, j’espère, lundi prochain; il n’y a presque plus personne ici; madame de Grasse est en Normandie; madame de Vannoise va y aller; je ne sais d’arrivé que M. de Guerchy qui a repris sa place, et qui m’a dit que vous pouviez le croire tout à votre service, si vous aviez quelque commission à lui donner.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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