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VIII.
MADAME DE RÉMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A LAFITTE.

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Table des matières

Paris, mercredi12avril1815.

Mon ami, j’éprouve un vrai soulagement en pensant que tu es arrivé. Cependant, je ne serai tout à fait tranquille que lorsque j’en aurai la certitude et que j’aurai reçu une lettre datée de Toulouse; alors, je m’occuperai de t’aller joindre, et ce sera vraisemblablement dans fort peu de temps. Quel que soit le plaisir que tu auras à me revoir, tu ne peux t’imaginer à quel point je serai contente de nous voir ainsi rejoints. Ces deux cents lieues me pèsent sur le cœur, et je ne trouve pas que je vive tout à fait quand je vis loin de toi. D’ailleurs, je suis sûre que la présence de ton fils et de moi-même remontera ton courage. Ta dernière lettre était écrite d’un ton abattu. Pauvre cher! Reprends, mon bien-aimé, les forces de ton âme; nous en avons tous besoin. Dis-toi qu’il n’est pas de malheur que je ne sache supporter près de toi, qu’il n’est pas de peine que tu ne m’adoucisses, que la tendre affection que nous avons tous trois nous fortifiera toujours, et que, dans les temps d’orages politiques, la pureté de la conscience et la sûreté des sentiments donnent du calme. Les expériences que nous faisons depuis tant d’années exercent les parties fortes de notre âme, et je t’assure que je trouve dans la mienne un véritable courage. Je viens d’en faire l’épreuve, depuis ton départ; je me suis réellement bien conduite; j’étais inquiète pour toi, parce que c’est ce qui m’arrive dès que tu me quittes; mais j’ai senti qu’il fallait maîtriser tout ce qui me troublait, et faire toutes mes affaires. Je m’en suis donc occupée sans relâche, et j’ai assez bien arrangé une foule de petites choses. D’ailleurs, Paris m’ennuie et me fatigue, et ce qu’il y a de bon, c’est que ion fils a autant d’envie de partir que moi. Nous aurons une belle saison; nous voyagerons prudemment et doucement, nous aurons nos papiers bien en règle, et tu verras que nous t’arriverons.

Je crois que tu es charmé, comme moi, d’avoir M. de Lameth pour préfet; je lui ai écrit de me venir voir à son passage à Paris, et vraisemblablement, comme il faut qu’il aille vite, il te portera de mes nouvelles. Je pense que nous emploierons bien notre temps là-bas, et que nous mènerons dans nos champs une bonne petite vie. Songe que te voilà tout près de n’avoir plus à dire ton vers favori d’Horace, et que tu vas goûter le repos que tu aimes, et qui me fera tant de bien. Nous donnerons notre démission des affaires politiques; les querelles des grands de la terre ne nous atteindront plus, et nous serons heureux, mon ami, parce que nous serons modérés et unis.

Je ne sais quelle nouvelle te mander; tu trouveras les journaux à la guerre. On y croit ici, généralement, et cependant, je vois des gens raisonnables qui en doutent encore. Il y a des partis qui la désirent; les royalistes y voient le salut, et pourraient bien se tromper. Il me semble que rien ne va bien quand l’étranger se mêle de nos affaires, et je ne vois pas trop quelle confiance doit inspirer l’ennemi à qui que ce soit. Je frémis, mon ami, des excès de sentiment où peut emporter l’esprit de parti. Que je suis heureuse de te devoir des habitudes de modération dans mes opinions, et que je trouve tout le monde insensé ici! Il y a un bien petit nombre de personnes avec qui je puisse m’entendre, parce que je suis raisonnable, il faut que j’en convienne, et que je ne me trouve passionnée sur rien. Les inconvénients me frappent de tous les côtés. Je me soumets à la Providence, à une certaine force des choses qui, dans un temps civilisé, tend toujours à l’ordre, en dépit des folies ou des sottises des hommes, et je crois qu’avec de la prudence, du calme et du courage, nous nous trouverons hors de ces orages. L’exagération ne dure point en France, et comme nous sommes tous assez bavards, la plus grande partie de notre feu s’évapore en paroles, heureusement. Désirons la paix, voilà le véritable vœu national, et laissons au temps à nous donner le gouvernement qui doit tout pacifier, quel qu’il soit. Il est certain que celui qui voudra régner longtemps sur les Français sera celui qui cherchera à calmer les inquiétudes et à adoucir les esprits, et je crois l’empereur et ses ministres trop habiles pour n’en pas savoir autant que moi sur ce point.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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