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CORRESPONDANCE
DE
M. DE RÉMUSAT
PENDANT
LES PREMIÈRES ANNÉES DE LA RESTAURATION

Table des matières

I.
MADAME DE RÉMUSAT A SON FILS CHARLES DE RÉMUSAT, AU LYCÉE.

Table des matières

Paris, avril1814.

Oui, mon enfant, je vous enverrai chercher demain matin; j’ai besoin de vous revoir, de vous tenir auprès de moi, après les dangers que nous avons courus, et aussi de causer à fond avec vous. Votre billet me fait sentir la nécessité de vous parler sincèrement, et avant tout, mon cher Charles, je vous dois le conseil que je vous ai souvent donné, et qui est très important dans ce moment, de ne pas vous laisser aller à cette disposition qui vous est un peu trop naturelle, de juger froidement et sèchement des choses, en vous mettant à part des sentiments qu’elles devraient vous inspirer. Je n’aime point à vous entendre dire que les hommes sont méprisables; je n’aime point que, sur un extrait d’un ouvrage que vous n’avez pas lu, vous disiez d’un homme qui tient à une famille respectable, qui porte un nom vénéré en France, qu’il est dans la boue. Le livre de M. de Chateaubriand parait aujourd’hui; vous verrez qu’il avait été fait pour aider le mouvement de réaction qui vient de se faire. Hier, avant de l’avoir ouvert, j’ai entendu plusieurs personnes en parler; en général, il éussit, parce qu’il apparaît comme un cri d’indignation. Personne ne s’est avisé de le juger, hier, chez moi, et personne n’avait regardé s’il était mal ou bien écrit. Je vous recommande, à votre retour ici, d’être fort circonspect dans ce que vous en direz, car vous blesseriez beaucoup de monde. Parlez avec moi franchement, mon enfant; vous devez à l’indulgence avec laquelle je vous laisse toute liberté de me contredire, de me montrer de la sincérité, mais prenez garde aux paroles qui vous échappent devant les autres, respectez les opinions et les sentiments de ceux qui sont animés dans ce moment par le danger, et ne froissez personne par de la sécheresse, dans un instant où tout le monde est ému.

Quant au livre de M. de Chateaubriand, le voilà; je l’ai parcouru ce malin, je vous l’envoie, non pour le juger, mais pour vous prouver qu’il n’est point ce qu’on appelle un pamphlet. Je le sépare de son auteur, je ne m’avise point de décider s’il a eu tort ou non de le faire, mais malheureusement, il ne renferme pas une exagération par rapport à l’empereur. Vous savez que je suis vraie, incapable de haine et naturellement généreuse: eh! bien, mon enfant, je mettrais mon nom à chacune des pages de ce livre, s’il en était besoin, pour attester qu’il est un tableau fidèle de tout ce dont j’étais témoin. Quand vous causerez tranquillement avec votre père et moi, alors, nous vous dirons ce que nous avons souffert depuis quelques années; nous vous expliquerons comment, en respectant la pureté de votre jeunesse, nous avions soin de vous bander les yeux sur mille choses qu’il était nécessaire que vous ignorassiez. Destiné à le servir comme vous l’étiez, vous deviez être abusé sur son compte, et quand la vérité arrivait jusqu’à vous, par les discours des personnes qui m’entouraient, vous pouvez vous ressouvenir que, presque toujours, je m’efforçais de détourner l’effet qu’on pouvait produire sur vous. Votre père et moi nous avons vu l’empereur de près, nous avons souffert, nous avons gémi; le ciel m’est témoin que je lui ai toujours pardonné le mal qu’il nous faisait à nous-mêmes, mais j’ai cruellement senti celui qu’il faisait à la France. J’ai vu souvent votre pauvre père, quand nous étions retirés, le soir ensemble, ému jusqu’aux larmes, ébranlé par le désir de s’éloigner, et retenu par la pensée qu’en supportant tout, il travaillait à votre avenir. Depuis trois mois, votre père et moi nous appelons de tous nos vœux la réaction qui vient d’avoir lieu, et nous sommes tous deux d’honnêtes gens. Elle renverse notre propre situation, et elle a été l’objet de nos désirs. Mon enfant, détournons nos yeux de ce temps de malheur qui vient de se passer, et qui laissera de profondes plaies à notre pauvre pays; espérons de l’avenir, espérons pour le vôtre; nous aurons beaucoup souffert, mais vous serez heureux, voilà toute mon espérance. Songez à vous attirer dans ce moment la bienveillance publique, ne choquez point, ne cassez rien, ne refoulez personne, respectez les sentiments, jetez un voile sur les actions, excusez les vanités, les folies, les sottises; ne méprisez pas l’espèce humaine. Soyez prudent et réservé dans vos paroles, et je vous demande au nom de toute ma tendresse, et, s’il le faut, je vous prescris avec toute mon autorité, de ne pas vous permettre, devant qui que ce soit, le moindre blâme sur aucun individu. J’ai une raison pour insister sur ce point, parce qu’il est important, à présent, de prendre garde à se faire des ennemis, ou à se créer des haines. Ouvrez-moi toutes vos pensées, je vous entendrai dans le tête-à-tête, et je vous comprendrai parfaitement, mais, devant d’autres, prenez garde de donner une mauvaise impression contre vous, et ne blessez personne.

Voilà une longue lettre; je laisserai tout ce que j’aurais à vous dire encore, et j’aime mieux causer avec vous, pendant que vous serez ici. Enattendant, voici des nouvelles: Dans la nuit d’avant-hier, il y a eu révolte dans l’armée; les maréchaux et les généraux se sont emparés de l’empereur, et l’ont renfermé à Fontainebleau, dans ce même château où il renfermait le pape depuis quatre ans. Là, ils lui ont signifié que son règne était passé, et qu’il fallait qu’il abdiquât. L’empereur a eu un grand effroi; il a eu des attaques de nerfs, il a pleuré, disputé pendant quatre heures, repris et quitté sa plume quatre fois, pour signer son abdication, et enfin signé, à condition qu’on laisserait le trône à son fils. Les maréchaux l’ont tenu enfermé, et ont envoyé hier, ici, Ney et Macdonald pour apporter cette abdication. Le gouvernement provisoire a refusé la couronne au roi de Rome, les maréchaux étaient mécontents; la nouvelle de la désertion de huit mille soldats et de Marmont ayant pris la cocarde blanche les a ébranlés. Hier, Paris était plein de nos soldats français qui revenaient et demandaient du pain. C’étaient les soldats russes qui leur en donnaient; on a, dans la journée, aboli la conscription. Voilà où on en était hier soir; demain, je vous dirai le reste. Nous commençons à espérer qu’il n’y aura pas de bataille, et que, l’armée se débandant, le sang français sera épargné. Adieu, cher enfant, je vous aime de toute la tendresse de mon âme. Votre bonheur à l’avenir me consolera de tout ce que j’ai souffert depuis longtemps, à votre insu.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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