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XVII.
MADAME DE RÉMUSAT A MADAME DE NANSOUTY, A ORAIN.

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Table des matières

Lafitle, 10juin1815.

Quand cette lettre vous arrivera, j’imagine que vous aurez vu M. Pasquier. Je suis bien aise que vous l’ayez attendu. Sa conversation vous fera du bien, et ses conseils ne peuvent être que bons. J’imagine que vous prendrez un parti, après cette visite. Que je vous plains, ma chère, de n’avoir pas le repos que vous souhaitez tant! Rien n’est pire que de demeurer dans un lieu, en tournant sans cesse ses idées sur le projet de le quitter; on en jouit peu, on fait tout comme en l’air, on creuse les possibilités de mille événements qui, la plupart du temps, n’arrivent point, et on trouble désagréablement ses jours et ses nuits; oui, ses nuits, car je suis sûre, ma chère, que c’est surtout le soir que vous commencez vos dissertations tous trois. Vous les poussez loin, parce que vous êtes des veilleuses, et, quand vous vous quittez, vous êtes trop agitée pour bien dormir. En vérité, ma chère enfant, il faudrait que vous eussiez la force d’avoir un peu pitié de vous-même, de vous traiter au moral comme on le fait pour la santé, et de vous soumettre à quelque ordonnance qui vous procurât, au moins, quelques heures de repos. Ici, nous ne nous permettons les conversations du genre des vôtres qu’à la face du soleil, et, le soir, c’est toujours par la lecture de Clarisseque nous terminons nos journées. Mes deux compagnons sont loin de prendre comme moi à cette lecture; ils m’impatientent souvent. Mais ce genre de querelle ne nous réveille jamais assez pour qu’à dix heures un quart tout le château de Lafitte ne soit dans un profond sommeil. Vous avez raison de dire que les occupations uniformes font courir le temps. Je suis confondue de sa rapidité, ici, pour moi. C’est le temps de l’attente qui est long à passer, et comme je n’attends personne, je suis toujours occupée, et, quand je regarde ma pendule, toujours surprise qu’elle ait couru si vite. Nous sommes admirablement rangés: Nous lisons trois fois par jour, des vers le matin, quelque chose de sérieux avant le dîner, et la pauvre Clarisse, donc, le soir. Vous savez tout ce que mon mari a d’instruction profonde, et combien sa conversation est bonne, quand il veut s’en donner la peine; Charles, dont l’esprit veut toucher à tout, ne craint aucune question, et les traite avec l’originalité de sa jeunesse et de sa manière; moi, je m’amuse volontiers du mouvement qu’ils me donnent, et nous faisons des causeries infinies. Vous aimez Charles, ma chère amie, et vous entendrez volontiers son éloge; j’en suis plus contente encore que je ne l’espérais. Je démêle fort bien qu’il se résigne, plutôt qu’il ne se plaît, à la vie qu’il mène, mais son heureux caractère le porte à chercher des ressources dans ce que le sort lui laisse. Il a le goût de l’étude, et augmente beaucoup le cercle de ses connaissances; il me livre ses regrets que je comprends, et que je suis loin de repousser; il s’amuse à fouiller l’avenir qu’il voit serein et brillant, comme il arrive toujours à dix-huit ans. Je ne m’avise point de décolorer ses espérances; c’est, je crois, une précaution trop sévère que j’ai toujours blâmée dans le système d’éducation de notre amie madame Chéron. Froissée par ce qu’elle avait souffert, elle a trop cherché à préparer son fils à souffrir, et elle l’a un peu attristé, et cela bien inutilement, car il ne lui est rien arrivé des choses auxquelles elle voulait le préparer. Eh! mon Dieu, laissons-leur et leurs espérances et la plupart de leurs erreurs. Quand les mécomptes arrivent, c’est comme lorsque les femmes accouchent; il faut bien les porter, et, au fond, le plus ou moins de prévoyance ne diminue guère ce poids de peines.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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