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IX.
MADAME DE RÉMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A LAFITTE.

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Table des matières

Paris, vendredi14avril1815.

J’ai bien rangé des choses depuis que je suis ici; j’ai fait à peu près comme si j’étais morte et une sorte d’inventaire de moi, de mon vivant; j’ai vendu ce que j’ai pu, mais horriblement mal; aussi, n’ai-je fait de l’argent qu’en me défaisant des drogues, et sans oser toucher à nos meubles. Je les ai placés un peu partout, en prenant des notes pour savoir où ils étaient, et je commence à n’avoir plus guère qu’à partir; il me parait inutile de manger de l’argent ici, et la raison me conseille de m’en aller. Cette même raison me dit encore que nous devons, mon ami, agir désormais comme des personnes qui ne savent plus ce que c’est que d’être riches, et ne faire là-bas aucune fausse dépense. J’ai tout à fait dépouillé la grande dame, et je ne m’en trouve pas plus mal. Mon ami, il y a bien du superflu dans ce que nous appelons le nécessaire, nous autres, dans la société, et il ne faut pas appeler malheurs, ces privations du luxe et même de l’aisance. Si nous sommes tranquilles, nous serons heureux, et tu nous laisseras faire, moi et ton fils, pour te donner du bon temps. Ne te décourage donc point, et mets-toi dans la tête que, dans cette vie, et au travers des révolutions qui donnent tant de moyens d’apprécier les choses, je trouve que le premier des bonheurs est d’être la femme d’un homme tel que toi.

Je regarde toujours, en t’écrivant, quelles nouvelles je puis te donner, et je n’en trouve guère. Les Moniteurs d’hier et d’avant-hier sont fort curieux, ils porteraient assez à la guerre; j’espère toujours qu’elle ne se fera pas. En ma qualité de femme, elle m’inquiète plus que tout. Elle effraie beaucoup à Paris, et quantité de monde quitte cette ville, comme si les cosaques étaient à nos portes nous allons vite, ici, en imagination. Je pense quelquefois que, dans ce cas de guerre, les Espagnols menaceraient peut-être notre Midi, mais il me semble qu’ils ne sont pas trop entreprenants de leur nature, et Toulouse n’est pas si frontière. D’ailleurs, en pareil cas, on aurait peut-être le temps de se retirer dans quelque province du Centre. Il faut marcher jour à jour dans les temps difficiles, et ne pas trop craindre, ni trop prévoir.

Il est bien plus question ici de la guerre que de la constitution; c’est assez simple. L’empereur travaille à son ordinaire, c’est-à-dire beaucoup. Il se montre, se promène dans les rues, passe sans cesse des revues, tient beaucoup de conseils, montre, dit-on, un grand calme; son ministèreest habile et paraît le bien seconder; tout cela marche très activement, et tu n’en es pas surpris. Qui peut deviner l’avenir me paraît bien habile, et cependant la société est remplie de gens qui décident de l’Europe et règlent toutes choses du coin de leur cheminée; je les admire, et je prends le parti de me faire un spectacle de toute cette diversité d’opinions qui escompte la diversité des nouvelles. Quand je questionne quelqu’un dont je connais les désirs, je suis sûre d’avance de ce qu’il me va répondre, et je reviens chez moi, le soir, ne croyant à rien de ce que j’ai ramassé. On dit que l’empereur est très frappé des progrès que l’esprit de liberté a faits, en France, et, en effet, on parle sur tout d’une manière singulière; mais du parler à l’agir, surtout à Paris, il y a très loin, et nous autres, Français, on n’a qu’à nous laisser user en paroles, et nous demeurerons tranquilles.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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