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XIV.
MADAME DE RÉMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A LAFITTE.

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Table des matières

Toulouse, jeudi soir18mai1815.

Quand je me porterai mieux, et que je serai près de toi, j’espère que tu verras à ma bonne humeur que je suis bien, et que tu n’as pas à t’inquiéter. Il faudrait que j’eusse bien peu de raison, et que mon cœur fût passablement refroidi, pour que, dans un temps comme celui-ci, après avoir éprouvé tant de mécomptes dans le monde, et à l’âge où je suis arrivée, je ne susse pas supporter, auprès de toi, une solitude nécessaire, et qui doit nous donner du repos. Dans le peu de temps que je t’ai vu, il m’a semblé que tu étais trop frappé de l’idée que la vie que nous allions mener me serait pénible. Tu ne me rends pas justice, mon ami, tu ne te la rends pas à toi-même, et à moins que tu ne t’avises de changer d’humeur, de caractère et d’esprit, il y a pour moi, dans ta douce société, un grand nombre de jouissances que j’apprécie, et dont je vais jouir. Tu seras heureux; c’est pour moi un grand point. Tu sais que je sais tout porter, hors ta tristesse, et tu es le véritable baromètre démon repos et de mon inquiétude. J’ai souffert cette année, j’ai été trompée dans mes espérances, je l’ai été dans quelques-uns de mes sentiments, et cette triste expérience qu’apporte la vie, en se déroulant, m’a refroidie sur la plupart des plaisirs qui la composent. Tu m’as vue, depuis quelques années, forcée par l’état de ma santé, devancer l’âge, et quitter, sans un vif chagrin, des jouissances que j’aurais pu goûter un peu plus longtemps. Tu n’as pas remarqué que mon humeur en soit devenue plus sombre; au contraire, car je crois que je suis plus gaie que lorsque j’étais jeune et folle. Dans ces derniers temps, les privations se sont succédé avec assez de rapidité pour nous; il me semble que je les ai acceptées sans de grands efforts. Jette un regard sur la vie que j’ai menée, mon ami, depuis huit mois: des journées, au bout du compte, assez solitaires; à la vérité, vers neuf heures du soir, il me venait quelques personnes qui me plaisaient, mais considère un peu combien le nombre s’en était rétréci, et les différents motifs qui faisaient que, dans ma société, il ne pouvait point exister autant d’intimité qu’auparavant. Ces sentiments si contraires de quelques personnes, ces différences d’opinions, tout cela me frappait souvent, et me refroidissait un peu; je ne dis pas que je ne regrette, dans mon cœur, les soins d’un petit nombre d’amis, l’agrément de leur conversation, et cet avantage du séjour de Paris qui ne peut se trouver ailleurs, qui consiste dans la certitude de satisfaire mille goûts au moment où ils apparaîtraient, mais tout cela n’agit pas assez sur moi pour m’obscurcirla vie de Lafitte, et je te donne ma parole d’honneur que je ne crains pas du tout la manière dont mes heures s’écouleront. J’y ai bien pensé; je ne suis pas assez légère pour n’avoir pas tout pesé; je vois des intérêts assez vifs, l’espoir de mettre de l’ordre dans nos affaires, de bonnes lectures, assez de conversations entre nous trois, un bon nombre de lettres à écrire, du papier à barbouiller, et je suis sûre que je ne trouverai pas assez de temps pour exécuter mes plans. Tu sais comme je sais me ranger à la nécessité; c’est peut-être le meilleur côté de mon caractère, et celle de vivre entre toi et Charles n’est pas effrayante. Songe bien, mon aimable ami, à ce que tu es pour moi. Si, lorsque j’ai quitté Paris, tu avais pu lire dans mon cœur, tu aurais vu que le plaisir de te rejoindre était tel, que je disais à mes amis un adieu qu’ils n’ont pas dû trouver assez triste. J’ai vu verser des larmes autour de moi, et je n’en ai pas versé une seule. Rassure-toi donc, et entendons-nous pour parer cet exil à notre enfant, de notre mieux; tu m’y verras mettre bien de la coquetterie, je t’en avertis, et tu me seconderas. Je tâcherai d’amuser son esprit, en mettant le mien en frais; je lui laisserai beaucoup de liberté de conversation; nous battrons tous les sujets qu’il voudra. Il faudra que tu te prêtes à toutes nos pauvretés, que tu nous laisses déraisonner, tantôt gaiement, tantôt sérieusement, et que, sans qu’il s’en doute, nous soutenions son courage et son imagination. Il est vraiment aimable dans la manière dont il prend tout ceci; je vois ce qu’il regrette, je le comprends, je l’excuse; j’entre dans ses souvenirs, dans ses espérances, je lui laisse bâtir les châteaux qu’il veut, et je ne repousse pas le besoin qu’il a de se détourner du présent, pour parer l’avenir à sa fantaisie. Tout cela l’aide à supporter les privations que la nécessité lui impose, et nous fera du bien à tous trois.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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