Читать книгу Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I - Charles de Rémusat - Страница 3
AVANT-PROPOS
ОглавлениеC’est peut-être abuser du succès et du goût national pour la littérature intime, comme on dit aujourd’hui, que de publier une suite aux Mémoires et aux Lettres de madame de Rémusat. Mais il ne s’agit pas, cette fois, de révélations sur la gloire ou les revers de l’Empereur, ni de nouveaux détails sur les sentiments ou l’esprit d’une femme dont le nom et les écrits ont eu quelque retentissement. Cette correspondance retrace les premiers jours de ce gouvernement parlementaire qui est l’honneur de notre siècle, et dont la fortune est associée depuis tantôt quatre-vingts ans à la fortune même de la France. La Restauration n’a encore été racontée que par des historiens et des publicistes. M. Beugnot seul, dans ses Mémoires spirituels, et dans quelques pages brillantes, ont donné un aperçu de la société et de la vie en ces temps si proches et si peu connus. Peut-être les jours de liberté et de publicité laisseront-ils moins de documents de ce genre, et seront-ils plus discrets que l’ancien régime. Plus il est facile de correspondre, par les journaux et les discours, avec ces inconnus qui forment le public et donnent le succès immédiat, moins on est tenté d’écrire des lettres pour ses amis ou des souvenirs pour la postérité.
S’il est intéressant de connaître les impressions des idées nouvelles sur une femme distinguée, on suivra sans doute avec une curiosité plus vive encore celles de son fils, qui avait dix-sept ans en1814, et s’attachait dès lors aux opinions qui ont dirigé et honoré sa vie. On sait par les publications précédentes de quelle façon il avait été élevé, et de quelles espérances il était l’objet. On verra s’il réalisait ces espérances, et comment il employait un talent qui s’ignorait encore à distraire et à éclairer celle qui avait développé son esprit, et lui donnait des modèles de l’art d’écrire avec grâce sur le monde et sur la politique. A qui n’est-il pas arrivé, en lisant les lettres de madame Du Deffand, de madame d’Épinay, de George Sand, de regretter que les réponses aient été perdues ou négligées? On aimerait à connaître l’effet produit sur le correspondant même inconnu. En général, les éditeurs donnent au public un monologue. Ici, c’est un dialogue entre la mère et le fils placés aux deux extrémités de la France dans des situations et des sociétés différentes.
On me pardonnera de ne point insister sur les mérites de ce dialogue, de ne point chercher si la raison sûre et le style ferme du fils n’égalent pas bientôt, s’ils ne surpassent, les jugements abondants et délicats, encore qu’un peu féminins, de sa mère. Il n’est pas même nécessaire de donner des détails de famille ou d’opinipns qui ont été suffisamment expliqués dans d’autres préfaces, pour des publications précédentes. Il suffit, pour la clarté, de courtes notes au bas des-pages. Mais il n’est pas inutile d’assurer que le texte des lettres a été absolument respecté, et que l’éditeur n’a point cédé au désir de rectifier des jugements, de taire quelques erreurs, de donner aux interlocuteurs une sagacité ou une prescience très faciles à soixante ans des événements. Tout le monde connaît cette histoire de Fouché qui, racontant un épisode de la Révolution, disait: «Robespierre me cria: «Duc d’Otrante, courez à l’hôtel de ville.» Ces anachronismes sont fréquents dans les Mémoires, et on en glisse parfois jusque dans les lettres. N’avons-nous pas lu, à propos de la correspondance de Napoléon, qu’on imprimait seulement celles des prévisions de ce grand homme que le temps avait vérifiées? Rien de tel n’est à craindre pour ce livre, et pourtant plus d’une page pourrait être écrite hier ou demain, tant le progrès des idées est lent dans cette France si mobile! Mais le premier devoir, la première vertu d’un éditeur, c’est une absolue sincérité. Sauf quelques détails inutiles sur les relation de famille, et quelques histoires du monde touchant des personnes qui n’appartiennent pas au public, afin d’éviter toute apparence de scandale ou d’indiscrétion, le texte même des lettres a été absolument respecté.
J’ai poussé la vertu jusques à la rudesse.
Ai-je besoin d’ajouter que j’ai pensé, et que le lecteur pensera comme moi, je n’en doute point, que cette sincérité, cette rudesse sont honorables et utiles pour les deux écrivains, et que mon père ne s’est pas trompé en me recommandant de publier les libres épanchements de sa jeunesse animée et sérieuse?
PAUL DE RÉMUSAT.