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V.
MADAME DE RÉMUSAT A SON FILS CHARLES DE RÉMUSAT, A TOULOUSE.

Table des matières

Auvers, 18septembre1814.

Je vous trouve bien difficile, Monsieur Charles, d’être si peu content de Bordeaux, et bien subtil dans vos distinctions sur la magnificence et le luxe. J’admire que vous puissiez conserver cette finesse, au travers de la poussière, et avec les côtelettes dures que vous mangez et la soupe à l’oignon des auberges. Enfin, Bordeaux a donc manqué son effet, et cela parce que vous n’avez pas trouvé une fille jolie. Il mesemble que, lorsque j’y ai passé, j’y avais remarqué un assez bon nombre d’yeux bien noirs et bien animés. C’est que vous êtes capable de n’être pas en train d’aimer les yeux noirs; à la bonne heure! Votre lettre m’est arrivée bien à propos, car je commençais à m’inquiéter; les accidents de votre voyage sont la seule chose qui me tourmente, car de vous regretter, je ne m’en avise point. Je vous vois tous deux en bonne compagnie, vous amusant et vous convenant, et comme mon plaisir se compose du vôtre, et puis encore du vôtre, je ne me fais point une tristesse de votre absence.

J’ai envoyé au diantre tous mes autres tracas (je vous prie de respecter cette expression parce qu’elle vient de bon lieu), et je me repose ici, c’est-à-dire à Auvers, de corps et d’esprit. Il fait un temps admirable, ce qui me fait du bien, pour vous et pour moi; je suis avec une personne charmée de me voir, elle me sait gré de mon plaisir, elle me soigne et me laisse toute liberté; enfin, je respire le beau temps et le repos, et je suis bien. Votre camaradeest le meilleur fils du monde, et j’admire comme le ciel a permis que ses goûts s’entendissent avec ceux de sa mère, et s’accordassent avec sa situation. C’est un grand bonheur que cette disposition de caractère qui nous porte à nous complaire dans ce qui nous appartient; elle évite beaucoup de faux mouvements, et donne une certaine dignité à toute situation, car la dignité est dans le calme, entendez-vous? J’ai trouvé cela ce matin dans Nicole, que je lis dans une petite chaumière, d’où je découvre la plus jolie vue du monde. Si je ne craignais de m’élever un peu haut, je dirais que ces imposants préceptes de la plus belle morale, lus ainsi en présence des beautés de la nature, et sans que rien se trouve entre elle et nous, touchent bien autrement notre âme, que saisis fugitivement, au milieu du tourbillon de Paris. Je pourrais m’étendre longtemps sur les impressions que j’en reçois ici, mais il me semble que vous riez de moi, et votre moquerie me déconcerte; ainsi, laissons là Port-Royal. Nicole, de longtemps, ne sera fait pour vous, et il n’y a pas de mal; il faut avoir un peu agité son âme pour aimer le repos, et vous en êtes encore à chercher le mouvement. Vous voyez que je vous écris comme une personne qui rêve et qui n’a rien à faire, et rien à dire; je ne vois guère plus de journaux que vous, et je n’y trouve rien à vous conter.

J’attends avec impatience un compte rendu sur Lafitte. J’ai peur que tout cela ne soit bien laid, et je ne sais si la propriété vous aveuglera assez l’un et l’autre, pour parer un peu notre nid paternel. Vous m’en reviendrez plus éloigné que jamais de l’habiter, et peut-être. Mais n’allons pas percer l’avenir, et laissons aller les jours, sans trop nous tourmenter.

VI.
MADAME DE RÉMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A LAFITTE.

Table des matières

Auvers, 18septembre1814.

Me voici, mon ami, depuis avant-hier, dans cette petite retraite où je serais bien ingrate, si je me trouvais mal, tant on y a soin de moi, et tant on paraît content de me voir. Je t’assure que j’éprouve déjà quelque chose de l’influence du repos qui m’environne, de cet air si pur et si doux que je respire. Il me semble que j’ai laissé à Paris mes inquiétudes et même mes affections, car à peine si j’y pense ici. Je ne sais rien, je vois un vallon magnifique, une maison où l’on est bien, en vivant de si peu que cet exemple me rassure, en faisant un retour sur moi. Il y a un si grand repos, qu’on y est vraiment à cent lieues de Paris, et l’impossibilité de savoir ce qui s’y passe, la certitude que personne ne viendra nous le dire, fait qu’on en détourne toutes ses pensées, et que l’imagination se calme, en se reposant sur tout ce qui l’environne. Enfin, si j’avais une lettre de toi, je serais tout à fait bien, mais elle n’est point encore arrivée!

Oh! que j’aimerais à être à la campagne avec toi, et que la vie de Paris m’importune! A part moi, je sens que je suis tentée de me plaindre de notre destinée qui ne m’aura pas permis de connaîtr toutes les jouissances qu’une union comme la nôtre nous aurait procurées dans le repos des champs. Combien de sentiments doux dont nous sommes susceptibles l’un et l’autre, combien de manières d’être heureux et de nous entendre, qui demeurent étouffées au dedans de nous, et qui auraient encore ajouté, dans une vie plus paisible, aux raisons que nous avons de nous plaire et de nous aimer! Faits tous deux de manière à nous suffire longtemps, et cependant, obligés toujours de dépendre des autres, que j’aimerais à avoir la force ou la possibilité de secouer tout cela! Mais il faut détourner sa pensée de ces regrets, pour aller encore dans le sillon que nous nous trouvons forcés de suivre. J’ai laissé, en quittant Paris, ton neveu Candolle bien content de son consulat de Nice, qui, en effet, ne le dérange point, et lui sera comme une campagne de plus. Joséphinne l’a pas été autant de sa Valachie où on l’envoie, et j’ai appris qu’il la refusait. Je crois que madame de Damas avait été jusqu’à voir M. de Talleyrand, et tout cela n’a produit que la Valachie! M. de Talleyrand m’a dit: «Vous avez l’air d’aimer votre neveu, il m’a semblé qu’il vous plairait qu’il ne fût pas au bout du monde.» Je l’ai bien remercié. Je ne l’ai vu qu’un instant, et préoccupé de mille soins. Je pourrais me vanter qu’il avait l’air attristé de me quitter, et moi je t’assure que je lui ai dit adieu avec le cœur un peu serré, car, enfin, nos affaires peuvent s’arranger de manière à ce que je ne le voie plus, et soit à tort, soit à raison, je suis entêtée à l’aimer.

Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I

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