Читать книгу Correspondance de M. de Rémusat pendant les premières années de la Restauration. I - Charles de Rémusat - Страница 5
ОглавлениеII.
MADAME DE RÉMUSAT A SON FILS CHARLES DE RÉMUSAT. AU LYCÉE.
Paris, mai1814.
Je ne vous tourmenterai plus, mon cher enfant, pour avoir des chansons, ou plutôt je vous tourmenterai souvent, puisque mes sollicitations me valent les jolis vers que je viens de recevoir; je ne vois aucune raison pour vous cacher le plaisir qu’ils m’ontfait, elles compliments qu’ils me valent, et que je reçois sans aucune modestie. Ils sont arrivés au milieu du brouhaha des billets d’opéra dont votre père a pensé perdre la tête. Je l’ai forcé-de tout laisser là pour écouter mon épître; il en demandait toujours l’auteur, je m’amusai à lui taire son nom, et lorsque je le lui ai nommé, il a fait une mine satisfaite que j’ai promis de vous dénoncer.
Pour votre récompense, je voudrais pouvoir vous conter le spectacle d’hier, mais je ne saurai jamais vous peindre d’une manière satisfaisante les émotions de cette soirée: une salle remplie jusqu’au comble, des cris enivrants et répétés à tous moments, un attendrissement général, des applications du meilleur goût, et lorsque le nom d’Antigone a été prononcé, le roi lui-même prenant la main de la duchesse d’Angoulême, et la présen-tant au parterre, et donnant vis-à-vis d’elle le signal de tous les applaudissements. On pleurait, on criait, le roi malgré sa goutte s’est levé cinq ou six fois pour remercier; une fois, il a embrassé sa nièce aux cris de toute la salle, et j’ai encore les yeux pleins de larmes, en vous le racontant.
III.
MADAME DE RÉMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A TOULOUSE.
Paris, mercredi7septembre1814.
Mon ami, il y a un petit inconvénient à tous les beaux arrangements que nous faisons journellement dans lesquels nous nous plaçons toujours loin l’un de l’autre. C’est que je ne sais pas comment nous porterions cette absence; je dis nous, car je crois parfaitement que, loin de moi, tu es aussi dépaysé que je puis l’être, et je le suis beaucoup. Il me semble que, plus nous allons, mieux nous nous entendons, et moins je m’entends avec d’autres, et plus aussi tu me deviens nécessaire. Mais je glisse sur cette vérité, car j’ignore bien parfaitement ce que le ciel décidera de nous. Je me porte assez bien, j’espère qu’il en sera encore de même quand tu recevras cette lettre qui sera un peu vieille, lorsque tu la trouveras à Toulouse, et accompagnée de quelques autres. C’est aujourd’hui mercredi, tu marches vers Angoulême, et j’espère que tu as un aussi beau temps que nous, et que la route se fait bien; je suis bien souvent cette voilure qui porte tout l’intérêt de ma vie. Quand je la vois dans quelque mauvais chemin, à quelque tournant de rue, à quelque mauvaise descente, je m’attriste. Hier soir, je craignais l’entrée à Poitiers et ces vilaines rues par lesquelles on arrive dans cette triste ville; il faut encore couper court à mes inquiétudes, car elles te paraîtront comme un vieil almanach, quand tu les liras.
Je m’arrange ici de mon mieux et je crois que j’irai à Auvers. Mes amis se conduisent bien pour moi, et mon petit salon s’est trouvé tout petit, ces jours-ci. Aujourd’hui, Paris est en l’air, parce que le roi va au Champ de Mars distribuer les drapeaux de la garde nationale. C’est l’archevêque de Malines qui les bénit; moi, je me tiendrai tranquille, et vraisemblablement je passerai ma soirée seule, avec mon roman et M. de Thou. Tu apprendras à Toulouse que les deux lois du budget et de la presse ont passé dans chacune des Chambres. La discussion de la Chambre des députés a été fort vive. Aussitôt qu’on a eu décidé qu’on discuterait article par article, M. Louis s’est fâché et il est sorti, plantant tout là. Sa colère a pensé perdre le budget; on dit que M. de Montesquiou a tout raccommodé. On n’a supprimé que certains impôts, ou du moins on les a diminués, et on a consenti à trente centimes au lieu de soixante. Dans la Chambre des pairs, la loi de la presse a passé à quarante voix de majorité, avec trois petits amendements peu importants, et la suppression du préambule. On va maintenant porter aux Chambres la loi sur la restitution des biens. Voilà tout ce que je sais, et jusqu’à ce que je pense que tu as retrouvé tes chers journaux, mes lettres t’en tiendront lieu.
IV.
MADAME DE REMUSAT A M. DE RÉMUSAT, A TOULOUSE
Paris, vendredi9septembre1814.
Depuis que je t’ai écrit, j’ai mené toujours cette petite vie monotone qui ne me déplairait point, si j’étais tranquille. En vérité, mon ami, quand on est à Paris comme j’y suis, on ne craint plus du tout de le quitter; le cercle de ce qu’on y fait et de ce qu’on y voit est si resserré qu’on trouverait partout, à peu près, le même monde et les mêmes occupations. J’ai passé ma journée de mercredi dans une complète solitude, et je ne m’en suis point ennuyée; hier, j’ai vu du monde et j’ai fait quelques visites avec madame de Vintimille. Elle dit que notre sort sera sûrement fixé avant votre retour. Je vois un assez grand nombre de personnes qui sont échauffées pour nous dans ce moment, et moi je me repose. Madame de Vintimille est vraiment parfaite pour moi, elle m’entend à merveille, elle ne se plaint que du découragement qui t’a fait retirer de tout; elle dit que tu aurais bien fait de te montrer souvent chez l’abbé, que, lorsque le cercle se resserre, à la fin de la soirée, on reste trois ou quatre, et qu’on cause; que tu gagnerais beaucoup dans ces conversations, et que tu prouverais ce que tes amis disent toujours, c’est que tu es bon à beaucoup de choses. Elle te demande vivement de te vaincre un peu sur ta répugnance à paraître, et moi, mon ami, je te le demande aussi. Il ne faut pas que ton fils entende dire que c’est ta faute si on ne te connaît pas; il faut te faire connaître d’une nouvelle espèce de gens, présenter Charles dans le monde, lui faire des appuis, et qui le pourra, si ce n’est, toi? C’est un sacrifice nécessaire pendant quelques années qui vont être importantes pour notre enfant, et il mérite celui d’un peu de paresse, et peut-être aussi d’un peu de vanité. Si nous étions sans enfants, je me conformerais à ton penchant, et je me soumettrais aux inconvénients qu’il peut avoir; mais il y a des besoins dont on ne peut s’écarter, et ce qu’il y a de pis, c’est de se reprocher ensuite ses mauvais succès, et de donner aux autres l’occasion de nous les attribuer. Je te demande en grâce de penser à cela sérieusement, et de ne pas me donner le chagrin de te combattre et de te tourmenter inutilement.
La censure s’est exercée, pour son début, sur un singulier ouvrage de Carnot, qui accuse les princes et les émigrés d’avoir été les véritables assassins de Louis XVI; et qui, d’ailleurs, en s’appuyant de la Bible, veut prouver que les rois peuvent être tués comme d’autres hommes. Il paraît un autre livre de M. de Montgaillard qui déclare à qui voudra le croire, que, s’il a paru servir l’empereur et dire du mal de nos princes, c’était pour tromper le premier, et le conduire à faire des fautes utiles aux Bourbons. Les menteurs sont odieux, et comme ils se-croient tout permis dans les moments de révolution, ils les souillent toujours, quelque nécessaires qu’elles soient. On murmure ici beaucoup que l’empereur ne demeurera point à l’île d’Elbe. On l’envoie à Sainte-Lucie, ou à Madagascar.