Читать книгу Traité des opérations de banque, de bourse et de change, à l'usage des capitalistes, des employés de banque et des candidats aux administrations financières - Charles Lejeune - Страница 11
OPÉRATIONS D’ESCOMPTE
ОглавлениеNous avons défini l’escompte dans un précédent chapitre et nous avons indiqué son rôle économique. Il reste à examiner comment cette opération est pratiquée en fait par les banquiers. Cet examen suppose d’ailleurs la connaissance des règles du droit commercial concernant les effets de commerce; mais il n’entre pas dans le cadre de cette étude de les rappeler autrement que de façon accidentelle.
La tâche la plus délicate du banquier en matière d’escompte est celle qui consiste à apprécier, préalablement à cette opération, le risque qu’elle peut lui faire courir, puisque l’escompte n’est autre chose qu’une avance sur de simples signatures. Le banquier doit donc, avant tout, avoir à sa disposition un service de renseignements capable de connaître rapidement et de façon sûre la situation exacte des commerçants dont la signature figure sur les effets qui lui sont présentés.
En premier lieu, une enquête très sérieuse doit être faite sur le commerçant qui demande à être admis à l’escompte, c’est-à-dire à faire au banquier des remises d’effets tirés sur ses débiteurs, afin d’en recevoir immédiatement la valeur. Si cette enquête est assez favorable pour justifier l’admission, elle permet déjà au banquier de fixer en toute connaissance de cause les conditions d’escompte, ainsi que les garanties à demander éventuellement. Il faut, d’ailleurs, noter que dans les périodes de tension économique ces garanties sont demandées à tous les clients et même aux meilleures maisons de commerce. Elles consistent, soit dans le dépôt en nantissement de titres ou valeurs mobilières, soit dans la remise en gage de documents représentant des marchandises ou valeurs, soit dans le blocage des fonds disponibles du compte jusqu’à concurrence de la somme jugée nécessaire pour servir de cautionnement aux risques en cours. La garantie peut encore consister dans l’aval, c’est-à-dire la signature d’une autre maison notoirement solvable, apposée sur les effets remis à l’escompte. Enfin, quoique plus rarement, un commerçant peut donner à son banquier, en couverture du crédit que celui-ci lui accorde, des garanties spéciales, comme une hypothèque sur ses immeubles, ou un nantissement sur son fonds de commerce.
Le service de renseignements doit se tenir constamment à l’affût des événements ou circonstances qui seraient de nature à modifier le crédit de chacun de ses clients, en sorte que le banquier sait toujours s’il doit réclamer un supplément de garantie et réduire pour l’avenir le crédit accordé, ou, au contraire, s’il peut autoriser un découvert plus large.
Les grandes banques et les établissements de crédit peuvent avoir, grâce à leurs nombreuses agences, des informations qu’ils se communiquent même entre eux à charge de réciprocité et qui sont extrêmement précieuses. Ces renseignements ont une tout autre valeur que ceux que peuvent donner aux simples particuliers certains bureaux ou agences, pourtant spécialisés, mais dont les enquêtes, souvent hâtives et superficielles, sont faites trop fréquemment par des salariés recrutés au hasard et ignorant presque tout de la marche normale des affaires qu’ils sont chargés d’apprécier. En tout cas, depuis la création en 1919 du Registre du Commerce, les renseignements commerciaux sont devenus d’une obtention plus facile et offrent plus de sûreté.
Il est superflu de préciser que le banquier ne se renseigne pas seulement sur la situation de son client admis à l’escompte, mais encore sur chacune des maisons dont la signature figure sur les effets qui lui sont présentés.
Il doit s’assurer, surtout à la veille des périodes de crise ou de tension économique, que ces effets ne sont pas des effets de complaisance tirés et acceptés réciproquement par deux commerçants gênés pour se procurer immédiatement des fonds par la négociation des traites ainsi établies. Il arrive très souvent que la gêne persiste encore à l’échéance de ces effets; pour être en mesure de les payer, les intéressés ont recours au même procédé quelques jours avant la date du paiement, mais pour une somme un peu plus élevée. D’où le nom de cavalerie donné à ces traites dont les échéances chevauchent les unes sur les autres. Ces agissements rendent d’ailleurs les commerçants qui s’y laissent entraîner, passibles des peines punissant l’escroquerie.
Les conditions d’escompte appliquées par les banquiers ont comme base celles de la Banque de France. Mais comme ils sont moins exigeants que cette dernière, notamment au point de vue du nombre des signatures, ils prélèvent un intérêt un peu plus élevé, ainsi que des commissions variables suivant que les traites escomptées sont payables ou non dans des localités bancables, c’est-à-dire où la Banque de France fait directement des opérations.
Beaucoup de banques, qui ont escompté à leurs clients des effets portant deux signatures (celle du tireur et celle de l’accepteur) ou même seulement celle du tireur, peuvent réescompter ces effets à la Banque de France qui les accepte, puisque la signature du banquier mise sous le nouvel endos réalise le nombre de trois signatures qui est exigé. Au bénéfice résultant de la différence entre le taux de la Banque et celui appliqué au client, s’ajoutent les commissions et changes de place, ainsi que des frais supplémentaires pour acceptation si celle-ci n’a pas encore été donnée, pour retour d’effets impayés, ou pour avis d’encaissement.
Chacun y trouve son intérêt: le commerçant qui ne pourrait escompter son papier à la Banque de France, le banquier qui reçoit une juste rémunération du service qu’il rend au commerçant, et enfin la Banque de France elle-même qui a, grâce à ces signatures complémentaires de premier ordre, un portefeuille mieux garanti.
Lorsque des bordereaux et des remises d’effets sont apportés aux banquiers, ceux-ci commencent par examiner les signatures afin de refuser celles qu’ils jugent indésirables. Les effets sont ensuite vérifiés au point de vue de leur régularité, du libellé, de l’acceptation, du timbre, etc... Ceux qui sont rendus aux clients sont rayés des bordereaux. Pour ceux qui sont admis à l’escompte, on calcule les intérêts, commissions et changes, dont l’ensemble forme ce qu’on appelle l’agio, qui est déduit du montant total ou nominal. La valeur ainsi obtenue est portée au crédit du client à la date du lendemain ou du surlendemain. La jurisprudence a décidé que cette inscription au compte du client est toujours faite sauf encaissement et qu’elle est annulable au cas où l’effet serait impayé.
Les effets qui, en général, ont été endossés en blanc, c’est-à-dire par une simple signature, sont frappés au composteur-dateur, d’un endos à l’ordre de la banque. Un autre timbrage leur donne un numéro d’ordre. Ils sont ensuite «entrés», c’est-à-dire enregistrés sur des feuilles ou des registres ad hoc, et sont classés dans le portefeuille.
Les banquiers conservent leur portefeuille d’effets dans un certain ordre. On distingue, tout d’abord, le papier sur la France et le papier sur l’étranger. Le papier sur la France se subdivise en papier Paris et papier province. Chacune de ces subdivisions comprend deux catégories: le papier bancable et le papier non bancable ou déplacé, c’est-à-dire celui qui ne répond pas aux conditions exigées par la Banque de France pour le nombre de signatures, la localité où il doit être présenté, l’échéance, etc... On réunit souvent à part les «broches» ou effets inférieurs à 20 ou 50 francs, non acceptés, et tirés sur de petits commerçants.
On classe encore les effets en papier brûlant (moins de cinq à six jours), papier court (moins de trente jours), papier moyen et papier long (plus de soixante jours).
Beaucoup de banques font en outre un groupement spécial de certains effets d’une négociation particulièrement facile. Ils constituent pour cette raison ce qu’on dénomme le papier négociable. Ce papier est donc du papier qui non seulement répond aux conditions exigées pour les effets bancables, mais qui a, de plus, l’avantage d’être tiré sur de grandes banques ou des maisons de commerce de tout premier ordre; il a, en général, moins de trente jours à courir, et le nominal est au minimum de 3.000 francs. Le papier négociable est pris à l’escompte par tous les banquiers à un taux inférieur à celui de là Banque de France. Ce taux s’appelle le taux hors banque ou taux d’escompte privé.
Si les capitaux disponibles sur le marché sont abondants, le taux hors banque est bas, et l’on dit que l’escompte est facile. Si, au contraire, les capitaux disponibles sont rares, le taux hors banque se relève et se rapproche du taux officiel de la Banque de France; il peut même l’égaler; on dit alors que l’escompte se resserre.
Échéancier. — Pour faire connaître à tout moment la valeur du portefeuille disponible à une date donnée, les montions portées sur les feuilles d’entrée des effets (qui sont elles-mêmes classées comme il a été dit ci-dessus) sont reproduites sur des états qui groupent dans chaque catégorie les effets d’une même échéance. L’ensemble de ces états peut être relié et s’appelle l’échéancier.
Encaissement. — Les effets sortent du portefeuille, soit avant leur échéance pour être rendus aux tireurs sur leur demande, ou encore pour être réescomptés à la Banque de France ou à une autre banque, soit au moment de l’échéance pour être encaissés. Cet encaissement peut être fait directement, c’est-à-dire par le service de la recette, pour les effets sur la place même, ou par des agences dans les diverses localités où les effets sont payables. Il peut être confié à d’autres banques, ou à la Banque de France, ou encore à l’Administration des Postes pour les effets non bancables.
Portefeuille étranger. — Il comprend les effets payables à l’étranger (en francs ou en monnaie étrangère) et les effets tirés de l’étranger et payables en France (également en francs ou en monnaie étrangère).
Si l’effet est libellé en monnaie étrangère, sa valeur peut être d’abord convertie en francs au moment de son entrée dans le portefeuille. C’est sur ce chiffre provisoire que l’agio est calculé, et suivant que le cours du change est supérieur ou inférieur au moment de l’échéance, le compte du client ou du correspondant est crédité ou débité de la différence.
Beaucoup de banques tiennent pour le portefeuille étranger des comptes en monnaie étrangère; d’autres achètent des effets étrangers dans des places où le cours du change est bas et les revendent sur le même marché ou ailleurs lorsque le cours du change est élevé. Mais cette opération entre dans le domaine du Service du change et ne fait plus partie de celui du Portefeuille étranger. Il y a toutefois une relation entre ces deux services, notamment pour la tenue du Répertoire des changes où sont enregistrées les entrées et les sorties de lettres de change étrangères, et qui a été prescrit par la loi du 31 juillet 1917. Il en sera parlé au cours de l’étude des opérations de change.
Sauf ce qui a été dit relativement au calcul des effets en monnaie étrangère, l’escompte des effets étrangers se traite comme celui des effets français; seule la vérification des effets est plus délicate, et suppose la connaissance des législations commerciales des divers pays. En tout cas, les effets tirés de l’étranger et payables en France doivent être revêtus, avant le premier endossement français, de timbres mobiles à raison de 0 fr. 05 par 100 francs, pour les effets n’ayant pas plus de six mois à courir, et de 0 fr. 10 par 100 francs pour les autres; les effets circulant en transit en France ne supportent qu’un timbre de 0 fr. 50 par 2.000 francs ou fraction de 2.000 francs (loi du 31 décembre 1920).
Les effets sur l’étranger supportent des changes de place assez élevés qui restent presque toujours acquis pour les effets réclamés ou impayés. Les clients ou correspondants ont également à supporter les frais d’envoi, d’encaissement, de timbre, qui souvent n’ont pu être calculés d’avance et qui sont déduits de la valeur encaissée en même temps qu’on fait un redressement du compte, en plus ou en moins, lorsque le cours du change a varié entre l’époque de l’escompte et celui de l’échéance.
Les effets tirés sur des pays d’outre-mer sont la plupart du temps établis en deux ou trois exemplaires (dont un seul supporte les droits de timbre).
La Banque de France accepte à l’escompte les effets tirés de France sur l’étranger et de l’étranger sur la France, mais non les effets en transit.
Portefeuille documentaire. — Très souvent les effets du portefeuille étranger, et plus rarement ceux du portefeuille français, sont accompagnés de documents représentant des marchandises expédiées au tiré (connaissements, lettres de voiture, accompagnés éventuellement des polices d’assurance de ces marchandises), documents qui ne devront être remis au tiré qu’avec la lettre de change, c’est-à-dire après paiement de cette dernière. On peut dire que, dans ce cas, le banquier escompteur a consenti à son cédant une avance sur les marchandises représentées par les documents. Il en résulte que, si l’effet est impayé ou refusé, le banquier a un droit de gage conformément à l’article 93 du Code de commerce, et que, si la vente des marchandises ne le rembourse pas de la valeur de l’effet ainsi que des frais liés à cette vente, il peut recourir pour la différence contre son cédant.
Nous étudierons ces questions plus en détail à propos des avances sur titres et sur marchandises, et du crédit documentaire.
Effets impayés. — Lorsque des effets n’ont pas été payés à l’échéance, le banquier a le devoir de faire constater le refus de paiement au moyen d’un acte dressé par un huissier: c’est le protêt, qui doit être établi le lendemain de l’échéance.
Les frais qu’il entraîne sont proportionnels à la valeur de l’effet: ils se composent d’un droit fixe (15 fr. 50), d’un droit proportionnel (0,625 %) et des honoraires de l’huissier (environ 0,10 %).
Seuls, les effets libellés «sans frais» dispensent le porteur de faire dresser le protêt.
La dispense de protêt peut également être donnée de façon expresse, par lettre notamment.
Souvent, les banquiers ne veulent pas gârantir la présentation à l’échéance ni le protêt à bonne date, principalement lorsque les effets n’ont pas un nombre suffisant de jours à courir avant l’échéance, lorsque les effets sont tirés sur l’étranger, et enfin dans les cas de force majeure: inondations, neiges, émeutes, etc...
Qu’ils aient été protestés ou non, les effets revenant impayés sont accompagnés d’une fiche de frais où sont totalisés les débours engagés par chacun des endosseurs. Le cédant de l’effet est débité de la valeur de l’effet et des frais de protêt et autres. Si le cédant était devenu insolvable, ou s’il refusait de solder son compte devenu débiteur, le banquier essaierait d’obtenir le remboursement par la voie judiciaire. Les poursuites sont commencées par le Service du contentieux qui assigne solidairement le tireur, l’accepteur et les autres signataires de l’effet devant le Tribunal. Si les signataires tombent en faillite, le banquier produit à la faillite de chacun d’eux pour le montant intégral de l’effet, en vertu du principe de la responsabilité solidaire en matière d’effets de commerce. Au cas où la totalité des dividendes distribués sur ces faillites n’atteindrait pas 100 % de la valeur de l’effet, le solde restant impayé devrait être passé par «profits et pertes».
Même pour les traites acceptées, la procédure devant les tribunaux de commerce ne peut aboutir à une solution définitive avant un délai d’au moins six mois, par suite des moyens dilatoires que peuvent employer les débiteurs de mauvaise foi.
En outre, malgré l’interdiction formelle du Code de commerce en matière de lettres de change, les tribunaux accordent au débiteur qui en fait la demande en référé, au moment où il est saisi par huissier, des délais supplémentaires variables allant parfois jusqu’à six et même douze mois.