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II. — BANQUES D’ÉMISSION

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Table des matières

On appelle banques d’émission celles qui ont pour objet, à côté des opérations ordinaires de banque, l’émission des billets de banque.

Billet de banque. — Le billet de banque est un écrit par lequel une banque s’engage à payer une certaine somme à la personne qui l’aura en sa possession et qui le présentera à une époque quelconque.

On sait que les traits caractéristiques du billet de banque sont:

1° d’être au porteur, c’est-à-dire de se transmettre par simple tradition manuelle et d’appartenir à celui qui le détient;

2° d’être à vue, c’est-à-dire payable à présentation et sans délai;

3° d’être imprescriptible, c’est-à-dire d’avoir une validité indéfinie, quelle que soit l’époque de son émission. C’est par ce dernier point que le billet de banque est différent du chèque, auquel il ressemble par les deux premiers. En effet, le chèque doit dans tous les pays être présenté dans un certain délai: en France, ces délais sont très courts, cinq ou huit jours seulement; 4° d’être toujours émis pour une somme ronde, 5, 10, 20, 50, 100, 500 ou 1.000 francs, tandis que le chèque peut être créé pour une somme quelconque.

Suivant les époques et les pays, les billets de banque circulent de diverses manières:

Tantôt les habitants d’une nation ne sont pas obligés par la loi d’accepter ces billets de banque en paiement à la place de monnaie métallique. On dit alors que le cours de ces billets est libre. Ce régime a été celui de la France de 1800 à 1848 et de 1853 à 1870;

Tantôt les habitants de ce pays sont obligés par la loi de recevoir les billets de banque en paiement de la même façon que la monnaie métallique, mais ils peuvent, lorsqu’ils le désirent, demander à la banque d’émission d’échanger ces billets contre de la monnaie métallique; on dit alors que ces billets circulent avec le cours légal; ce régime est le plus fréquent et il a été celui de la France de 1878 à 1914;

Tantôt enfin les habitants sont non seulement tenus par la loi d’accepter en paiement les billets de banque au lieu de monnaie métallique, mais encore ils ne peuvent exiger l’échange de ces billets contre de la monnaie: ce régime, appelé cours forcé, est en général celui des pays dont la situation financière est difficile; il a été celui de la France de 1848 à 1853, de 1870 à 1878 et il existe depuis le 5 août 1914.

On distingue trois systèmes d’émission des billets qui sont en vigueur suivant les différents pays:

1° Système de la liberté. — Sous ce régime, toutes les banques d’un pays ont le droit d’émettre des billets et sont toutes, à ce point de vue, sur le pied d’égalité. Dans presque tous les cas, l’État impose à ces banques de conserver toujours une certaine encaisse proportionnée au montant des billets émis, pour parer aux demandes de remboursement. L’État se réserve également un droit de contrôle. Ce régime a été celui de l’Écosse jusqu’en 1845 et des États-Unis jusqu’en 1913;

2° Système du monopole. — C’est le régime le plus répandu, dans lequel l’État confère à une, ou à plusieurs banques privées réparties sur le territoire, le droit d’émettre des billets de banque sous certaines conditions: c’est le cas pour la France, l’Angleterre, la Belgique, etc...;

3° Système des Banques d’Etat. — Dans ce régime, le capital des banques d’émission est fourni par l’État, ou leur administration est confiée à des fonctionnaires. (Quelquefois l’État émet directement les billets qui prennent alors le nom de papier-monnaie.) C’est le cas pour l’Allemagne depuis 1875 et pour la Suisse depuis 1905.

Comme nous le verrons en étudiant les systèmes d’émission dans différents États choisis comme types, les pays qui accordaient à toutes les banques de leur territoire le droit d’émettre des billets librement, ont dû renoncer à ce système pour ne plus conférer ce droit qu’à une ou à quelques banques privilégiées. En effet, dans le régime de la liberté, ou bien les banques n’ont d’autre limite à leur faculté d’émission que leur seule sagesse qui les empêchera d’émettre plus de billets qu’elles n’en ont besoin pour leurs opérations d’escompte, ou bien les émissions sont limitées par la loi, soit à l’encaisse métallique, soit à un montant déterminé en rapport avec l’encaisse.

Dans le premier cas (celui de la liberté absolue), il serait fort à craindre que, parmi toutes les banques du pays, il ne s’en trouvât quelques-unes dont les administrateurs ne fussent pas assez prudents ni raisonnables pour limiter l’émission à leurs besoins véritables. La tentation de se procurer des fonds à des conditions aussi avantageuses serait trop forte pour qu’ils pussent y résister bien longtemps. Aussi aucun État n’a-t-il autorisé cette manière de procéder.

Dans le second cas (celui de la liberté relative), l’obligation pour la Banque d’avoir en caisse du numéraire en quantité presque équivalente à celle des billets émis ferait (comme cela s’est passé aux États-Unis avant 1913) que les banques n’auraient aucun intérêt à émettre des billets et n’useraient pas de la faculté d’émission. D’autre part, si l’État accordait une latitude dans la proportion de l’émission par rapport à l’encaisse, telle que les banques auraient un avantage réel à émettre des billets, le contrôle à opérer sur toutes ces banques pour éviter qu’elles n’abusent de cet avantage serait des plus difficiles et des plus assujettissants. C’est la raison pour laquelle les États sont actuellement tous revenus au régime du monopole.

Il reste donc à choisir entre le monopole accordé à une Banque d’État et celui accordé à une banque privée.

Contre la Banque d’État, on objecte que l’État n’est jamais un bon commerçant, et que par conséquent il peut encore moins être un bon banquier, puisque c’est le commerce le plus délicat et le plus difficile. Il serait à craindre que l’État banquier ne fît des opérations financières plutôt sous la pression d’influences politiques que pour des raisons d’ordre purement économique. Enfin et surtout, il serait à craindre que l’État banquier, n’ayant aucune limitation dans son pouvoir d’émission, n’abusât de ce pouvoir pour essayer de maintenir l’équilibre de ses finances. Comme il est bien rare de trouver un État qui ne soit pas dans une situation financière difficile, il en résulterait que l’État banquier résisterait malaisément à la tentation de se procurer de l’argent d’une manière aussi simple, ce qui provoquerait rapidement une inflation fiduciaire et une dépréciation des billets de banque transformés en papier-monnaie.

C’est ce qui, du moins en théorie, a fait préférer le régime du monopole au profit d’une banque privée. Il est en effet facile pour l’État de contrôler une seule banque pour veiller à ce qu’elle ne dépasse pas son pouvoir d’émission. Ce régime a en outre l’avantage de bien dissocier le crédit de l’État de celui de la Banque: en sorte qu’au cas d’instabilité du régime politique, le crédit de la Banque n’en est pas forcément ébranlé ; la Banque peut venir néanmoins au secours de l’État pour soutenir ses finances dans les circonstances difficiles.

Mais en fait, on doit constater que l’État n’accorde et surtout ne renouvelle le privilège d’émission que contre de sérieux avantages, emprunts consentis, droit d’intervenir dans la gestion, que la Banque n’a pas toujours le pouvoir de refuser. Et l’inflation fiduciaire peut se produire aussi bien avec une banque privée à laquelle un État impose des emprunts, qui ne peuvent être alimentés que par des émissions de billets. En sorte qu’en pratique, la distinction est souvent très difficile entre le monopole donné à une Banque d’État et le monopole donné à une banque privée.

Nous avons dit qu’une banque privée ne peut guère résister aux demandes d’argent d’un État en situation financière embarrassée, de peur de se voir retirer ou refuser le renouvellement du privilège, ce privilège étant une source de richesse, et parfois l’unique source de richesse pour cette banque.

C’est ce qui a fait dire qu’une banque d’émission pourrait se passer de capital. Cette théorie avait été émise par Mollien, collaborateur de Napoléon Ier au moment de l’organisation du monopole de la Banque de France, dans une note appelée Note du Havre.

«La condition de fournir un capital n’est imposée aux entrepreneurs d’une banque que pour assurer, à ceux qui admettent ses billets comme la monnaie réelle, un gage et une garantie contre les erreurs, les imprudences que cette banque pourrait commettre dans l’emploi de ses billets, contre les pertes qu’elle essuierait si elle avait admis des valeurs douteuses à ses escomptes, en un mot (pour employer l’expression technique du commerce) contre les avaries de son portefeuille.

«Une banque n’émettant et ne pouvant émettre des billets qu’en échange de bonnes et valables lettres de change, à deux et trois mois de terme au plus, doit avoir constamment dans son portefeuille, en lettres de change, une somme au moins égale aux billets qu’elle a émis; elle est donc en situation de retirer tous ses billets de la circulation dans un espace de trois mois par le seul effet de l’échéance successive de ses billets, sans avoir entamé aucune partie de son capital. Ainsi, après avoir établi que le capital d’une banque n’intervient pas dans ses escomptes comme moyen direct, on peut ajouter qu’il n’intervient plus dans sa liquidation, si elle n’a fait que des escomptes réguliers, c’est-à-dire si elle n’a émis des billets qu’en échange de lettres de change véritables, nécessaires, et représentées par des marchandises que le revenu des consommateurs paiera, si c’est le besoin de la consommation qui les a appelées. Le capital fourni par les actionnaires d’une banque, n’étant à proprement parler qu’une espèce de cautionnement qu’ils donnent au public, on pourrait presque dire qu’une banque qui serait parvenue à se faire une réputation d’infaillibilité n’aurait pas même besoin de capital pour exploiter son privilège, c’est-à-dire pour escompter, avec les billets fabriqués par elle, les lettres de change qui lui seraient apportées par le commerce...»

Mais comme il n’est pas possible d’envisager l’hypothèse d’une banque avec un portefeuille toujours réalisable sans aucune perte, et avec des administrateurs infaillibles, on doit considérer que le capital d’une banque d’émission est bien nécessaire comme fonds de roulement et aussi comme cautionnement offert au public.

D’autre part, il semble exagéré de dire, comme le pensait Mollien, qu’une banque d’émission doit se maintenir en état de se liquider à tout moment, car une banque privilégiée peut toujours prévoir par la situation économique le moment où le remboursement des billets pourrait lui être demandé, et prendre légalement toutes mesures utiles pour régulariser et échelonner ce remboursement dans un certain délai, ou même pour le réduire ou le suspendre par des mesures appropriées, si cela devenait nécessaire.

Traité des opérations de banque, de bourse et de change, à l'usage des capitalistes, des employés de banque et des candidats aux administrations financières

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