Читать книгу Traité des opérations de banque, de bourse et de change, à l'usage des capitalistes, des employés de banque et des candidats aux administrations financières - Charles Lejeune - Страница 7
II. — LE COMMERCE DU CRÉDIT
ОглавлениеEn étudiant l’évolution économique d’un peuple en général, chez lequel l’accroissement et le perfectionnement des échanges amène forcément l’usage du crédit, nous avons remarqué que le développement de ce crédit était dû aux banquiers, et, par conséquent, lié au développement du rôle de ces derniers. C’est ce qui a fait dire, de façon plus concise qu’absolument exacte, que le banquier est un «marchand de crédit». Il est, en effet, plus juste de dire que le «commerce de banque est celui qui consiste à effectuer, pour le compte d’autrui, toutes les opérations dont l’usage du crédit, de la part des États, des divers groupements d’individus ou des particuliers, amène la création». Ces opérations sont très nombreuses et très variées.
Il peut être intéressant, en décrivant quelles sont les branches du commerce du crédit, d’indiquer à la suite de quelle évolution ces diverses attributions des banques arrivèrent à se généraliser.
Nous avons dit plus haut que les premiers banquiers avaient d’abord été des changeurs de monnaies et de métaux précieux. Leur rôle était d’autant plus important que les systèmes monétaires étaient plus nombreux et aussi plus instables. Mais le crédit. proprement dit n’apparaissait pas encore dans leurs opérations.
Dépôts. — C’est à Venise que fonctionna, dès le XIIe siècle, ce que l’on peut appeler la première banque de dépôts. Des commerçants de Venise, qui étaient créanciers de l’État et n’arrivaient pas à rentrer dans leurs fonds, dont ils avaient pourtant grand besoin, eurent d’abord l’idée de grouper leurs titres de créance en un dépôt commun pour se répartir les sommes versées à titre d’intérêts et d’acomptes, et peut-être aussi pour former par leur union une puissance susceptible d’en imposer au gouvernement souvent despotique de leur pays. Plus tard, les membres de ce groupe imaginèrent d’utiliser cette comptabilité commune comme une caisse commune, et de se régler les paiements qu’ils avaient à se faire, en raison de leurs opérations commerciales, au moyen de transferts et de virements des sommes portées à leur compte.
Le principe des banques de dépôt était trouvé. L’exemple fut suivi à Amsterdam, où les commerçants fondèrent une caisse commune qu’ils avaient d’abord alimentée de dépôts en monnaie. Cette caisse fonctionnait même sous la surveillance de la municipalité. Le même procédé fut mis en usage à Hambourg, puis fut adopté presque partout. Et l’on peut dire qu’actuellement ce sont les comptes de dépôts qui permettent l’existence de la plupart des banques: car le rôle des banquiers consiste, en substance, à recevoir en dépôt de l’argent pour lequel ils accordent un intérêt assez faible, et à utiliser cet argent à d’autres opérations de banque, escompte, avances, qui leur rapportent un intérêt très supérieur. Leur bénéfice consiste donc dans la différence entre l’intérêt qu’ils donnent et celui qu’ils perçoivent; et le capital des banques, en général très inférieur à la valeur des dépôts, ne sert que comme premier fonds de roulement et de garantie.
Bien que le fait, pour des commerçants ou des particuliers, de confier des sommes d’argent à des banques à titre de dépôts comporte dans une certaine mesure une manifestation de crédit, c’est surtout dans l’utilisation de ces dépôts que le crédit intervient. En effet, les titulaires de dépôts donnent et reçoivent en paiement de leurs achats et de leurs ventes des bons, appelés chèques ou virements, qui leur permettent de toucher ou de verser, non seulement chez leur propre banquier, mais chez d’autres banquiers, la valeur de ces achats ou de ces ventes. Et il y a bien de leur part une manifestation de confiance, c’est-à-dire de crédit, en acceptant, contre la livraison de leur marchandise, un simple papier qui ne constitue qu’une promesse, un espoir de paiement, car il pourra ne pas être accepté et payé par le banquier auquel il doit être présenté si le montant du dépôt n’est pas suffisant pour permettre le règlement du chèque ou du virement.
L’usage de ces documents, dont le principe est, nous l’avons dit, très ancien, ne se développa pourtant que plus tard, et ne devint général qu’au XIXe siècle. En Angleterre, notamment, l’emploi des chèques et virements se répandit à tel point, par suite du développement des «Joint Stock banks», que la circulation de la monnaie diminua considérablement, et que, pour des opérations commerciales très importantes, la quantité de monnaie métallique ou fiduciaire en usage descendit environ à la moitié de celle employée dans d’autres pays.
En France, la pratique des dépôts en. banque et des règlements par chèques se propagea surtout grâce aux nombreuses, agences établies dans toutes les localités et dans tous les quartiers des grandes villes par de puissantes banques, appelées Etablissements de crédit, comme le Crédit lyonnais, la Société générale, le Comptoir d’escompte, etc., qui se règlent mutuellement le montant des chèques qu’ils ont à payer ou à encaisser, en opérant une compensation et en soldant la différence par des chèques sur la Banque de France, laquelle se trouve donc être le Banquier des Banquiers.
Escompte. — Nous avons vu dans le chapitre précédent ce qu’est l’escompte et comment les banquiers avaient été amenés à faire de cette opération le principal emploi de leurs fonds. La tâche des banquiers serait des plus simples s’ils étaient certains que les effets qu’ils achètent en quelque sorte aux commerçants, seront bien payés à leur échéance par ceux sur qui ils sont tirés. Mais ils courent le risque, en cas d’insolvabilité ou de faillite du tiré et du tireur, de perdre le montant de ce qu’ils ont avancé sur l’effet. Ils ont donc à s’entourer de tous les renseignements possibles sur les commerçants dont ils acceptent les signatures à l’escompte, et ils doivent toujours agir avec beaucoup de prudence.
En France, l’escompte est fait par tous les banquiers et surtout par la Banque de France à laquelle souvent les banquiers réescomptent, c’est-à-dire rétrocèdent les effets qu’ils ont eux-mêmes pris à l’escompte, lorsqu’ils se trouvent avoir besoin de fonds, par exemple pour répondre à des demandes de retraits de la part de leurs déposants. La Banque de France et les grands Etablissements de Crédit, qui ont des succursales ou des agences sur tout le territoire, se trouvent avantagés sur les autres banquiers, en ce qu’ils peuvent, sans passer par des intermédiaires ou des correspondants, encaisser eux-mêmes dans des localités éloignées les effets qu’ils ont pris à l’escompte. Il va sans dire qu’en escomptant des effets payables dans des villes éloignées ou de peu d’importance, ils prélèvent une commission variable suivant les difficultés d’accès de la localité.
En Angleterre, l’escompte n’est pas, en général, fait par les banquiers, qui se bornent à recevoir des dépôts, à être les caissiers des commerçants et particuliers, et à leur faire des avances sur diverses garanties. Ce sont des intermédiaires spéciaux, appelés «bill dealers» lorsqu’ils n’opèrent que sur des effets payables en Angleterre, ou «bill brokers» lorsqu’ils achètent des traites sur l’étranger, qui se chargent des opérations d’escompte.
Prêts et avances. — Les banquiers pratiquent encore des opérations d’avances non plus sur des effets de commerce comme dans l’escompte, mais sur des valeurs diverses, titres, documents ou marchandises. Le degré de sécurité est alors bien différent. En effet, dans l’escompte, le banquier court le risque de voir l’effet sur lequel il a consenti une avance non payé à l’échéance. Mais, tout en tenant compte de ce risque, il est en droit de compter sur l’encaissement d’une somme fixe qui est celle du montant de l’effet.
Au contraire, lorsqu’un banquier consent une avance sur des titres ou des marchandises, il ne sait jamais sur quelle garantie il est en droit de compter, car la valeur de ces titres et de ces marchandises est sujette à des fluctuations. C’est pourquoi il prend la précaution de laisser une marge entre la somme qu’il avance et la valeur normale des titres ou des marchandises, et surtout de ne consentir d’avances que sur des titres sûrs ou des marchandises aisément réalisables. En outre, il doit s’assurer de façon constante, et jusqu’à l’échéance du prêt, que le cours des titres ou des marchandises ne descend pas au-dessous de la marge qu’il a laissée entre l’avance et leur cours à la date du contrat de nantissement.
Parfois, la garantie offerte au prêteur consiste en une inscription hypothécaire sur un immeuble. Mais dans ce cas l’avance est, en général, faite pour une assez longue durée, pour que les longues et coûteuses formalités hypothécaires à accomplir se trouvent compensées par un contrat durable. Aussi, seuls, certains établissements de crédit spécialisés dans cette opération sont capables de consentir des avances à aussi long terme.
Les prêts et avances n’ont été ouvertement pratiqués en France par les banquiers qu’au XVIIIe siècle. En effet, le prêt à intérêt fut pendant longtemps interdit, le prêt gratuit étant seul autorisé en vertu des principes de l’Eglise: «Mutuum date nihil unde sperantes.» Par la suite, le prêt à intérêt fut permis, mais le taux de l’intérêt fut si strictement réglementé que les banquiers n’y pouvaient trouver la compensation des risques de non-remboursement. Et longtemps ces prêts et avances ne furent faits que clandestinement, par des usuriers qui, en raison des dangers courus, demandaient des taux d’intérêt et des commissions si élevés que le qualificatif d’usuraires y est resté attaché.
Emission. — Nous avons vu que les banquiers faisaient leurs opérations de virements, d’escompte et d’avances avec les capitaux qu’ils recevaient en dépôt. Vers le XVIIe siècle, certaines banques cherchèrent un moyen d’augmenter l’importance de leurs dépôts, et par conséquent d’étendre leurs opérations. La Banque de Stockholm trouva un procédé qui, en même temps, rendit de grands services à ses clients et au commerce suédois. Elle établit des récépissés de dépôts de fonds dans ses caisses, en les libellant au porteur, de façon à ce qu’ils pussent être acceptés en paiement et circuler comme de la monnaie.
Ces billets, émis pour des sommes rondes, arrivèrent à être considérés comme l’équivalent de la monnaie d’or dans toute la Suède. Et cette manière de faire qui avait été, dit-on, inventée par les Chinois, fut imitée par tous les pays d’Europe qui eurent leurs billets de banque.
Par la suite, les gouvernements réglementèrent l’émission de ces billets et en donnèrent souvent le monopole à une pu plusieurs banques privilégiées auxquelles ils imposèrent en compensation quelques charges et services. Parfois même, les gouvernements émirent ces billets eux-mêmes, ou par le canal d’une banque d’Etat, mais se laissèrent aussi aller fréquemment à des abus dont il sera parlé plus loin.
Haute banque. — De tous temps, il avait été d’un usage fréquent que des commerçants s’unissent en sociétés pour exploiter des entreprises commerciales ou industrielles. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle qu’on trouva le moyen de diviser le capital de ces exploitations en de très nombreuses parts d’une valeur minime, appelées actions, qui furent tantôt nominatives, tantôt au porteur. La fièvre de spéculation provoquée par le système de Law témoigne de l’engouement du public à cette époque pour les valeurs mobilières. Et malgré la banqueroute qui fut le résultat de cette spéculation, l’usage des valeurs mobilières continua à être en honneur.
Nous avons vu que tous les banquiers consentent couramment des avances garanties par des titres industriels ou des certificats de rentes émis par les Etats ou les Villes.
Or, certaines banques, appelées parfois «banques de spéculation» et qu’on groupe sous le nom générique de «Haute Banque», se sont spécialisées dans l’émission de valeurs mobilières, faites pour le compte d’industriels, de sociétés ou même de gouvernements, et dans l’achat ou la vente de ces valeurs. Ces banques se chargent souvent de mettre sur pied certaines industries ou entreprises qu’elles constituent en sociétés, ou de les réorganiser lorsque leur constitution primitive n’a pas donné les résultats qu’on aurait pu espérer. Ces banques prennent fréquemment, pour le compte d’Etats ou de sociétés, la charge d’emprunts qu’elles lancent sur les divers marchés du monde.
Malgré la prudence, la compétence et la perspicacité de ces banquiers, leurs opérations n’en restent pas moins sujettes à certains aléas, à certains dangers pouvant résulter des causes les plus imprévisibles, et qui ont fait donner à leurs maisons ce nom de banques de spéculation. Mais de tels établissements n’en jouent pas moins un rôle économique des plus importants, en permettant la constitution de vastes entreprises, ou l’émission de gros emprunts, où ne pourraient réussir des intermédiaires qui ne seraient pas entièrement spécialisés dans ce genre d’opérations.