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2. Parole échangée

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Il est possible que la parole se déploie dans l’espace singulier du soliloque, qu’elle se retourne sur elle-même pour prendre la forme de l’entretien avec soi, mais, même en ce cas, elle est adresse à autrui. Parler nous porte hors de nous-même. Que nous exprimions des impressions, des sentiments ou des besoins, que nous communiquions des informations ou des pensées, que nous formulions une demande ou un ordre, quelles que soient la fonction remplie par notre parole et l’action visée, toujours nous cherchons à construire une relation. La parole est en partage, comme un pont jeté entre deux, « moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l’écouteécoute », selon la célèbre formule de MontaigneMontaigne (Michel de)1. Elle jalonne la ligne de crête où le « je » et le « tu », dans leurs différences, négocient les formes réciproques de leur entente et de leur reconnaissance. Double mouvement, centripète et centrifuge, producteur d’une tension où se confirme l’être grâce au détour par l’autre.

Autant dire que la parole trouve dans le dialogue son accomplissement, quand elle construit une relation agonistique où les deux interlocuteurs, en frottant leurs différences, s’exhaussent l’un l’autre dans la recherche d’un bien à partager. Est à l’inverse viciée la parole oublieuseoublieuse de l’essentielle réciprocité de l’échange, qui ne voit en l’autre qu’un adversaire à vaincre et non un collaborateur. Quand la parole est utilisée pour intimiderintimider ou menacermenacer, réprimerréprimer ou faire taire, quand elle se fait moyen d’affirmation narcissique ou instrument de sujétion, elle installe une dissymétrie. C’est alors la parole elle-même qui empêche la parole et qui, en détruisant la possibilité de la contrepartie, participe à sa ruine. Le principe de la violenceviolence se révèle, à savoir l’illusion d’agir comme si l’on était seul en droit de le faire et d’avoir raison contre tous. Est ainsi reconduit le rapport de force dans le seul élément qui pourrait le suspendre.

Pareillement inaccomplie –et, en ce sens, empêchée –est la parole pathologipathologique du sujet qui, enfermé en lui-même, ne parvient plus à se situer sur un terrain commun. Prenons pour exemple le ressassement des états confusionnels : la parole est enrayée, elle tourne à vide, bute sur elle-même, comme si elle ne trouvait qu’en son seul échoécho de quoi se relancer. La répétitionrépétition automatique devient rempart face au double sentiment d’effondrement subjectif et d’effacement de l’organisation du monde. La déficiencedéficience foncière, à être et à faire signifier, est en ce cas liée à une surabondance verbale. Preuve que la parole empêchée n’est pas nécessairement corrélée au silence. La définissent bien plutôt la perturbationperturbation et le dévoiementdévoiement des liens intersubjectifs, qui sapent la possibilité de dessiner un horizon partagé.

La parole empêchée

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