Читать книгу La parole empêchée - Группа авторов - Страница 69
3. Parole donnée
ОглавлениеSi l’on accepte de définir la parole et comme affirmation de soi et comme appel à autrui, il faut reconnaître l’existence d’une forme de réalisation supérieure, au-delà de la situation d’échange produite par le dialogue. Telle serait le don de la parole dans sa figure paradigmatique, celle de la promessepromesse.
Dans les Speech acts, John Searle intitule le développement qu’il consacre à la question de la promessepromesse de façon tout à la fois sobre et peu engageante : « La promesse : un acte complexe ». Acte, la promesse l’est par son évidente dimension performativeperformative. Promettre, en effet, est s’engager à faire ce que l’on dit. Quant à la complexité de la promesse, non plus simplement linguistique, mais existentielle et même moralemorale, elle tient essentiellement à deux traits, d’une part, la fidélité à soi-même postulée par celui qui promet, d’autre part, le pari pris sur l’avenir. En promettant, nous posons la constance de notre volonté, en dépit des contingences et vicissitudes de toutes sortes qui peuvent advenir, s’interposer et faire que cela « tourne autrement » (circonstances, événements, accidents ou désirs contraires, etc.). En ce sens, il est une grandeur propre à la promesse, on peut même parler d’un excèsexcès qui lui serait inhérent. Inconditionnelle et indéterminable, c’est-à-dire étrangèreétrangère à la logique du calcul et du programme, foncièrement inactuelle et irréalisable, la promesse promet toujours trop car elle porte au-delà des possibles, comme le souligne Jacques DerridaDerrida (Jacques)1. D’où l’aporie constitutive : « La promesse est impossibleimpossible mais inévitable »2.
Bien qu’elle se formule au présent, la promessepromesse est tournée vers le futur. Est-elle une manière d’endiguer l’imprévisible, d’établir un « îlot de certitude » dans « l’océan d’incertitude qu’est l’avenir par définition »3 ? Sans doute, à condition de l’envisager non comme une simple position défensive, mais comme une forme d’initiative. En enchaînant le temps à une résolution, la promesse est un acte d’absolue liberté ; en liant le présent et l’avenir, elle donne à l’individu l’assurance de sa propre permanence. C’est pourquoi son corollaire est la mémoiremémoire, soit l’aptitude inverse à se tourner vers le passé pour le rattacher au présentmoraleNietzsche (Friedrich)mémoirepromesseoubli ou encore le pardon, comme le pose Hannah ArendtArendt (Hannah), c’est-à-dire la décision de se défaire du poids du passé et de ses conséquences4.
Mais la promessepromesse n’est pas seulement engagement « à », elle est aussi engagement « envers », envers soi-même (on est lié par l’obligation de faire ce qu’on a dit) et, surtout, envers un bénéficiaire. Si le bénéficiaire ne saisissait la promesse au mot, s’il ne la prenait au sérieux, il lui enlèverait toute crédibilité et la réduirait à rien. L’institution de la promesse présuppose donc l’espérance de celui qui compte sur elle et c’est d’ailleurs cette espérance qui la protège de sa propre pathologiepathologie, celle de n’être qu’entêtement obtus de la volonté et désir insensé de maîtrise. En cela la promesse est don. Bien au-delà de son exercice circonstanciel, elle concerne la pratique de la parole dans son entier et la possibilité même de la socialité.