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Le roman

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Les deux livres ont bien des défis à relever. Comment intégrer au texte la notion de mutismemutisme ? Les paroles refouléesrefoulement ? Les contes lancés au vent ? Si « ce qui n’a jamais été écrit est féminin »1, comment ce féminin peut-il s’écrire sans se trahir ?

Le silence n’est pas traduit ici par une écriture blanche, fragmentéefragmentation, bégayantebégaiement, qui mimerait l’empêchement de la parole. Dans ces deux romans abondants et non maigres, c’est la présence thématique du silence qui évoque le blocage de l’expression. Les ellipseellipses, qui ne sont pas ressenties comme un vide, laissent surgir les épisodes marquants, traités sur le mode épique. Ces hiatus dans la linéarité des vies permettent un « transfert de responsabilité cognitive à l’imaginaireimaginaire du lecteur »2, dont la lecture est portée par une écriture organique et tendue. La richesse de ces romans se développe au plan métonymique et métaphoriquemétaphore : la narration se plie et se déplie, se gonfle de résonances poétiques. Tout autant que vers les strates du passé, elle est orientée par la prédiction, par l’appel des signes, tout en lançant des coups de sonde dans les gouffres de l’outre-monde. Analepses et prolepses se mêlent pour tisser inexorablement le destin de chacun. La reprise des épisodes répercute les diverses versions de la fable oraleoralité, les sauts dans l’espace et le temps font fi des frontières entre ici et là-bas, vie et mortmort, rêve et réalité. Le lyrismelyrisme souffle ses imageimages, ses anaphores, ranime les métaphores, joue des sonorités, se lamente et vaticine. Caisse de résonancerésonance de l’imaginaire, des traces de récits merveilleux affleurent sous les fictions : les Contes de ma Mère l’Oye (« Peau d’âne » pour l’incesteinceste paternel, « le Petit Poucet » pour les enfants semant sur leur chemin des ersatz de petits cailloux, « La Belle au bois dormant » pour les belles endormies), la conteuse Shéhérazade, le mythe de Perséphone pleurée par Déméter, le Minotaure, les légendes de moulins maudits… Enfin le récit épouse au plus près la matière des corps, des objets, du paysage, tout en les traversant de forces magiques et en les imprégnant de surnaturel : il applique en cela la recette paradoxale du réalisme magique.

En fait, les romans de Carole MartinezMartinez (Carole) illustreraient parfaitement la thèse de Katherine Roussos3, selon laquelle le réalisme magique est un langage subversif apte à dénoncer ou à compensercompensation la domination masculine. Le cœur cousu et Du domaine des Murmures présentent deux personnages féminins dont le désir et la parole sont empêchés, et qui cherchent leur liberté dans l’exil extérieur du désert, ou intérieur de la cellule ; qui laissent parler leur corps d’amante, ou de mère ; qui acquièrent une puissance d’expression surnaturelle par la broderie, ou par la voix prophétique. Toutes deux suscitent une légende qui transfigure la douleurdouleur, qui les relie à la chair des choses et du monde, qui revivifie les archétypes, mais les subvertit et les délie. C’est ainsi que les deux textes romanesques véhiculent un mythos qui, « opposant à la réalité [du logos] une résistancerésistance têtue […] fini[t] par courber la surface du monde »4 ; le mythos de « récitantes »5 qui, en secouant le poids aliénantaliénation de la magie féminine tout comme celui de l’hagiographie masculine, sont devenues des femmes puissantes, au sens où l’entend Marie N’DiayeN’Diaye (Marie)6.

La parole empêchée

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