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Bouches cousues : mutisme, violenceviolence et murmure dans les romans de Carole MartinezMartinez (Carole)

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Agnès Lhermitte (Université Bordeaux Montaigne, EA 4593 CLARE)

« Au théâtrethéâtre de la mémoiremémoire, les femmes sont ombre légère », écrit l’historienne Michelle Perrot dans Les Femmes ou les Silences de l’Histoire1. C’est dire que le rôle qu’on leur concède dans la marche du monde manquemanque de consistance et de poids. Bien souvent, il s’agit même d’un rôle muetmuet. Mais la romancière contemporaine Carole MartinezMartinez (Carole) prétend que si, « depuis la Genèse et le début des livres, le masculin couche avec l’Histoire », pour qui sait prêter l’oreille, « il est d’autres récits. Des récits souterrains transmis dans le secretsecret des femmes, des contes enfouis dans l’oreille des filles, […] des paroles bues aux lèvres des mères »2. Dans ses deux romans, elle entend ainsi rendre à deux de ces figurantes effacées corps de chair, mouvement, et surtout parole. Elle a tiré des oubliettes de l’Histoire deux femmes obscures que leur destin avait bâillonnées. Tirée de la légende familiale, l’héroïne du Cœur cousu3, Frasquita, est mariée au fond de la campagne andalouse à un homme fruste qui se prend de passion pour les combats de coqs jusqu’à jouer sa femme. Cédée au vainqueur, le châtelain, elle s’enfuit avec ses enfants, sorte de Mère Courage tirant sa charrette, se trouve mêlée aux révoltes anarchistes, traverse la mer et le désert pour s’échouer avec sa progéniture dans une cour du Maghreb, au bord d’un terrain vague. Sa mère lui a transmis des secrets de magicienne et un talent extraordinaire de brodeuse ; ses filles hériteront à leur tour de dons surnaturels. Tirée d’une inscription funéraire médiévale, l’héroïne de Du domaine des Murmures, Esclarmonde, refuse d’épouser Lothaire, le jeune seigneur brutal qui lui est imposé, et choisit de vivre en recluse dans le mur de la chapelle du château d’où elle reçoit les pèlerins. Violviolée la veille de son emmurement, elle donne le jour à un enfant considéré comme un miracle. Mais elle finit victimevictime de la colère populaire pour avoir voulu échapper à son rôle quand on lui inflige le vœu de silence.

Dans ces deux contextes plus ou moins reculés, la parole des femmes est mise à l’épreuve pour mieux resurgir dans sa différence. Nous envisagerons ce double processus sur les trois plans successifs des structures sociales, puis des archétypes et de l’inconscient, et enfin des modalités du récit. En effet, en bridant l’expression féminineféminisme, une sociétésociété patriarcalepatriarcat entrave la relation, ce qui entraîne frustrationfrustrations, conflitconflits et violences – ou d’autres stratégies de communication. Dans les zones profondes de l’intimeintime (sexe, naissance, mortmort…) se terrent les sentiments primordiaux (peurpeur…), les taboutabous collectifs et les traumatraumatismes personnels, qui tous relèvent de l’indicibleindicible ou affleurent par les voies de l’imaginaireimaginaire. Au niveau poétique, par conséquent, le logos fait place à diverses expressions artistiques, à l’affabulation, à la parole sortilège, au réalisme magique du roman.

La parole empêchée

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