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1. Silence dans la famillefamille

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La famillefamille, c’est l’endroit même où se passe l’agression, et aussi celui où l’on ne peut pas en parler. C’est parce qu’on ne peut pas en parler que l’agression est possible. Et, plus encore, c’est pour rendre l’agression possible qu’on apprend aux enfants à ne pas parler. Et, quand bien même les enfants pourraient parler, quels mots pourraient être utilisés pour décrire ce qui est subi ? Il y a « mise sous terreurterreur » autant qu’« absenceabsence de mots »1 : « Si j’avais osé parler, que se serait-il passé ? Je pense que mon Père aurait tout nié et que j’aurais été battue pour avoir inventé de telles infamies ».

Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) imagine rétrospectivement un déni de l’agresseur et une punition (corporelle) de la victimevictime. Dans sa famillefamille comme dans les autres familles incestueuses, il n’y a pas désordre, mais un « ordre socialordre social alternatif et impensé »2 : d’importantes et rigides structures qui rendent le violviol, et le silence autour du viol, possibles. « Cet ordre comporte, comme tout ordre social, ses propres valeurs, ici bien particulières et déclinées autour du silence. Ses normenormes de l’acceptable (le viol répétérépétition d’enfants de la famille, l’autodestruction et/ou le suicidesuicide de certains membres de la famille, par exemple) et ses normes de l’inacceptable : parler des violences sexuellessexualité »3.

Il apparaît que le silence n’est pas une conséquence ou un effet indirect du violviol incestueux, mais bien sa condition, sa règle, son élément fondateur. Stéphane La Branche en fait une des quatre règles de l’incesteinceste ou de la co-dépendance, avec la rigidité, la dénégation, et l’isolementisolement4. La rigidité semble particulièrement caractériser l’aristocrate et très catholique famillefamille Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) : « Dans notre maison, la moralemorale était partout : écrasante comme une canicule ».

Un autre des éléments de manipulation incestueuse est « l’effort pour rendre l’autre confus »5. Il est, à vrai dire, consternant d’observer que le père de Niki de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) y soit parvenu au point que celle-ci, âgée alors de soixante-neuf ans, reprenne l’invraisemblable expression qui fut la sienne pour qualifier ce qu’il lui a fait subir. Sur le rabat de la couverture de Traces, Saint Phalle parle de l’incesteinceste en ces termes : « Depuis l’âge de vingt ans, j’ai essayé toutes sortes de psychothérapiethérapies. Je cherchais une unité intérieure que je ne trouvais que dans le travail. Je voulais pardonner à mon père d’avoir essayé de faire de moi sa maîtresse lorsque j’avais onze ans »6.

C’est la seule évocation de l’incesteinceste, qui n’est jamais clairement nommé dans l’ouvrage Traces lui-même, mais suinte de nombreuses pages7. Seul Mon Secret livre la véritévérité crue. Et cite une lettre envoyée par le comte à sa fille majeure, quand celle-ci sortait d’une clinique où elle fut traitée à l’insuline et aux électrochocs pour dépression sévère :

Quelques semaines après ma sortie de l’hopital mon Père, PAPA, m’écrivit une lettre qui me parvint un vendredi après-midi et pendant deux ans, à la même heure, chaque semaine, j’aurais une migraine qui durait 24 heures et je resterais térrassée dans mon lit. Cette lettre était une confession. La nouvelle de mon internement avait bouleversé mon Père. Il était assailli par le remord, il voulait se faire pardonner : « Tu te rappelles certainement que lorsque tu avais onze ans, j’ai essayé de faire de toi ma maîtresse ? » écrivait-il. Je ne me souvenais de rien. L’oublioubli me protégeait d’une véritévérité insupportable.

La « véritévérité insupportable » n’était certainement pas une histoire d’amour ou d’adultère, mais c’est dans ce champ lexical que puise l’agresseur et c’est celui qui est repris par sa fille. Le comte de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) continue, même après sa mortmort, à rendre sa fille confuse.

Cette confusion concernant l’agression, assimilée à un adultère (i.e. une fautefaute), s’explique également par la grande culpabilitéculpabilité généralement ressentie par les victimes d’incesteinceste : « la hontehonte et le sentiment d’avoir participé s’avèrent aussi efficaces que des menacesmenacer de violenceviolence pour faire taire »8. Il faut noter, avec Catherine Francblin, que « le livre, publié début 1994, est paru uniquement en français, comme si, tout en souhaitant révéler l’agression sexuellesexualité dont elle avait été victimevictime, elle ne souhaitait pas ébruiter sa confession au-delà d’un certain cercle »9.

Il va sans dire que la dimension sexuelle de l’incesteinceste participe à cette culpabilitéculpabilité. Mais, à la suite de nombreuses féministesféminisme, il faut affirmer que « l’agression dite « sexuelle » est aussi peu sexuelle que possible »10, que le violviol est une violenceviolence qui a le sexe pour arme11. Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) affirme la même chose quand elle écrit : « Le viol n’est pas essentiellement un acte sexuel, c’est un crime seulement contre l’esprit ».

Mais c’est seulement avec un recul, intellectuel et temporel, que l’on peut mettre en place une telle analyse, qui dissocie le violviol de la sexualitésexualité et l’incesteinceste d’une relation filiale ; à l’heure de l’agression, et souvent de nombreuses années par la suite, il n’y a que la hontehonte. Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), comme tant d’autres, choisit de se taire : « Je ne dis rien du viol à personne. Mon silence était une stratégie de survie ».

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