Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 25
IV
ОглавлениеIl tourna l’anneau, ouvrit la porte et pénétra dans le vestibule. La porte de la chambre était ouverte. À gauche se trouvait le poêle; en face, le coin principal, où se trouvait l’étagère des icônes, – la table, – derrière la table, un banc, – sur le banc, une vieille femme vêtue seulement d’une chemise, les cheveux dénoués, la tête appuyée sur la table. Près d’elle, un petit garçon maigre, comme en cire, le ventre enflé. Il tirait la vieille par la manche en poussant de grands cris; il lui demandait quelque chose.
Élysée entra dans la chambre. De mauvaises odeurs s’en exhalaient. Derrière le poêle, dans la soupente, il aperçut une femme couchée. Elle était étendue sur le ventre, et ne regardait rien, et râlait. Des convulsions écartaient et ramenaient ses jambes tour à tour, et la secouaient tout entière. Elle sentait mauvais; on voyait qu’elle avait fait sous elle. Et personne pour la nettoyer.
La vieille leva la tête. Elle vit l’homme.
— De quoi as-tu besoin? Que veux-tu? Il n’y a rien ici! Dit-elle dans son langage de l’Ukraine. Élysée comprit, et s’approchant d’elle:
— Je suis entré, dit-il, servante de Dieu, pour demander à boire.
— Il n’y a personne pour apporter à boire. Et il n’y a rien à prendre ici. Va-t-en.
— Mais quoi! Demanda Élysée, vous n’avez donc personne qui ne soit pas malade chez vous pour nettoyer cette femme?
— Personne. Mon homme se meurt dans la cour, et nous ici.
Le petit garçon s’était tu à la vue d’un étranger. Mais quand la vieille se mit à parler, il la tira de nouveau par la manche.
— Du pain, petite grand’mère, donne-moi du pain!
Et il se remit à pleurer.
Élysée avait à peine eu le temps d’interroger la vieille, lorsque le moujik vint s’affaisser dans la pièce. Il se traîna le long des murs, et voulut s’asseoir sur le banc; mais il ne réussit pas et tomba par terre. Et, sans se relever, il essaya de parler. Il articulait ses mots, comme arrachés un par un, en reprenant haleine à chaque fois.
— La faim nous a envahis. Voilà. Il meurt de faim! Dit le moujik en montrant d’un signe de tête le petit garçon.
Et il pleura.
Élysée secoua son sac derrière l’épaule, l’ôta, le posa par terre, puis le leva sur le banc, et se hâta de le dénouer. Il le dénoua, prit le pain, un couteau, coupa un morceau et le tendit au moujik. Le moujik ne le prit point, et montra le petit garçon et la petite fille comme pour dire: «Donne-le-leur à eux.» Élysée le donna au garçon.
Le petit garçon, en sentant le pain, le saisit de ses menottes, et y entra avec son nez. Une petite fille sortit de derrière le poêle, et fixa ses yeux sur le pain. Élysée lui en donna aussi. Il coupa encore un morceau et le tendit à la vieille. La vieille le prit et se mit à mâcher.
— Il faudrait apporter de l’eau, dit Élysée. Ils ont tous la bouche sèche.
— Je voulais, dit-elle, hier ou aujourd’hui, – je ne m’en souviens plus déjà – je voulais apporter de l’eau. Pour la tirer, je l’ai tirée; mais je n’ai pas eu la force de l’apporter; je l’ai renversée et je suis tombée moi-même. C’est à peine si j’ai pu me traîner jusqu’à la maison. Et le seau est resté là-bas, si on ne l’a pas pris.
Élysée demanda où était le puits, et la vieille le lui indiqua. Il sortit, trouva le seau, apporta de l’eau et fit boire tout le monde. Les enfants mangèrent encore du pain avec de l’eau, et la vieille mangea aussi; mais le moujik ne mangea pas.
— Je ne le peux pas, disait-il. Quant à la baba, loin de pouvoir se lever, elle ne revenait pas à elle et ne faisait que s’agiter dans son lit. Élysée se rendit dans le village, chez l’épicier, acheta du gruau, du sel, de la farine, du beurre, et trouva une petite hache. Il coupa du bois et alluma le poêle. La petite fille l’aidait. Il fit une espèce de potage et une kascha, et donna à manger à tout ce monde.