Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 37
II
ОглавлениеSimon s’approche, regarde et voit un homme jeune et robuste, dont le corps ne porte trace de violence ni de coups, mais transi de froid et visiblement effrayé. Assis contre le mur, il ne regardait pas Simon. Il avait l’air épuisé; il ne pouvait lever les paupières.
Simon s’avança davantage, et se pencha vers l’homme qui se ranima soudain, tourna la tête, ouvrit les yeux et le regarda. Dès que Simon vit ce regard, il se prit à aimer l’homme. Il laissa tomber ses bottes, détacha sa ceinture, qu’il jeta sur elles, et enleva son caftan.
«Pas de paroles inutiles, dit-il. Tiens, habille-toi vite.»
Et Simon prit l’homme sous le bras, le souleva, le mit sur pied; il vit son corps fin, délicat, propre, ses bras et ses jambes intacts, et son doux visage. Il lui mit son caftan sur les épaules, mais l’homme ne pouvait passer les manches. Simon le lui passa, ferma le caftan, lui attacha la ceinture. Il voulut ôter son bonnet déchiré pour en coiffer l’homme, mais il se sentit froid à la tête, et pensa: «Je suis entièrement chauve, tandis que lui a de longs cheveux bouclés.» Il garda son bonnet. «Mieux vaut lui mettre les bottes», se dit-il.
Simon s’agenouilla devant l’homme, lui chaussa les bottes, puis lui dit: — Eh bien! Frère! Voyons, secoue-toi un peu, réchauffe-toi. Nous n’avons plus rien à faire ici. Peux-tu marcher?
L’homme restait debout sans parler, tout en regardant Simon avec douceur.
— Eh bien! Pourquoi ne parles-tu pas? Nous ne pouvons pas passer l’hiver ici. Il faut rentrer. Tiens, prends mon bâton; appuie-toi dessus, si tu n’as pas de forces; et en avant!
L’homme marcha, même très facilement, et ne resta pas en arrière.
Ils vont côte à côte, et Simon lui demande:
— D’où es-tu?
— Je ne suis pas d’ici.
— Je connais les gens du pays. Comment te trouvais-tu là, derrière la chapelle?
— Je ne peux pas le dire.
— T’aurait-on fait du mal?
— Non, personne ne m’a fait mal. Dieu m’a puni.
— Sans doute, tout dépend de Dieu… Mais enfin, on va toujours quelque part. Où vas-tu?
— Cela m’est égal.
Simon s’étonne. Cet homme n’a pas la mine d’un mauvais plaisant, sa voix est douce, mais il ne dit rien de soi. Simon songe que tout cela est bien étrange et il dit à l’homme: — Eh bien! Viens chez moi; tu te réchaufferas un peu dans ma maison.
Simon s’approche de sa cour; son compagnon marche à côté de lui. Le vent s’est levé, il transperce la chemise de Simon.
L’ivresse commence à se dissiper et il se sent transi; il renifle, se serre dans sa jaquette et pense: «Me voilà bien! En voilà une affaire! Je pars pour acheter une pelisse, je n’ai plus même un caftan en rentrant, et je ramène encore un homme nu. Matriona ne m’en fera pas compliment.»
En pensant à elle, Simon s’attriste; mais en regardant l’homme, il se rappelle le regard qu’il lui a jeté derrière la chapelle, et son cœur tressaille de joie.