Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 27

VI

Оглавление

Table des matières

Le quatrième jour commençaient les fêtes de Pâques.

— Je vais leur acheter de quoi se régaler, je festoierai avec eux, et le soir je partirai, pensa Élysée.

Il retourna au village acheter du lait, de la farine bien blanche, de la graisse. Il cuisina, pâtissa avec la vieille; le matin il alla à la messe, et, à son retour, on fit bombance. Ce jour-là, la baba commença à marcher. Le moujik se rasa, mit une chemise propre que lui avait lavée la vieille, et se rendit dans le village chez un riche propriétaire auquel il avait engagé sa prairie et son champ. Il allait le prier de lui rendre ses terres avant les travaux. Le moujik rentra dans la soirée, bien triste, et se mit à pleurer. Le riche propriétaire avait refusé. Il demandait l’argent d’abord.

Élysée se prit à réfléchir de nouveau.

— Comment vont-ils vivre maintenant? Les autres s’en iront faucher, eux, non: leur pré est engagé. Quand le seigle sera mûr, les autres s’en iront moissonner, eux, non: leurs déciatines sont engagées. Si je pars, ils redeviendront ce qu’ils étaient.

Élysée résolut de ne pas s’en aller ce soir-là, et remit son départ au lendemain matin. Il alla se coucher dans la cour; il fit sa prière, s’étendit, mais ne put s’endormir.

— Il me faut partir, il me reste si peu d’argent, si peu de temps! Et pourtant, c’est pitié, ces pauvres gens… Mais peut-on secourir tout le monde? Je ne voulais que leur apporter de l’eau et leur donner un peu de pain à chacun, et voilà jusqu’où les choses en sont venues! Il y a déjà le pré et le champ à dégager. Le champ dégagé, il faudra acheter une vache aux enfants, puis un cheval au moujik pour transporter les gerbes… Tu es allé un peu trop loin, mon ami Élysée Bodrov! Tu as perdu ta boussole et tu ne peux plus t’orienter!

Élysée se leva, retira son caftan de derrière sa tête, ouvrit sa tabatière de corne, prisa, et chercha à voir clair dans ses pensées. Mais non, il méditait, méditait sans pouvoir rien trouver. Il lui faut partir; mais laisser ces pauvres gens, quelle pitié! Et il ne savait à quoi se résoudre. Il ramassa de nouveau son caftan, le mit sous sa tête et se recoucha. Il resta ainsi longtemps: déjà les coqs avaient chanté lorsqu’il commença à s’endormir.

Tout à coup il se sent comme réveillé. Il se voit déjà habillé, avec son sac et son bâton; et il a à franchir la porte d’entrée. Elle est à peine assez entrebâillée pour laisser passer un seul homme. Il marche vers la porte, mais il est accroché d’un côté par son sac, et, en voulant se décrocher, il est pris d’un autre côté par son soulier; le soulier se défait. À peine dégagé, voilà qu’il se sent retenu de nouveau, non par la haie, mais par la petite fille qui le tient en criant:

— Petit grand-père! Petit grand-père! Du pain! Il regarde son pied, et c’est le petit garçon qui lui tient l’onoutcha; et de la fenêtre, la vieille et le moujik le regardent. Élysée se réveilla.

— Je vais acheter, se dit-il, et le champ et le pré, plus un cheval pour l’homme et une vache pour les enfants. Car autrement je m’en irais chercher le Christ par-delà les mers et je le perdrais en moi-même. Il faut être secourable.

Il s’endormit jusqu’au matin, se leva de bonne heure, se rendit chez le riche moujik, et racheta les semailles et le pré. Il racheta aussi la faux, car elle avait été aussi vendue, et l’apporta au logis. Il envoya le moujik faucher, et lui-même s’en alla chez le cabaretier pour y trouver un cheval avec une charrette à vendre. Il marchanda, acheta, et partit ensuite acheter une vache. Comme il marchait dans la rue, Élysée vit devant lui deux femmes du pays. Les deux babas cheminaient en bavardant entre elles, et Élysée les entendit parler de lui.

— D’abord, disait l’une des femmes, on ne savait quel était cet homme. On le croyait tout simplement un pèlerin… Il entra, dit-on, pour demander à boire, et puis il est resté à vivre là. Il leur a acheté tout, dit-on. Moi-même je l’ai vu aujourd’hui acheter chez le cabaretier un cheval avec une charrette. Il en existe donc de telles gens! Il faut aller voir.

Élysée entendit cela, et comprit qu’on le louait. Alors il n’alla pas acheter la vache. Il revint chez le cabaretier, lui paya le cheval, attela et prit le chemin de l’isba. Arrivé à la porte d’entrée, il s’arrêta et descendit de la charrette. Les habitants de l’isba aperçurent le cheval, et s’en étonnèrent. Ils pensaient bien que le cheval avait été acheté pour eux, mais ils n’osaient pas le dire. Le patron vint ouvrir la porte.

— Où t’es-tu procuré cette bête, dit-il, mon petit vieillard?

— Mais je l’ai achetée, répondit Élysée. C’est une occasion. Fauche-lui un peu d’herbe pour la nuit.

Le moujik détela le cheval, lui faucha de l’herbe et en remplit la crèche. On se mit au lit. Élysée se coucha dans la cour, où il avait, dès le soir, transporté son sac. Quand tous furent endormis, Élysée se leva, fit son paquet, se chaussa, passa son caftan et s’en alla à la recherche d’Efim.

Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles)

Подняться наверх