Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 26
V
ОглавлениеLe moujik put manger un peu, ainsi que la vieille; le petit garçon et la petite fille léchèrent tout le plat, puis s’endormirent dans les bras l’un de l’autre.
Le moujik avec la vieille racontèrent leur histoire.
— Nous vivions auparavant, dirent-ils, pas très riches non plus. Et voilà que justement rien ne poussa. Vers l’automne, nous avions déjà tout mangé. Après avoir mangé tout, nous avons demandé aux voisins, puis aux personnes charitables. D’abord on nous a donné; puis on nous a refusé. Il y en avait qui auraient bien donné, mais qui ne le pouvaient pas. D’ailleurs nous commencions à avoir honte de demander toujours. Nous devons à tout le monde et de l’argent, et de la farine, et du pain.
— J’ai cherché, dit le moujik, du travail: pas de travail. On ne travaille que pour manger. Pour une journée de travail, deux perdues à en chercher. Alors la vieille et la petite fille sont allées mendier. L’aumône était mince, personne n’avait de pain. Pourtant on mangeait tout de même. Nous comptions nous traîner ainsi jusqu’à la moisson prochaine. Mais, depuis le printemps, on n’a plus rien donné! Et voilà que la maladie s’en est mêlée.
Tout allait de mal en pis. Un jour, nous mangions, et deux non. Nous nous sommes tous mis à manger de l’herbe. Mais soit à cause de l’herbe, ou autrement, la maladie prit la baba. La baba s’alita; et chez moi, dit le moujik, plus de forces. Et je ne sais comment me tirer de là.
— Je suis restée seule, dit la vieille. J’ai fait ce que j’ai pu, mais ne mangeant pas, je me suis épuisée. Et la petite fille dépérit et devint peureuse; nous l’envoyions chez le voisin, et elle refusait d’y aller. Elle se tenait blottie dans un coin et n’en bougeait pas. Avant-hier, la voisine entra, mais en nous voyant affamés et malades, elle a tourné les talons et détalé. Son mari lui-même est parti, n’ayant pas de quoi donner à manger à ses petits enfants. Eh! Bien, c’est dans cet état que nous nous étions couchés en attendant la mort.
Élysée, ayant écouté leurs discours, résolut de ne pas rejoindre son compagnon le même jour, et il coucha dans l’isba. Le lendemain matin il se leva et s’occupa de tout dans la maison, comme s’il en eût été le patron. Il fit avec la vieille la pâte pour le pain et alluma le poêle. Il alla avec la petite fille chez le voisin chercher ce qu’il fallait. Mais quoi qu’il demandât, pour le ménage, pour le vêtement, il n’y avait rien, tout était mangé. Alors Élysée, achetant ceci, fabriquant cela, se procura tout ce qui lui manquait. Il demeura ainsi une journée, une autre, puis une troisième. Le petit garçon se rétablit; il marchait sur le banc, et venait avec tendresse se frotter contre Élysée. La petite fille, devenue tout à fait gaie, l’aidait en tout, toujours à courir derrière lui en criant: «Petit grand-père! Petit grand-père!» La vieille se remit aussi et alla chez sa voisine. Le moujik commençait à longer les murs. Seule la baba gardait encore le lit; mais le troisième jour, elle aussi revint à elle et demanda à manger.
— Eh bien! Pensait Élysée, je ne croyais pas rester ici aussi longtemps. Maintenant il est temps de partir.