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VIII

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Table des matières

Toute cette première journée qu’Élysée passa dans l’isba des gens malades, Efim attendit son compagnon. Il fit halte tout près du village, attendit, attendit, dormit un peu, se réveilla, demeura assis encore un peu et ne vit rien venir. Il se fatiguait les yeux à regarder. Le soleil se couchait déjà derrière l’arbre, et Élysée ne paraissait pas.

— Peut-être a-t-il passé, pensait-il, et comme je dormais, il ne m’aura pas remarqué. Mais non, il ne pouvait pas ne pas me voir: on voit loin dans la steppe… Je vais revenir sur mes pas, pensait-il; mais nous pourrions nous manquer, ce serait pis… Je vais m’en aller en avant, nous nous rencontrerons à la première couchée.

Il arriva dans un village et pria le garde champêtre, s’il venait un petit vieillard de telle et telle manière, de l’amener dans l’isba où il était. Élysée ne vint pas à la couchée.

Efim s’en alla plus loin, demandant à chacun s’il n’avait pas vu un petit vieillard tout chauve: personne ne l’avait vu. Efim continua seul son chemin.

— Nous nous rencontrerons, pensait-il, quelque part à Odessa ou sur le bateau. Et il n’y songea plus.

En route il rencontra un pèlerin. Ce pèlerin, en robe de bure avec de longs cheveux, était allé au mont Athos, et faisait déjà pour la seconde fois le voyage de Jérusalem. Ils se rencontrèrent dans une auberge, lièrent conversation et firent route ensemble.

Ils arrivèrent sans encombre à Odessa. Là, ils attendirent le bateau pendant trois jours, en compagnie d’une multitude de pèlerins; il en venait de tous les côtés. De nouveau, Efim s’enquit d’Élysée, mais personne ne l’avait vu.

Le pèlerin apprit à Efim le moyen de faire la traversée sans bourse délier; mais Efim ne l’écouta point.

— Moi, dit-il, je préfère payer ma place. C’est pour cela que j’ai pris de l’argent.

Il donna quarante roubles pour l’aller et le retour, et s’acheta du pain avec des harengs pour la route. Le bateau chargé, les fidèles embarqués, Efim monta à bord avec le pèlerin. On leva l’ancre et on partit. La journée fut bonne; mais, vers le soir, un grand vent se mit à souffler; la pluie tombait, les vagues balayaient, inondaient le bateau. Les babas pleuraient, les hommes s’affolaient; quelques passagers couraient ça et là en quête d’un abri. Efim sentit, lui aussi, que la peur lui venait; mais il n’en laissa rien voir, et se tint immobile à sa place, auprès des vieillards de Tanbov, toute la nuit et toute la journée du lendemain. Le troisième jour la mer s’apaisa; le cinquième on arriva devant Constantinople. Quelques-uns débarquèrent, et visitèrent l’église de Sainte-Sophie-la-Sage, où sont maintenant les Turcs. Efim ne descendit pas à terre. Après une escale de vingt-quatre heures, le bateau reprit la mer, toucha à Smyrne-la-Ville, puis à Alexandrie, et atteignit sans accident Jaffa-la-Ville. C’est à Jaffa que tous les pèlerins devaient débarquer: il n’y a que soixante-dix verstes pour se rendre à pied de là à Jérusalem. Pendant le débarquement, les fidèles eurent un moment de peur. Le navire était haut; on jetait les passagers dans des barques, tout en bas, et, les barques oscillant, on risquait de tomber, non dedans, mais à côté. Deux se mouillèrent quelque peu. Mais, au bout du compte, tous débarquèrent sains et saufs.

On se mit en route aussitôt, et le quatrième jour on atteignit Jérusalem. Efim s’arrêta hors de la ville, à l’auberge russe, fit viser son passeport, dîna et s’en alla avec les pèlerins visiter les Lieux Saints. Au Saint-Sépulcre, on ne laissait pas encore entrer. Il se rendit d’abord à la messe, dans le monastère du Patriarche, pria, brûla des cierges, examina le temple de la Résurrection, où se trouve le Saint-Sépulcre. Tant de bâtiments le masquent, qu’on ne le voit presque pas. La première journée, il ne put visiter que la cellule où Marie l’Égyptienne avait fait son salut. Il brûla des cierges et chanta la messe. Il voulut voir l’office du soir au Saint-Sépulcre; mais il arriva trop tard. Il alla visiter le monastère d’Abraham, y vit le jardin de Savek, où Abraham voulut sacrifier son fils à Dieu. Il vit ensuite l’endroit où le Christ apparut à Marie-Magdeleine, et l’église de Jacob, le frère du Seigneur. Le pèlerin lui montrait tout, et partout lui disait où et combien il fallait donner, où il fallait brûler des cierges. Ils s’en revinrent de nouveau à l’auberge.

Au moment de se coucher, le pèlerin se plaignit tout à coup en fouillant ses poches.

— On m’a volé, dit-il, mon porte-monnaie avec l’argent; il y avait vingt-trois roubles, disait-il, deux billets de dix roubles chacun, et trois roubles de monnaie.

Il se plaignait, il se plaignait, le pèlerin, mais que faire? Et il se coucha.

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