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XI

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Efim revint par le même chemin. À mesure qu’il se rapprochait de sa maison, ses soucis le reprenaient: Comment vivait-on chez lui, sans lui?

— En une année, pensait-il, il passe beaucoup d’eau sous le pont. Une maison, œuvre d’un siècle, un seul moment peut la détruire… Comment mon fils a-t-il mené les affaires? Comment le printemps a-t-il commencé? Comment le bétail a-t-il passé l’hiver? A-t-on terminé heureusement la maison?

Efim atteignit le lieu où, l’année dernière, il s’était séparé d’Élysée. Impossible de reconnaître les habitants du pays. Là où, l’autre an, ils étaient misérables, ils vivaient aujourd’hui à leur aise. Les récoltes avaient été excellentes, et les paysans, oubliant leurs misères, s’étaient relevés. Le soir, Efim arriva au village où Élysée l’avait quitté. Il venait à peine d’y entrer, qu’une petite fille en chemise blanche sortit d’une maison et courut vers lui.

— Petit vieillard! Petit vieillard! Viens chez nous! Efim voulut passer outre, mais la fillette revint à la charge, le saisit par la manche et l’entraîna en riant vers l’isba.

La baba et le petit garçon parurent sur le seuil et l’invitèrent de la main.

— Viens, petit vieillard, viens souper et passer la nuit. Efim se rendit à cette invitation.

— À propos, pensa-t-il, je m’informerai d’Élysée. Je crois que voilà justement l’isba où il est allé, l’an passé, demander à boire.

Efim entra. La baba le débarrassa de son sac, le mena se débarbouiller et le fit asseoir à table. On lui donna du lait, des vareniki, de la kascha. Efim remercia les gens de l’isba, et les loua de leur hospitalité envers les pèlerins.

La baba hocha la tête:

— Comment ne leur ferions-nous pas bon accueil? Dit-elle: c’est à un pèlerin que nous devons de vivre encore. Nous buvions, nous avions oublié Dieu, et Dieu nous punit, et nous attendions la mort. Oui, au printemps dernier, nous étions tous couchés, sans rien à manger, malades. Et nous serions morts si Dieu ne nous eût envoyé un petit vieillard comme toi. Il entra au milieu de la journée pour boire. En voyant notre état, il fut pris de pitié et resta avec nous. Il nous donna à boire, il nous donna à manger, nous remit sur pied, et nous acheta un cheval avec une charrette qu’il nous a laissés.

La vieille entra et interrompit le discours de la baba.

— Était-ce un homme? Était-ce un ange de Dieu? Nous l’ignorons nous-mêmes. Il aimait tout le monde, plaignait tout le monde, et il partit sans le dire à personne. Nous ne savons même pas pour qui prier Dieu. Je le vois encore: je suis couchée, attendant la mort; tout à coup je vois entrer un petit vieillard assez insignifiant, tout chauve, qui demande à boire. Croiriez-vous que j’ai pensé, moi, la pécheresse: «Que nous veut-il, celui-là?» Mais lui, voici ce qu’il a fait. Aussitôt qu’il nous a vus, il a ôté son sac, l’a posé là, à cet endroit, et l’a dénoué.

La petite fille se mêla à la conversation.

— Non, grand-mère, dit-elle. C’est ici, d’abord, au milieu de la chambre, et puis sur le banc, qu’il a posé son sac.

Et elles discutaient, elles se rappelaient toutes ses paroles, tous ses actes, où il s’asseyait, où il dormait, ce qu’il faisait, ce qu’il disait à l’une ou à l’autre.

À la tombée de la nuit, survint le moujik à cheval. Il se mit, lui aussi, à parler de la vie d’Élysée chez eux.

— S’il n’était pas venu chez nous, nous mourions avec nos péchés; nous mourions dans le désespoir, en maudissant Dieu et le genre humain. Et c’est lui qui nous a remis sur pied, c’est grâce à lui que nous avons reconnu Dieu, et que nous avons eu foi en la bonté des hommes. Que le Christ le sauve! Nous vivions auparavant comme des bêtes; et il a fait de nous des hommes.

On fit manger, boire, coucher Efim, et on se coucha aussi.

Efim ne pouvait dormir. La pensée d’Élysée le hantait, tel qu’à Jérusalem il l’avait vu trois fois au premier rang.

— Voilà comment il m’aura devancé, pensait-il. Mes efforts ont-ils été bénis? Je ne sais: mais les siens, Dieu les a bénis.

Le lendemain, les gens de l’isba laissèrent partir Efim, après l’avoir comblé de gâteaux pour la route, et s’en allèrent au travail. Et Efim poursuivit son chemin.

Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles)

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