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Cette lacune qu’il est aisé de constater dans toute la collection des Olim et dans les premiers registres criminels du Parlement conservés aux Archives Nationales, constitue-t-elle une simple omission, ou bien n’est-elle que la constatation de la non-réception totale ou partielle de l’appel en matière criminelle? C’est là une question qu’il est difficile de résoudre avec les seules indications que nous fournissent les auteurs qui ont écrit sur nos anciennes institutions judiciaires. Brussel est celui de tous qui énonce la proposition la plus formelle et la plus claire, dans son Usage des fiefs; il déclare que les seigneurs haut justiciers jugeaient à mort sans appel. Mais il se réfère à deux décisions des Grands Jours de Champagne qui ne sont pas très concluantes par elles-mêmes et qui d’ailleurs ne nous conduisent pas au delà du XIIIe siècle; elles sont des années 1286 et 1287 . La plupart des auteurs modernes se sont renfermés sur ce sujet dans des généralités assez vagues, et ils paraissent admettre, sans discussion, que l’appel fut reçu, d’une manière générale, en toute matière, à partir d’une époque qu’ils ne fixent pas avec précision, mais qui remonterait au commencement du XIVe siècle. Cette proposition n’est point exacte en ce qui concerne l’appel en matière criminelle dont le développement dut être soumis à des règles toutes particulières.

On a parfois conclu, de ce que les Olim ne contiennent pas d’appels de sentences pénales, qu’il devait avoir été tenu des registres criminels qui n’avaient pas trouvé place dans cette collection, et qui n’étaient pas parvenus jusqu’à nous. Mais cette hypothèse n’est rien moins que vraisemblable. Les premiers registres criminels conservés aux Archives Nationales présentent la même lacune. Les affaires criminelles ne sont d’ailleurs nullement exclues des Olim; elles y occupent, au contraire, la plus large place; et cette collection est précisément remplie des contestations relatives aux droits des seigneurs justiciers en cette matière; elle relate même une condamnation à mort prononcée directement par le Parlement à la fin de la session de 1291 .

Il n’y a pas lieu de s’arrêter davantage à une autre explication qui a été donnée de cette lacune. Elle consiste à attribuer l’absence totale d’appels au pur arbitraire des seigneurs qui les auraient paralysés, en refusant invariablement de les reconnaître et en faisant procéder à l’exécution sommaire des condamnés. Il n’est pas douteux que les seigneurs n’aient dû résister à l’introduction de l’appel à la justice royale, et qu’ils ne l’aient retardée par tous les moyens en leur pouvoir . Mais, au XIVe siècle, et dans le cours même du XIIIe, cette voie de recours était entièrement organisée et reconnue en matière civile. Les officiers royaux étaient assez forts pour la faire respecter; et on ne comprendrait pas, si elle avait été dès lors admise au criminel avec la même étendue, qu’ils eussent été aussi complètement impuissants pour en assurer l’exercice. D’ailleurs, cette résistance, que l’on comprendrait de la part des seigneurs éloignés du centre d’action du pouvoir royal, ne s’expliquerait pas de la part de ceux qui, comme les seigneurs ecclésiastiques de Paris, étaient placés sous le contrôle immédiat des officiers du roi.

Or, nos registres des justices de Paris ne contiennent aucune trace d’appel, quelque grand que soit le nombre des sentences de mort ou autres qu’ils rapportent. Ce silence est d’autant plus significatif que ces documents ne sont pas des registres de justice proprement dits, dans lesquels les sentences des premiers juges doivent seules prendre place. Ce sont plutôt, comme nous l’avons dit, des mémoriaux dans lesquels on inscrit, avec la sentence, l’exécution et les circonstances les plus importantes de l’affaire. On y relate notamment, avec soin, les débats auxquels les divers cas de justice ont pu donner lieu préalablement devant le Parlement et les autres juges royaux. Il n’est donc pas permis de supposer qu’on ait constamment omis un fait aussi important que l’appel, s’il avait été régulièrement exercé, non plus que les modifications qu’il aurait nécessairement fait subir aux sentences primitives.

Une dissertation de Jean Lecoq nous donne une explication plus plausible de ce fait, en nous faisant connaître une règle très intéressante de la pratique de son temps. Cette dissertation, ou question, est relative à une grave affaire criminelle qui fut successivement portée au Châtelet et au Parlementa et qui fut terminée par un arrêt du 7 avril 1395 . Elle a été mentionnée dans un remarquable opuscule anonyme de 1754, intitulé, Lettres historiques sur les fonctions essentielles du Parlement, que l’on sait être de Lepaige ; mais elle n’a été citée, à notre connaissance, malgré son importance, par aucun autre auteur. Nous y apprenons que l’appel n’était pas reçu, en matière criminelle, dans le procès extraordinaire, Voici quel est, en substance, le débat à la suite duquel Jean Lecoq est amené à formuler ce principe.

Plusieurs juifs avaient déterminé, par des dons d’argent, un des leurs, nouveau converti, à retourner au judaïsme dans le but de lui faire abandonner une contestation qu’il avait engagée contre eux en justice. Le prévôt de Paris leur fit faire leur procès par la voie extraordinaire. Il obtint d’eux des aveux et les condamna, par l’avis de son conseil, à la peine du feu. Cette sentence parut, malgré la rigueur du temps, d’une sévérité excessive. Le prévôt en eut lui-même le sentiment; car il demanda au parlement, avant de la prononcer, s’il devrait déférer à l’appel, dans le cas où les condamnés se pourvoiraient contre elle. Le parlement fut d’avis qu’il sursît, en ce cas, à l’exécution de la sentence; et les condamnés ayant effectivement interjeté appel, il jugea l’affaire à nouveau et substitua à la peine capitale, prononcée par les premiers juges, la fustigation et l’amende. Mais cet arrêt fut rendu avec des réserves caractéristiques. Le prévôt de Paris avait demandé ce qu’il devrait faire en cas d’appel, parce que, dit Jean Lecoq, il n’était pas d’usage de déférer à l’appel d’une sentence donnée dans le procès extraordinaire, «non est con-

» suetum quod deferatur appellationi factæ a sententia lata

» in processu extraordinario;» et le procureur du roi au parlement conclut, non pas, à proprement parler, à la réformation de la première sentence; il demanda à la cour, de ne pas dire qu’il avait été bien appelé et mal jugé, mais de statuer à nouveau, en annulant l’appel, avec la sentence, afin que l’arrêt ne fournît pas un prétexte pour appeler des cas semblables à l’avenir, «ne daretur occasio appellandi a sententiis

» datis in processibus extraordinariis, si prononciaretur bene

» appellatum et male sententiatum.»

Le texte même de cet arrêt ne figure pas dans les registres du parlement; nous l’y avons du moins recherché sans succès. Mais Jean Lecoq nous apprend qu’il prit une part importante aux débats qui le préparèrent, en sorte qu’on ne saurait douter de la fidélité de ses souvenirs. Nous avons d’ailleurs retrouvé, à défaut de l’arrêt, les plaidoieries sur le fond, ainsi que deux incidents . L’avocat des juifs expose, dans une longue discussion, le fait et les moyens de défense de chacun des accusés . Il rappelle qu’ils ont tous été mis à la question, par le prévôt de Paris, à diverses reprises, et menacés de voir renouveler cette épreuve autant de fois qu’il serait nécessaire pour obtenir la confession de leur crime. Il soutient qu’il n’y avait pas lieu à l’application de la question, et que les faits n’étaient pas de nature à entraîner une peine aussi rigoureuse que la peine capitale. Il ne reproduit pas, il est vrai, les considérations par lesquelles Lecoq explique la réception exceptionnelle de l’appel dans cette affaire. Mais le résumé des conclusions du procureur du roi qui suit cette plaidoierie, est en parfait accord, par les réserves qu’il contient, avec la signification donnée à l’arrêt par cet ancien jurisconsulte. L’officier du roi se réfère évidemment au débat signalé par Lecoq; il déclare qu’il ne s’oppose pas à la réformation de la sentence, mais il ajoute qu’il n’en veut pas dire davantage, de crainte d’ouvrir aux condamnés, dans l’avenir, une voie de recours qui ne serait pas convenable. «Le procureur du roy dit qu’il lui semble qu’il ne doit

» aucune chose dire ou proposer en ceste matière, oultre le

» contenu au procès sur ce fait, lequel il a veu au long, et se

» rapporte à la court en ce qui touche le roy en ceste ma-

» tière. Et lui samble qu’il n’en doit autre chose dire, car ce

» serait ouvrir une voye qui n’est pas bien convenable. Et se

» la court veult mettre l’appellation au néant et reffourmer

» la sentence, il lui samble que ce serait bon. Et s’en rapporte

» à la court .»

Il résulte de là qu’en principe, l’appel des sentences pénales n’était pas reçu, du moins à Paris, à la fin du XIVe siècle, dans les affaires poursuivies selon les formes du procès extraordinaire, c’est-à-dire par la voie de la question . Le registre du Châtelet, qui se rapporte précisément à la même époque, confirme cette règle; car il ne contient aucun appel de cette espèce; mais il nous montre, en même temps, qu’on pouvait appeler du jugement qui ordonnait la question. Ce registre mentionne, en effet, plusieurs appels semblables, auxquels le prévôt défère invariablement, en suspendant l’exécution de son jugement. Dès que le condamné a formulé verbalement son recours, ce magistrat fait informer le Parlement qui envoie un ou plusieurs délégués au Châtelet, pour entendre les motifs de l’appelant; les délégués font ensuite leur rapport à la cour qui en délibère, et reviennent faire connaître sa décision . Ce registre ne contient qu’un seul appel d’une sentence pénale; mais bien qu’il s’agisse d’une affaire d’une extrême gravité, et d’une condamnation au feu, le procès avait été poursuivi par la voie ordinaire, sans aucun emploi de la question .

Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris

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