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III

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On ignore l’époque précise à laquelle la question fit son apparition dans notre procédure criminelle. Bien que Beaumanoir et les Etablissements de Saint-Louis ne la mentionnent pas, nous savons, par une ordonnance de 1254, qu’elle était en usage, au moins dans le Languedoc, vers le milieu du XIIIe siècle. Deux ordonnances de 1314 et 1315 nous montrent qu’elle était appliquée, à cette époque, en Champagne et en Normandie; mais nous allons rencontrer ici même des preuves certaines de son usage à Paris, antérieurement à cette époque .

Nous en avons un exemple formel à Saint-Germain-des Prés, au commencement du XIVe siècle, en 1304; et nous rencontrons, dès avant cette époque, quelques mentions qui peuvent en faire présumer l’usage . Une notice du registre de Sainte-Geneviève, de l’année 1300, constate qu’un voleur a reconnu les larcins qui lui étaient imputés, devant tous et sans contrainte. En 1291, à Saint-Germain, un meurtrier confesse son crime, devant bonnes genz, sanz coaction. Une autre mention semblable nous fait remonter encore plusieurs années. Les juges de Wissant, en transmettant à ceux de Sainte-Geneviève les résultats d’un procès fait à un meurtrier, en 1276, rapportent qu’il a fait l’aveu du meurtre, spontanément et sans contrainte, «spontaneus, non coactus, recognoverat quod dictum factum perpetraverat». Le registre de Saint-Martin explique clairement le sens de cette formule en l’employant à son tour, à propos d’un enfant, dontil est dit qu’il fitsa confession, sans contrainte ou espoventement de gehine.

Le cas de 1304 démontre d’ailleurs que la question devait être déjà d’un fréquent usage, car elle est appliquée à un fait assez vulgaire. Il s’agit d’un vol commis au Pré-aux-Clercs, par deux malfaiteurs, sur un homme ivre pendant son sommeil. Les deux voleurs avaient pris la fuite en jetant à leur victime de la poudre aux yeux, afin de n’être pas reconnus; mais ils furent découverts, grâce à un chaperon que l’un d’eux avait laissé tomber dans sa fuite. Ils furent mis à la question, firent des aveux et furent pendus au gibet de l’abbaye. «L’an

» mil CCCIIII, le jour de la bénédicion du Lendit, au vespre

» donnez, se coucha et endormi audit pré, Hamonnet d’Ortay

» qui estoit las et bien abuvré. Là vindrent Bertelot le Tuillié

» et Maciot dit le Geolier, et despolirent ledit Hamonnet et le

» lessierent en chemise et lui ostèrent son argent et tout ce.

» qu’il avoit et ly gettèrent de la pouldre es yeux, qu’il ne les

» congneust; et s’enfuyrent. Et demoura en la place le chap-

» peron d’un des maufaiteurs...... Item, assez tost après,

» par les enseignes dudit chapperon qui avoit esté audit Ber-

» thelot, fu pris ledit Berthelot pour suppeçon et ledit Maciot

» pour le larcin dessus dit fait audit pré. Et furent mis à

» question, et congneurent qu’il avoit fait ledit larcin audit

» pré. Et pour ce cas, furent pendu au gibet de Saint-Germain-

» des-Prez.»

Le registre de Sainte-Geneviève nous fournit un second cas, qui est de beaucoup postérieur à celui-là, mais qui nous donne des renseignements plus complets sur la procédure au cours de laquelle la question fut administrée.

Guillaume de Morainville et Jeanne, sa femme, hôtes de l’abbaye à Nanterre, avaient été au service de Michel de Bourgmale, ancien prieur de cette ville. La rumeur publique les accusa d’avoir commis des vols importants au préjudice de leur maître. Le maire des religieux ouvrit une information à la suite de laquelle il les fit conduire en prison. On procéda à la saisie et à l’inventaire de leurs biens qui amenèrent la découverte de plusieurs objets ayant appartenu au prieur. La femme, interrogée à diverses reprises, confessa en présence de personnes dignes de foi et de son mari lui-même, qu’elle avait, soit seule, soit avec l’assistance de ce dernier, commis les vols qui lui étaient reprochés. Le mari, au contraire, refusa de reconnaître sa culpabilité, et comme il persistait énergiquement dans ses dénégations, il fut mis à la question. Les accusés interjetèrent appel de cette procédure devant le Parlement. Ils exposèrent qu’ils étaient placés sous la sauvegarde royale, qu’ils avaient été arrêtés sans droit, jetés et retenus en prison, pendant vingt-six semaines, sans information préalable, et dépouillés, sans inventaire, de lears biens. Ils ajoutèrent que le maire, son conseiller, et d’autres officiers de justice de l’abbaye, sans leur ouvrir la voie de l’enquête, avaient soumis Guillaume à une si cruelle torture qu’il en était devenu impotent. «Premissis que non contenti, prefati

» Johannes de Stratis et Johannes Fiqueti, et alii eorum com-

» plices plerique, posuerunt prefatum Guillelmum in variis

» questionibus et tormentis adeo gravibus quod idem Guil-

» lelmus, ob hoc, fuerat inhabilis et impotens de corpore

» suo et in tali statu quod nunquam se juvaret de membris

» suis, sicut ante faciebat.»

Ils concluaient, en conséquence, à ce que les religieux fussent condamnés à la perte de leur justice, à Nanterre, pendant la vie de l’abbé et du prieur alors en fonctions, à une amende de 10,000 livres, garantie parla saisie de leur temporel et à 200 livres de dommages et intérêts; ils demandaient, en outre, à être, dans tous les cas, affranchis personnellement de la juridiction de l’abbaye. Les religieux répondirent par le récit des faits relevés à la charge des accusés, et présentèrent relativement à l’emploi de la question une défense qu’il importe de reproduire. Ils déclarèrent qu’ils n’avaient pas appliqué sérieusement Guillaume de Morainville à la question, mais ils revendiquèrent en même temps le droit que la coutume de l’a vicomté de Paris leur donnait de l’y soumettre. En fait, ils soutenaient que, loin de lui avoir fait endurer les tourments dont il se plaignait, ils l’avaient seulement lié à la question, et qu’ils s’étaient empressés de le délier, dès que la crainte de voir pousser plus loin contre lui l’emploi de ce moyen de conviction, l’avait engagé à réclamer l’enquête, qu’il avait jusqu’alors obstinément refusée. «Licet, premissis

» consideratis et attentis, licitum esset, de consuetudine vice-

» comitatus Parisiensis, prefatum Guillemum, maritum, sub-

» jicere questionibus vel tormentis, nunquam tamen fuerat

» idem Guillelmus graviter, seu usque ad aliquam corporis

» et membrorum lesionem, questionatus, sed duntaxat inter-

» dum ligatus, recusans semper se subjicere uxoris sue rela-

» tioni, vel inqueste, nisi demum confactus fuit sibi timor

» seu apparencia questionandi eumdem qui, postquam inques-

» tam requisivierit, statim solutus fuerat vinculis questio-

» num .» Le Parlement donna gain de cause aux officiers de l’abbaye et ordonna de réintégrer les accusés dans les prisons des religieux pour que la justice suivît son cours à leur égard.

On remarquera, dans cette affaire, le soin que prennent les juges, tout en affirmant leur droit, de justifier l’usage qu’ils en ont fait. C’est qu’en effet l’application de la question fut soumise, à l’origine, à des conditions qui durent être d’abord assez exactement observées. On ne passa pas, sans doute, sans transition, du non-usage de ce moyen de preuve, à l’application arbitraire et constante que nous observons à la fin du XIVe siècle. On ne devait appliquer la question, en principe, que sur des indices graves, après une information préalable, et lorsque le prisonnier refusait l’enquête qui lui était offerte . Il semblait, en effet, que l’emploi de cette voie extraordinaire devînt alors plus légitime, puisque l’accusé se dérobait aux moyens réguliers de preuve; mais la pratique s’affranchit bientôt de ces entraves. Bouteiller nous rappelle encore que le prisonnier qui s’est mis en enquête est exonéré de la question; mais il refuse implicitement le bénéfice de cette procédure aux accusés des crimes les plus graves, car il enseigne plus loin, à propos de la purge, que ces crimes doivent être poursuivis exclusivement par la voie extraordinaire. «Si peux et dois sçavoir qu’ils sont plusieurs cas qui ne sont à recevoir en purge, si comme meurdres, arsin de maison, enforceurs de femmes, desrobeurs de gens en chemin que les clercs appellent depredalores populorum, trahitre, hérèse, bougre, tels ne sont à recevoir à loy de purge...., car puisque l’homme est mis à purge, jamais on ne le peut mettre qu’en procès ordinaire, et les cas dessusdits doivent estre mis en procès extraordinaire .» Le Grand Coutumier ne s’arrête même plus à cette distinction, et il proclame le pouvoir arbitraire du juge de choisir, dans chaque cas, la voie qui lui paraît la plus convenable. «Tessier, greffier de Parlement, » tient, par l’opinion de messeigneurs de Parlement, que se » ung homme est accusé d’aucuns cas criminels, le juge » peut eslire laquelle voie qu’il lui plaist, ou l’ordinaire, ou » l’extraordinaire .» L’usage de la question se généralisa, en effet, très rapidement. Dès la fin du XIVe siècle, elle est appliquée dans la plupart des affaires criminelles de quelque gravité. Le registre du Châtelet nous la montre déjà dans son plein développement. Elle y est donnée à la plupart des accusés. On n’y soumet pas seulement le prisonnier qui refuse de reconnaître le crime qui lui est imputé, on l’applique encore à celui-là même qui a fait des aveux, pour obtenir la confession des autres crimes qu’il pourrait avoir commis . On la renouvelle parfois jusqu’à quatre et cinq fois . La mauvaise renommée de l’accusé, les moindres variations dans les nombreux interrogatoires qu’on lui fait subir, ses contradictions les plus légères suffisent pour l’exposer à cette redoutable épreuve . Entièrement abandonnée désormais au pouvoir discrétionnaire du juge, elle est, dans la plupart des cas, une des phases nécessaires du procès, et elle constitue souvent, à vrai dire, à elle seule, toute la procédure.

Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris

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