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Table des matières

Les justices de Paris procédèrent généralement d’anciennes immunités. Les titres de fondation antérieurs au XIIIe siècle contiennent, la plupart, sous une assez grande variété de formules, les principales clauses usitées dans la concession de ces domaines privilégiés . Les titres postérieurs mentionnent plus particulièrement les droits qui constituaient alors la haute justice; mais ils sont presque toujours rattachés, expressément ou tacitement, à des chartes antérieures d’immunité comme contenant la consécration de droits anciens dont la possession est continuée et qui auraient seulement changé de nom. On observera cette intéressante transition dans un grand nombre des actes que nous rapporterons par la suite.

Le premier des titres de fondation de l’abbaye de Saint-Magloire, qui est de l’année 980, reproduit, sauf quelques variantes sans importance, le texte même de la formule classique d’immunité, contenue dans le recueil de Marculphe . Il interdit à toute personne étrangère de pénétrer dans les terres de l’abbaye, soit pour y tenir des plaids, «ad causas audiendas », soit pour y imposer les peines pécuniaires usitées pour la réparation des crimes, ou des contributions quelconques,

«aut freda aut tributa exigenda», soit pour y choisir les fidéjusseurs qu’il était dans l’usage de donner pour garantir la représentation des accusés en justice, «vel fidejussores tol-

» lendos», soit enfin pour exercer aucune contrainte contre les habitants, tant libres que serfs, de ces terres, «aut homi-

» nes ejusdem ecclesie, tam ingenuos quam servos, super ter-

» ram ipsorum dominantes injuste distringendos.» La seconde charte, donnée à l’abbaye par le roi Louis le Jeune en 1159 , contient une formule nouvelle qui se rapporte manifestement aux droits qui constituaient la haute justice, bien qu’elle ne fasse que confirmer la charte précédente, dont elle reproduit même, en partie, la formule. «Ita ut ab

» hincnullus, in his, viariam, sanguinem , furtum, bannum,

» justiliam, aliquam consuetudinem et redhibitionem habeat

» vel exquirat, nec audeat aliquis homines, tam ingenuos

» quam servos, super terram ecclesie habitantes capere aut

» fidejussores tollere» .

On remarquera dans tous ces titres, et jusque dans les plus récents, une confusion à peu près complète entre les redevances de toute nature et les droits de justice proprement dits. Tous ces droits sont énumérés ensemble, sous des dénominations diverses, et sans aucun ordre, comme s’ils avaient tous la même valeur. C’est qu’en effet, les droits de justice n’étaient alors considérés que comme des droits utiles, susceptibles d’appropriation au même titre que tous les autres, et la transmission de la juridiction sur les habitants d’une terre ne paraissait pas être de plus de conséquence que la cession de telle ou telle redevance fiscale importante. Nous voyons, dans le registre de Saint-Maur-des-Fossés, l’abbaye de ce nom invoquer, comme le fondement de sa haute justice, la clause générale de sa charte d’immunité par laquelle il lui était fait attribution, dans ses terres, de tout ce que le domaine royal y pouvait prétendre, «quicquid fiscus exigere aut

» sperare poterat» . On confondait entièrement les droits de propriété et ceux que nous considérons aujourd’hui comme se rattachant à la souveraineté ; et cette confusion, qui fut l’un des caractères distinctifs du régime féodal, commença à se réaliser dans l’immunité . C’est là ce qui explique, et l’appropriation des droits de justice et les transactions de toute sorte dont ces droits sont l’objet dans un nombre infini de titres. Ils pouvaient être cédés, échangés, morcelés, comme la propriété elle-même.

La période de formation des territoires d’immunités de Paris, commence, au VIe siècle, avec la fondation des abbayes de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain des-Prés, et s’arrête à la fin du XIIe. Toutes ces fondations furent inspirées par la dévotion des donateurs à l’Eglise, et l’espoir de gagner les grâces spirituelles dont elle disposait à leurs yeux. La crainte des peines éternelles, le rachat des péchés, le salut de l’âme du donateur, la conservation de précieuses reliques, l’érection d’une sépulture, tels sont les pieux mobiles qui remplissent les préambules de la plupart des chartes de fondation. La prise de possession, par l’Église, de la propriété territoriale, avec les principaux attributs de la souveraineté, par le moyen de donations pieuses, fut d’ailleurs générale dans tout le cours de cette période, et tous les cartulaires sont remplis de libéralités semblables faites par les rois, les princes et les plus puissants seigneurs .

Les églises, si richement dotées, eurent à traverser des temps difficiles et durent soutenir de longues luttes pour conserver leurs privilèges et leurs biens. Celles de Paris n’échappèrent pas à ces dangers. Toutes celles qui n’étaient pas renfermées dans la Cité furent, à diverses reprises, ravagées, pillées et brûlées par les Normands. Elles eurent aussi, sans doute, des ennemis intérieurs; et, au déclin de la seconde race, et dans les temps troublés qui précédèrent l’avènement définitif du régime féodal, plusieurs d’entre elles, ou tout au moins les plus petites et les plus faibles, durent être plus d’une fois envahies et dépouillées ; mais elles surent attendre l’occasion de rentrer dans la possession de leurs biens.

Les premiers Capétiens favorisèrent ces restitutions et ajoutèrent encore des fondations nouvelles à celles de leurs prédécesseurs. Hugues-Capet fonda et dota Saint-Magloire; Henri Ier, Saint-Martin-des-Champs; Louis le Gros, Saint-Victor. Mais, à partir de Philippe-Auguste, la période de fondation de ces grandes seigneuries est close.

Elles étaient déjà trop étendues pour ne pas alarmer les officiers royaux dont l’action se trouvait ainsi restreinte à un assez étroit domaine. L’importance des droits de justice commençait d’ailleurs à être mieux comprise. Aussi voyons-nous, dès ce moment, un mouvement inverse de celui qui avait amené les fondations précédentes. Non seulement le roi ne créa plus de seigneuries nouvelles, mais il s’efforça de réduire le territoire, ou l’étendue des droits de celles qui existaient. Philippe-Auguste profita de la construction de la nouvelle enceinte, qui enfermait dans la ville une partie des seigneuries de la rive droite, pour obtenir de leurs possesseurs de larges concessions. L’évêque de Paris dut abandonner ses droits sur l’emplacement où s’éleva la Tour du Louvre, et sur la portion des Champeaux où les Halles furent établies; il céda également, par voie d’échange, son fief du Monceau Saint-Gervais; il consentit enfin, par l’accord de 12 22, qui ratifia ces cessions, à laisser au roi le meurtre et le rapt dans toute l’étendue de sa vaste seigneurie. L’église de Saint-Merri perdit toute sa haute justice, sauf dans l’intérieur de son cloître, par un accord de 1273. Le Temple abandonna également la sienne, par un accord de 1273, sur toute la partie de sa seigneurie comprise dans les murs de la ville. Les seigneuries de la rive gauche restèrent à peu près intactes; mais l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés dut faire elle-même confirmer ses droits, par un accord de 1272.

Nous n’avons pas de documents spéciaux, pour le temps où les seigneuries de Paris constituaient des immunités proprement dites. Nous ne pouvons que nous référer, à cet égard, aux renseignements que l’histoire du droit nous fournit sur le régime des immunités en général . Mais nous avons une source abondante d’informations dans plusieurs Registres, ou mémoriaux de justice, des XIIIe et XIVe siècles, des abbayes de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève et du prieuré de Saint-Martin-des-Champs . Nous les publions, à peu près en entier, avec un registre semblable d’une autre abbaye, voisine de Paris, celle de Saint-Maur-des-Fossés . Ces documents sont, il est vrai, peu étendus; mais ils sont précieux par leur date; car ils sont antérieurs aux plus anciens registres connus du Châtelet de Paris et nous font remonter à une époque contemporaine des premiers registres du Parlement. Ils rapportent, sous la forme de courtes notices, un nombre considérable de faits et nous font pénétrer dans la pratique journalière des justices seigneuriales à l’époque de leur plein développement. Ils nous fournissent des renseignements intéressants sur la pénalité, la compétence, l’organisation des cours seigneuriales, la procédure, le duel, l’usage de la question. Nous leur ferons d’assez fréquents emprunts, dans les chapitres qui suivent, pour qu’il convienne de fixer la date de chacun d’eux et d’en donner une description sommaire.

Le Cartulaire de Saint-Maur, qui contient les cas de justice de cette abbaye, est désigné sous le nom de Livre Noir . Il a été connu de l’abbé Lebeuf, et de Du Cange, qui lui ont fait quelques emprunts . C’est un beau manuscrit in-quarto, sur parchemin, du XIIIe siècle. Il se divise en deux parties. La première reproduit des chartes et des bulles pontificales intéressant l’abbaye. La seconde contient, avec l’énumération des possessions, cens, rentes, et redevances de toute nature, qui appartenaient à ce monastère, la relation des principaux cas de justice, casus justiciabiles. Toutes les terres de l’abbaye, à commencer par la ville des Fossés, villa Fossatensis, y sont énumérées méthodiquement, et leurs cas de justice sont classés sous une rubrique séparée .

Ces cas ne portent généralement pas de date. Ils sont reproduits d’après les souvenirs de témoins oculaires; et comme on a dû faire appel aux souvenirs les plus anciens, on comprend que les dates n’aient été qu’exceptionnellement précisées. Mais le préambule nous fournit, à cet égard, des indications suffisantes: il y est dit que l’abbé Pierre a fait dresser ce mémorial, en 1273, et qu’il y a fait inscrire les cas de justice de son église, depuis soixante ans passés, et au delà, tels qu’ils ont été établis par une enquête faite dans toutes les villes qui en dépendent, «omnes casus justicia-

» biles à quibus dicta ecclesia usa est, à lx annis et citra;

» prout invenitur per diligentem inquestam per omnes villas

» factam.» Ce document nous fournit donc des actes dont quelques-uns remontent au moins à l’année 1213, et dont la plupart doivent être antérieurs à 1273. Les actes datés, qui sont, à quelques exceptions près, postérieurs à cette dernière année, ont été ajoutés ou intercalés. Nous y relevons diverses dates disséminées, et séparées souvent par de longs intervalles, qui s’étendent jusqu’à 1299, et une date isolée de 1305. La plupart des notices sont rédigées en latin.

Le registre de Sainte-Geneviève est conservé dans la collection des manuscrits de la bibliothèque Sainte-Geneviève . Il a été connu, comme le précédent, de l’abbé Lebeuf qui le cite, sous le titre de Liber justitix Sanctæ Genovefæ ; de Sauval, qui en rapporte deux cas; et des continuateurs du glossaire de Du Cange qui lui donnent le titre de Consuetudines Sanctæ Genovefæ . Les cas de justice de Paris, du faubourg Saint-Médard et des seigneuries hors Paris y sont inscrits sous des rubriques distinctes . La plupart des affaires sont de la seconde moitié du XIIIe siècle; trois seulement remontent à 1246, 1238, et 1204 à 1205. Les plus récentes ne descendent guère au delà de 1300 à 1305. L’ordre des dates n’est nulle part observé. On a dû se servir, pour la rédaction, soit de relations orales, soit de pièces anciennes qu’on transcrivait dans l’ordre où on les retrouvait. Quelques affaires sont transcrites en latin. La date précise de la rédaction du Registre n’est marquée nulle part, et nous n’avons relevé aucune mention qui puisse la fixer avec certitude; la comparaison des notices nous porterait à croire cependant qu’elle remonte aux années 1302 à 1303.

De nombreux documents de diverse nature ont été transcrits sur des folios qui avaient été laissés en blanc dans tout le corps du registre. Ce sont, indépendamment des cas de justice proprement dits, des arrêts du parlement, des ordonnances royales, des ordonnances et règlements de l’abbé ou de ses officiers .

Le registre de Saint-Germain-des-Prés est un petit in-octavo, sur parchemin, de soixante-dix-sept feuillets . Les cas de justice commencent au f° 7, et finissent au 47e. Des copies de titres remplissent les folios 1 à 7; les derniers, 49 et suivants, contiennent les comptes de recettes de la pitancerie, le 1476 à 1477.

Le registre de justice est lui-même divisé en plusieurs articles qui correspondent à Paris, au bourg Saint-Germain, et aux principales seigneuries de l’abbaye hors de Paris . Le nom de chaque seigneurie est inscrit, en tête de l’article correspondant, en lettres, majuscules rouges et bleues. Sous chacun des articles sont transcrits, d’une écriture uniforme et régulière, les premiers cas de justice; ils commencent généralement vers l’année 1272. A partir des années 1230 à 1286, prennent place des additions de différentes mains qui sont parfois elles-mêmes sous une rubrique spéciale. Ce registre a dû être commencé peu de temps après l’accord conclu avec le roi, en 1272,pour fixer les limites du territoire des religieux dans l’intérieur de Paris. C’est là d’ailleurs ce qu’indique suffisamment le sous-titre du premier article, «Les cas qui son avenu à Paris, puis la pes faite». Quelques affaires, dont la plus ancienne remonte à l’année 1230, sont antérieures à cette date; mais elles sont en très petit nombre. Les notices se suivent assez régulièrement jusqu’à la fin du XIIIe siècle, et pendant les premières années du siècle suivant. A partir de 1308, on ne trouve guère que des notices isolées ajoutées après coup, dont la plus récente se place à une date indéterminé postérieure à l’année 1400.

Le registre de Saint-Martin est conservé aux Archives nationales, dans la collection des documents précieux qui composent le Musée . Il est signalé par M. Cocheris, dans ses excellentes Notes et Additions sur l’Histoire de Paris de l’abbé L beuf, qui donnent l’inventaire le plus complet des richesses manuscrites que nous ont transmises les anciennes églises ou communautés monastiques. C’est un grand in-quarto, sur papier, composé de soixante-quatre feuillets. Les folios 1 et 50 à 64 contiennent des additions étrangères à la justice du prieuré. Ce registre embrasse une période de vingt-cinq ans, du 22 mars 1332, au 4 juillet 1357. Mais il y a de nombreuses ses lacunes. Les années 1344, 1347, 1348, 1354 et 1350 manquent complètement; d’autres, telles que les années 1334, 1335, 1349 à 1353, 1355 et 1357, ne sont représentées que par quelques mentions isolées. Le registre fut d’abord tenu, jour par jour, comme on le voit par les premiers feuillets, qui contiennent l’indication de tous les jours de la semaine, en y comprenant même ceux auxquels ne se rapportait aucun exploit de justice. Mais on se départit bientôt de cette régularité. Les années furent plus ou moins bien remplies selon le zèle et l’exactitude du copiste. On verra qu’un grand nombre d’entre elles sont complètes, que tous les mois y figurent, et que les affaires se suivent, sans interruption. C’est dans les quatorze dernières années qu’on remarque le plus d’interversions et de lacunes; cette période n’est, en réalité, qu’indiquée par quelques rares mentions.

Le folio 2 est consacré à la justice de Noisy; ses notices ne sont pas datées. Elles peuvent, cependant, être considérées comme les plus anciennes. Le clerc qui les a recueillies n’a eu évidemment pour but que de fixer, dans une énumération sommaire, les cas de justice les plus notables dont on eût gardé le souvenir dans cette importante possession du prieuré .

Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris

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