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Disséminées sur tout le territoire de la ville, ces terres en occupaient, à vrai dire, la plus grande partie, sur la rive gauche de la Seine, la rive droite, et au cœur même de la Cité .

Le domaine du roi était encore considérable, parce qu’il comprenait tout ce qui n’était pas approprié aux églises, et la plupart des voies publiques qui séparaient leurs domaines; mais il était très morcelé, et il n’égalait pas en étendue, tout compte fait, l’ensemble des seigneuries particulières. On a peine à se figurer aujourd’hui cette extrême division de la propriété féodale. Il faut suivre, avec les titres, sur les anciens plans, cet enchevêtrement de seigneuries, dont les territoires, tantôt compacts, tantôt épars, divisaient si capricieusement le sol de la ville, comprenant, ici un groupe de rues, une rue. une portion de rue, là un groupe de maisons, une maison, ou même une portion de maison. On ne peut s’en rendre bien compte qu’en consultant les plans partiels conservés aux Archives nationales .

Jaillot, dans la préface de son Histoire topographique de Paris, s’excuse de ne pas avoir délimité ces seigneuries dans ses plans; il a reculé devant la difficulté de la tâche. Il aurait voulu, pour mettre fin aux différends que cet état de choses engendrait, qu’on bornât exactement toutes les censives, lors de la division de la ville en vingt quartiers en 1702, ou même qu’on limitât, par certaines rues, les plus importantes, et qu’un y réunît les petites enclaves en indemnisant, par voie d’échange ou de toute autre manière, les seigneurs dépossédés .

Les grandes seigneuries étaient toutes entre les mains de l’évêque et des communautés ecclésiastiques. Des laïques avaient possédé, depuis l’établissement du régime féodal, quelques seigneuries investies des droits de justice dans la ville ou sa banlieue et dans le voisinage même de la cité ; on en verra des exemples dans le cours de cette étude. Mais ces terres, qui n’avaient pas d’ailleurs une grande étendue, furent réunies de bonne heure, par voie de donation, d’échange ou par tout autre mode d’acquisition, soit aux seigneuries plus vastes possédées par les ecclésiastiques, soit au domaine du roi.

Les hautes justices qui étaient entre les mains du clergé régulier ou séculier, subsistèrent seules. Mais il importe de remarquer qu’elles ne différaient nullement de celles qui appartenaient ailleurs aux seigneurs laïques et qu’elles n’avaient rien de commun avec les justices ecclésiastiques proprement dites, ou officialités. C’est en tant que seigneurs temporels, et à raison de leur domaine féodal, que l’évêque, les ordres monastiques ou les églises de Paris en avaient l’exercice. Alors même qu’un seigneur ecclésiastique réunissait, comme l’évêque, en sa personne, la juridiction spirituelle à raison de sa dignité, et une juridiction temporelle à raison de son domaine, aucune confusion ne s’établissait entre elles. Ni leur composition, ni leur compétence, ni leur procédure, ni les peines qu’elles appliquaient, n’étaient semblables, et elles revendiquaient leurs justiciables, l’une vis-à-vis de l’autre, comme des juridictions entièrement étrangères .

Les terres d’église ont joué un rôle considérable dans la formation du vieux Paris. Le nombre de leurs habitants s’accroissait rapidement; les seigneurs ne manquaient pas de faire aux nouveaux venus tous les avantages propres à les attirer et à les retenir. Chaque hôte nouveau recevait un terrain à bâtir, une échoppe à tenir, une portion de terrain à faire valoir moyennant un cens déterminé ; c’était un nouvel habitant, un nouveau censitaire, un justiciable de plus. Peu à peu, la terre se défrichait, puis elle se bâtissait; une maison s’ajoutait à une autre, une rue se formait, un groupe se dessinait, un petit bourg s’élevait. Il n’est pas douteux que les abbayes et les autres communautés religieuses n’aient été des agents de la plus grande importance dans l’agrandissement de la Ville. Ce sont les bourgs formés autour de leurs églises ou de leurs cloîtres qui, envahissant progressivement les cultures, ont formé autour de la Cité, en se reliant entre eux et avec ceux de la terre du roi, cette nouvelle ville dont Philippe-Auguste et Charles V furent obligés de reculer successivement l’enceinte . Renfermées dans les murs, les terres d’église ne perdirent pas leur autonomie; et leurs habitants continuèrent à recevoir des juges seigneuriaux l’entière distribution de la justice civile et criminelle.

Les Chroniques de Saint-Denis contiennent un curieux passage qui s’applique sans doute à ces seigneuries pour une bonne part; c est un parallèle entre les terres du roi et celles des seigneurs, entre les plaids royaux et les plaids seigneuriaux, au commencement du règne de saint Louis, dans la prévôté de Paris. Elles rapportent que, la prévôté étant alors vendue à prix d’argent, les prévôts en exercice soutenaient, en toutes sortes de mauvais cas, leurs parents, leurs enfants, et tous les hommes assez riches pour payer leur impunité ; de telle sorte que le menu peuple, n’obtenant pas justice, abandonnait la terre du roi pour s’établir sur celles des seigneurs, et que les plaids du prévôt étaient presque déserts:

«Par les grans rapines qui estoient fetes en la prévosté, le

» menu peuple n’osoit demourer en la terre le roy; ainçois

» demouroit ès autres seignorez, si que la terre le roy estoit

» si vague que quant le prévost tenoit ses plez, il i venoit si

» poi de gent que le prevost estoit sans oïr personne nulle qui se

» vosist présenter devant lui.» C’est alors que saint Louis décida que la charge de prévôt ne serait plus vendue et résolut de la confier, avec de bons gages, à un homme qui fît «bonne et roide justice.» On lui désigna Étienne Boileau. Le nouveau prévôt justifia ce choix au delà de toute mesure. Il fit pendre, rapporte la Chronique, son propre filleul, parce qu’on lui dit qu’il ne pouvait s’empêcher de voler, et son compère, parce qu’il renia un dépôt. Enfin, il exerça, de telle sorte, sa terrible justice, que les malfaiteurs de toute espèce évacuèrent la ville, et que «nul n’i demoura qui tantost ne feust penduz ou destruit». Le peuple reprit alors confiance et revint à la terre du roi. «Et pour le bon droit que le prévost fesoit, le peuple lessoit les autres seignorez pour demourer en la terre le roy .»

Les documents historiques mentionnent plus d’une fois nos justices; mais ces institutions ne peuvent être reconstituées qu’avec les actes inédits de nos archives publiques. C’est dans le champ, si remué cependant de l’histoire de Paris, une des rares parcelles encore inexplorées. Les historiens de Paris nous fournissent, il est vrai, quelques renseignements intéressants sur plusieurs d’entre elles; mais ils ne s’en occupent que d’une manière incidente et ils n’en donnent même pas la nomenclature exacte. Parmi les jurisconsultes, quelques-uns seulement nous en révèlent l’existence, en citant, par occasion, quelques-unes d’entre elles dans la discussion générale des questions relatives aux droits seigneuriaux. Bacquet est celui de tous qui a fait le plus grand usage des décisions qui les concernent . Mais il ne faut pas chercher dans les écrits des jurisconsultes des siècles derniers, une étude impartiale des justices seigneuriales. La plupart d’entre eux ne songeaient qu’à les combattre, en sorte qu’ils étaient bien plus disposés à les travestir qu’à en reconnaître les véritables origines .

Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris

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