Читать книгу Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris - Louis Tanon - Страница 38
I
ОглавлениеLe prévôt de Paris attirait à lui leurs justiciables. Il n’était pas parvenu à se faire attribuer à Paris, comme en d’autres lieux, la prévention pure et simple, mais il y exerçait la prévention à charge de renvoi . Cette sorte de prévention ne désarmait pas, il est vrai, les seigneurs comme la première; elle leur laissait, en principe, l’exercice entier de leur juridiction, puisqu’elle leur permettait d’y ramener, par une simple revendication, les justiciables qui en avaient été distraits. Mais elle n’en était pas moins une atteinte sérieuse à leurs droits, puisqu’elle légitimait tous les actes d’immixtion dans leurs justices, et qu’elle les obligeait à soulever, chaque fois, un conflit pour repousser cette ingérence. Ces entreprises n’étaient pas nouvelles, et nos registres des XIIIe et XIVe siècles sont déjà remplis des conflits journaliers de juridiction auxquels elles donnaient lieu. Il faut reconnaître d’ailleurs qu’elles étaient favorisées singulièrement par la multiplicité et la confusion des territoires des justices privées, et par la difficulté de reconnaître exactement leurs limites respectives à travers les transformations incessantes de la ville.
Le Parlement ne refusait pas son appui aux seigneurs, mais cet appui n’était pas suffisamment efficace, car les arrêts se bornaient à faire cesser l’abus, dans chaque cas particulier, sans prendre aucune mesure générale pour en prévenir le retour. Les gens du Châtelet étaient bien condamnés à rendre au seigneur la connaissance du cas en litige, avec une certaine solennité, ou à opérer, lorsqu’on se trouvait en présence d’un fait accompli, une restitution symbolique. Mais ce n’était là que le strict redressement du tort fait au seigneur, dans l’espèce particulière; ce n’était pas une réparation capable de réprimer, pour l’avenir, des usurpations nouvelles.
Les principaux seigneurs de Paris, riches, puissants et animés de l’esprit de conservation et de suite qui caractérise les corps ecclésiastiques, résistèrent jusqu’à la fin. Mais on ne peut pas affirmer que les moindres seigneurs aient toujours apporté une aussi grande vigilance dans la défense de leurs droits. Il suffisait qu’une justice fût, par négligence ou par suite de circonstances quelconques, mal administrée ou mal défendue, pour que les gens du Châtelet s’empressassent d’y étendre leur juridiction.
L’exercice du droit de prévention ne fut pas la seule arme employée par les officiers royaux pour combattre, en tous lieux, les juridictions seigneuriales. La revendication des cas royaux les servit non moins efficacement. Nous avons vu que Bacquet comprenait le meurtre et le rapt parmi les cas royaux reconnus dans la prévôté de Paris, bien que les principaux seigneurs de Paris aient eu la connaissance de tous les crimes de droit commun. Il n’est pas douteux qu’il n’y ait eu là, dans les derniers temps, une source nouvelle de conflits, et il est à présumer que quelques-uns au moins des moindres seigneurs ont dû être dépouillés, de bonne heure, de la connaissance de ces cas.
A ces deux causes de décadence de la justice seigneuriale vinrent s’ajouter la revendication, par le roi, du droit de voirie qui ne fut conservé qu’à quelques seigneuries, et l’attribution qui fut faite aux gens du Châtelet de l’exercice de la police générale dans toute l’étendue de la ville.
Le droit de voirie fut, pendant longtemps, l’un des sujets de contestation les plus graves entre les seigneurs justiciers de Paris et les officiers du roi. La voirie, viaria, a été employée en divers sens par les chartes et les coutumiers; mais tous nos documents la prennent dans le sens de la police de la voie publique, et c’est sous ce point de vue que nous la considérons ici . Beaumanoir l’envisage déjà sous ce rapport et l’appelle très exactement, la justice des chemins. Tous les seigneurs hauts justiciers avaient, de son temps, en Beauvoisis, la voirie sur leurs terres. La justice des chemins limitrophes entre deux seigneuries appartenait, pour moitié, à chacun des deux seigneurs riverains, en sorte que les délits qui y étaient commis étaient justiciables de l’un ou de l’autre, selon qu’ils avaient eu lieu sur l’une ou l’autre moitié. Ce partage de juridiction était si exactement observé que si l’on ne pouvait déterminer sûrement de quel côté de la voie le fait s’était passé, la justice du cas appartenait aux deux riverains qui le jugeaient en commun .
A Paris, la plupart des seigneurs justiciers revendiquaient la voirie, et il résulte des titres les plus anciens, qu’elle appartenait, en effet, aux principaux d’entre eux. Ils ne l’avaient pas toutefois sur toute l’étendue de leur seigneurie. La règle était qu’ils ne l’exerçaient que dans les rues dont ils avaient les deux côtés, et qu’elle appartenait, dans toutes les autres, au roi. Cette restriction, qui avait pour résultat de soustraire à la voirie des seigneurs un très grand nombre de rues, ne suffit pas cependant au voyer général du roi, qui ne cessa de prétendre à l’exercice de ses droits sur tout le territoire de la ville.
La voirie comprenait, avec la police de la voie publique et les redevances fiscales qui y étaient attachées, la connaissance même de tous les délits qui y avaient été commis. Le seigneur qui ne jouissait pas de ce droit n’avait que la justice des maisons, qui était ainsi indépendante de celle de la rue. Le seigneur voyer disposait seul de la voie publique. Il ordonnait la démolition ou la réfection des maisons qui menaçaient ruine; il délivrait, à prix d’argent, les autorisations nécessaires pour établir les saillies, telles que les enseignes et auvents, ainsi que pour pratiquer des ouvrages quelconques sur la voie publique.
L’attention des officiers du roi se porta, de bonne heure, sur la possession d’un droit aussi important. Ils virent là un moyen précieux de faire une brèche dans le domaine des seigneurs. Les délits commis sur la voie publique étaient nombreux, et les redevances fiscales de la rue constituaient une source considérable de profits. La règle d’après laquelle la voirie appartenait au roi dans toutes les rues où les seigneurs n’avaient qu’un côté, était fondée sur le principe qu’on ne venait pas en partage avec le roi, et selon une expression d’un titre du XVe siècle relatif à cet objet, sur ce que, «nul ne part au roi ». Ce principe n’était cependant rien moins qu’absolu, car on pouvait citer de nombreux exemples de justices indivises entre les seigneurs et le roi. L’attribution faite au roi, sur ce fondement, n’en prévalut pas moins définitivement. Les principaux seigneurs de Paris conservèrent seuls, et non sans peine, la voirie dans les rues qui étaient enclavées dans leurs terres. Les petits seigneurs, qui la revendiquaient cependant dans toutes leurs déclarations de temporel, en furent sans doute complètement dépouillés; et les quelques actes isolés d’exercice de ce droit que nous rencontrons, ne doivent pas nous faire conclure à une possession paisible et assurée. Si l’on considère d’ailleurs le nombre des seigneuries de Paris et le morcellement des terres qui les composaient, on voit que, si étendues qu’elles fussent dans leur ensemble, leurs points de contact avec le domaine du roi étaient assez nombreux pour que la voirie royale embrassât définitivement la plupart des grandes voies publiques de la ville. Le roi s’était d’ailleurs réservé ce droit dans certaines rues mêmes qui étaient entièrement enclavées; c’est ainsi qu’il l’avait retenu, par l’accord de 1222, dans la terre de l’évêque, sur la plus grande partie de la rue Saint-Honoré .
Les officiers du roi s’introduisirent encore dans les terres des justiciers, par le moyen de la revendication de la police générale de la ville. Les seigneurs avaient bien un droit de police propre. Ils rendaient, ou faisaient rendre, par leurs baillis, des bans réglementant les tavernes, les jeux, les métiers, la vente des denrées et tous les objets se rattachant à l’administration générale de leur terre. Mais le roi faisait, de son côté, des règlements applicables à toute la ville, à l’effet de prescrire certaines mesures de sécurité, de salubrité, d’administration publique ou toutes autres touchant à la police générale. Ces règlements obligeaient naturellement tous les habitants; et si les officiers royaux laissaient les seigneurs poursuivre l’exécution de leurs bans, pourvu qu’ils ne fussent pas contraires à ceux du roi, ils revendiquèrent le droit de faire exécuter les bans royaux, et de poursuivre, en tous lieux, les infractions qui y seraient commises. Les seigneurs s’efforcèrent de repousser cette dangereuse immixtion. Nous voyons dans le registre de Saint-Germain-des-Prés, les officiers de cette abbaye connaître des infractions à un ban du roi relatif à l’interdiction de nourrir des porcs dans la ville, et même aux ordonnances sur la monnaie, par le motif que l’abbaye avait l’exécution générale de ces bans, «Sic que
» il apeirt que Saint-Germain ait en sa terre de Paris le
» exequcion de ban le roi .» Mais les officiers du Châtelet ne cessèrent de poursuivre leurs revendications sur ce point, et la jurisprudence, dans son dernier état, les mit, après de longs débats, en possession de l’exercice de la police générale dans toute l’étendue de la ville.
Mais ce n’était pas assez d’entraver l’exercice de la juridiction des seigneurs par la prévention et les cas royaux et de leur enlever les droits lucratifs de police et de voirie; il fallait encore leur rendre cette juridiction moins profitable ou plus onéreuse par l’augmentation de leurs charges. Les hauts justiciers étaient astreints, en vertu même de leur titre, à contribuer à deux services assez onéreux, l’entretien des enfants trouvés et le guet. Ils s’acquittaient, à l’origine, de ces deux services en nature; mais ils furent bientôt astreints à y pourvoir par des contributions pécuniaires, qui s’élevèrent naturellement, avec le temps, à des chiffres assez considérables et qui grevèrent ainsi leurs justices d’une lourde charge.
L’entretien des enfants abandonnés incombait, en principe, aux hauts justiciers sur le territoire desquels ils étaient trouvés; il semble qu’on considérât cette charge comme étant pour eux la compensation naturelle des droits de déshérence et d’épave. Le registre de Sainte-Geneviève nous en fournit un exemple bien ancien. En 1294, un enfant qui avait été trouvé sur la terre de Sainte-Geneviève, dans les champs, fut porté au Châtelet, mais le prévôt de Paris s’enquit de la seigneurie dans laquelle il avait été recueilli, et il contraignit le chambrier de l’abbaye à prendre l’enfant et à pourvoir à ses besoins. «Ledit chamberier prist l’enfant et le fist nourrir des biens de l’église .»
Cet état de choses dura jusqu’à ce que l’on sentit la nécessité d’affecter un asile spécial à ces enfants. La première maison qui reçut cette destination paraît y avoir été consacrée par la libéralité de l’évêque de Paris et du chapitre de Notre-Dame. C’était une maison située au bas du Port-l’Évêque, qu’on désigna sous le nom caractéristique de, La Couche. Ce premier asile, devenu insuffisant, fut remplacé, en 1552, par l’hôpital de la Trinité qui ne fut pas, d’ailleurs, définitivement affecté à ce service, car les enfants trouvés furent encore transportés successivement dans deux maisons du port Saint-Landry, au château de Bicêtre, au faubourg Saint-Denis, et enfin à l’hôpital des Enfants trouvés du faubourg Saint-Antoine, avec une annexe en face de l’Hôtel-Dieu.
Dès que la première maison destinée à recevoir ces enfants fut créée, on les y amena de toutes parts, et l’on dut songer aussitôt à transformer en une contribution pécuniaire la charge qui incombait aux hauts justiciers de ce chef. Ces seigneurs résistèrent et prétendirent rejeter sur l’église de Paris, représentée par l’évêque et le chapitre de Notre-Dame, cette dépense entière, en la présentant comme ayant un caractère purement hospitalier. Mais leurs prétentions furent repoussées, et ils furent condamnés, par un arrêt du Parlement de 1552, à payer, tous ensemble, une somme de 960 livres . Le roi payait d’ailleurs, à lui seul, une somme supérieure, et l’avocat général Denis Talon faisait remarquer, en 1667, que la contribution du roi eût pu être moins élevée parce qu’il avait une haute justice moins importante, une moindre justice, que l’ensemble des hauts justiciers de la ville.
La contribution des seigneurs fut bientôt d’ailleurs augmentée dans des proportions considérables. Un arrêt du conseil, du 18 août 1670, la porta à la somme de 15,900 livres, ainsi répartie: 3,000 livres, pour toutes les justices dépendant de l’archevêché de Paris (Saint-Magloire et Saint-Eloi compris); 2,000 livres, pour l’église de Paris; 3,000 livres, pour l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés; 1,200 livres, pour l’abbaye de Sainte-Geneviève; 1,500 livres, pour le grand prieuré de France (le Temple et Saint-Jean-de-Latran); 2,500 livres, pour le prieuré de Saint-Martin-des-Champs; 600 livres, pour le prieuré de Saint-Denis-de-la-Chartre; 100 livres, pour l’abbaye de Tiron; 50 livres, pour l’abbaye de Montmartre; 100 livres, pour le chapitre de Saint-Marcel; 150 livres, pour le chapitre de Saint-Merry; 100 livres, pour le chapitre de Saint-Benoît; et enfin 100 livres, pour l’abbaye de Saint-Denis .
La contribution des seigneurs au guet de la ville fut également réglée en argent, et deux arrêts, des 30 mai et 6 juin 1561, la fixèrent à une somme totale de 1,200 livres .
Les justices de Paris, entravées dans leur exercice par l’ingérence des officiers du Châtelet, privées pour la plupart du droit de voirie, étaient donc encore grevées, à l’époque de leur suppression, de lourdes charges qui devaient disposer la plupart des seigneurs à consentir plus aisément à leur suppression. Les principaux d’entre eux protestèrent cependant contre le tort qui leur était fait, et quelques-uns obtinrent des indemnités assez importantes.
La suppression avait été tentée, une première fois, sous François 1er, en 1539; mais ce projet n’avait pas abouti . C’est Louis XIV qui la réalisa, par son édit de 1674. L’édit invoque, pour justifier cette mesure, les inconvénients que présentent les justices subalternes pour les justiciables, à cause de leur multiplicité, les conflits que font naître l’incertitude de leurs limites et la prévention des officiers royaux, la longueur des procédures et la multiplicité des degrés de juridiction. Il y est déclaré, en outre, que le roi se propose de donner aux seigneurs ecclésiastiques, pour les indemniser, des biens dont la jouissance leur sera plus utile, et réparera avantageusement la perte de ces marques d’honneur, devenues onéreuses à plusieurs d’entre eux aussi bien par les sommes qu’ils sont obligés de payer, pour la nourriture des enfants trouvés que par les frais de toutes sortes auxquels les astreint l’exercice de leur juridiction. Leurs officiers de justice seront également indemnisés de ce qu’ils peuvent raisonnablement prétendre.
Les religieux de Saint-Germain-des-Prés se signalèrent, entre tous, par leurs protestations. Pellisson, qui était alors leur économe, rédigea un mémoire pour établir le préjudice que cette suppression leur faisait éprouver . Ils furent assez largement indemnisés, et ils obtinrent, en outre, de conserver la haute justice dans l’intérieur de leur cloître.