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3. L’ÉPOQUE DE LA MIGRATION RESTREINTE AUX TROIS MOIS DU PRINTEMPS.
ОглавлениеPendant la migration, les Aryas cessaient toujours la marche à la fin du printemps, le 1er mai juste, d’après la tradition fixée dans le calendrier romain (§ 42). Ils commençaient alors à construire des huttes, sous lesquelles on passait l’été chaud et l’hiver froid, et l’on ne reprenait la marche qu’au 1er mars suivant. L’année était divisée en deux périodes: marche de l’armée pendant le printemps (le ver sacrum des Romains), et temps de halte pendant l’été et l’hiver; on ne connaissait pas encore l’automne. — Pourquoi cette interruption de la marche pendant l’été ? Je ne puis trouver d’autre réponse que celle-ci: parce que la chaleur était trop forte. Or cela concorde de nouveau avec un climat chaud; sous une latitude plus froide on aurait en tout cas remplacé le mois de mars qui ne pouvait convenir par le mois de juin. L’intérêt qu’avait pour l’Aryas la chaleur de l’été est éloquemment attesté par le mythe du dragon crachant le feu, c.-à-d. du soleil brûlant, en lutte avec Indra, le dieu de la pluie. Comme ce mythe se trouve également chez les Scandinaves à l’extrême Nord, où il est impossible qu’il soit né, il faut admettre qu’ils l’ont emprunté aux Aryas, et il atteste donc pleinement que la mère patrie des Indo-européens se trouvait dans la zone chaude .
Les quatre faits que je viens de citer: l’hivernage du bétail à l’air libre, le tablier de cuir, le commencement de la marche au 1er mars, et la halte au dernier jour de mai, concordent donc pour nous faire conclure que la mère patrie des Aryas appartenait à la zone chaude, et il n’y a donc aucun motif de révoquer en doute l’exactitude des renseignements des anciens sur l’habitat des Arii.
Un point d’appui important à mes yeux pour la détermination plus précise de cet habitat nous est fourni par l’ignorance où se trouvaient les Aryas au sujet du sel. Après les explications de VICTOR HEHN, ce fait peut, à mon avis, être tenu pour constant. Le peuple père aryen et le peuple fils éranien ne connaissaient ni le nom ni la chose. Les Indo-européens n’ont appris à le connaître que dans le cours de leurs migrations , en même temps que l’expression qui se trouve chez tous (ἄ́λς, sal, goth. salt, allem. salz, slave, slatina, anc. slave soli, irlandais ancien salann) et qu’ils ont certainement empruntée à la langue des aborigènes. De l’ignorance où se trouvait l’Aryas relativement au sel, il résulte que sa mère patrie ne peut avoir été dans le voisinage de la steppe salée nommée ci-dessus, située à l’Ouest de l’Iran, sinon il aurait nécessairement dû apprendre à connaître le sel. L’habitat du peuple aryen doit donc être reculé de beaucoup de degrés plus à l’Est. Mais cet éloignement dans l’espace n’aurait pas encore suffi à mon sens, pour empêcher que le sel ne pénétrât jusque là ; il faut qu’il y ait eu un autre obstacle naturel et insurmontable qui mît obstacle à sa pénétration et je ne puis me représenter comme tel qu’une haute et puissante chaîne de montagnes entourant l’Aryas de toutes parts, comme d’un mur de prison, et le séparant de toute communication avec le monde du dehors. Cette chaîne se trouve aux versants Nord de l’Himalaya, dans le Hindou-Kouch actuel. Ici les Aryas ont vécu pendant beaucoup de siècles, entièrement restreints à eux-mêmes et coupés de tout contact avec les peuples d’autre langage et d’autre civilisation, vivant de l’autre côté des montagnes. Ils n’étaient pas, comme le veulent beaucoup d’auteurs, établis sur les hauteurs où régnait une température basse, mais dans les régions inférieures: vallées, collines et basses montagnes, où le soleil de l’Asie centrale déployait toute son ardeur; cela résulte des attestations ci-dessus en faveur du climat chaud. Sur les froids sommets, le bétail n’aurait pu passer la nuit à l’air en hiver, il lui aurait fallu la protection de l’étable; l’homme n’aurait pu se contenter pour vêtement du tablier de cuir, il lui aurait plutôt fallu la peau de mouton, et le commencement de l’émigration n’aurait pu avoir lieu au 1er mars, lorsque tout était encore couvert de neige.
Je trouve une confirmation de cette thèse de la séparation du peuple aryen du monde extérieur, fondée sur son ignorance du sel, dans la comparaison de ses hautes facultés intellectuelles et du niveau étrangement bas auquel il se trouvait, ainsi que nous le verrons plus loin, dans les choses de la civilisation extérieure. Je ne puis m’expliquer ce fait qu’en admettant qu’il était absolument livré à lui-même sans aucune influence extérieure.
Je trouve une autre confirmation dans le principe régissant le ver sacrum des Romains, de l’abolition complète de toute dépendance entre la troupe qui abandonnait ses foyers et le peuple père. Ainsi que je l’établirai plus tard (§ 37, 38), le ver sacrum contenait une reproduction de l’exode des Aryas hors de leur mère patrie. Ce principe proclame donc sous le rapport historique, que le peuple fils aryen, en émigrant de sa mère patrie, s’est arraché complètement et pour toujours du peuple père. Cela n’est cependant rien moins que naturel. La forme naturelle de l’émigration d’une fraction du peuple est que le peuple souche conserve communication avec cette fraction; c’est ce qui arrivait en Grèce et à Rome dans l’expédition des colonies. Au contraire chez les Aryas émigrants, par le passage des montagnes qui séparait leur patrie du monde extérieur c’en était fait pour toujours du maintien de toute communication ultérieure avec le peuple père; c’était une bouture arrachée de l’arbre et portée au loin pour être mise en terre. Sans l’obstacle que la montagne opposait à l’expansion des Aryas hors de leur domaine originaire, ils auraient certainement fait comme d’autres peuples, p. ex. les Slaves; lorsque le sol ne suffisait plus à les nourrir, ils se seraient étendus toujours plus loin sans briser les liens qui les unissaient à la mère patrie. Mais la montagne leur opposait un obstacle insurmontable, le seul remède était l’émigration de la partie excédante de la population, qui rompait ainsi pour toujours ses communications avec le peuple père. Ainsi, et ainsi seulement, s’explique le principe du ver sacrum, en contradiction absolue avec les habitudes romaines; il trouve son explication naturelle, et à mon avis en même temps sa seule explication, dans la constitution orographique de la mère patrie aryenne. A cet isolément absolu de l’Aryas, causé par des obstacles naturels, se rattache probablement aussi l’unité parfaite et méthodique du développement de sa langue. Sans être influencée par des idiomes étrangers ni par leur morphologie et leur vocabulaire, elle put dans ce domaine entièrement clos se développer par elle même et acquérir ainsi ce merveilleux achèvement qui la distingue des langues de tous les autres peuples; l’épanouissement complet des germes linguistiques n’était troublée par aucune action du dehors. Au linguiste à décider si pareil isolement complet d’une langue dans sa période de formation peut en réalité exercer l’influence que je présume ici.
Toute la déduction tentée ci-dessus de l’isolement complet des Aryas par une chaîne de montagnes qui les entourait viendrait à crouler s’il était vrai qu’ils ont connu la mer. Sans entrer plus avant dans l’examen des raisons produites pour ou contre, ce qui serait entièrement déplacé, je me contente de déclarer que je me rallie avec pleine conviction à l’avis des savants autorisés qui le nient; pour moi la circonstance que les Aryas n’ont pas connu le sel, suffit à elle seule à faire pencher la balance.